KT Gorique : « Ma musique est métisse, comme moi »

Deux ans après l’EP Kunta Kita, KT Gorique sort aujourd’hui l’album Akwaba. Après avoir passé seize ans en Suisse, la rappeuse part quelques semaines en Côte d’Ivoire en juin 2018 où elle se reconnecte à ses racines et sa famille, mais aussi à son inspiration. L’artiste nous parle de son nouveau son hybride et métisse, né de ces voyages, de son alter ego Kita et de ses projets post-confinement.

Comment vis-tu cette période de confinement ?

Je reste positive et je garde le moral mais c’est vrai que ça a un impact direct sur les gens qui sont dans mon cas, parce qu’on vit surtout grâce à nos concerts et là tout est annulé. J’essaie de me dire que ça va passer vite. Au-delà du fait que c’est hyper chiant de rester enfermée, on ne peut pas vraiment gagner d’argent alors que les factures continuent à arriver.

Nous t’avons interviewée pour la dernière fois en mars 2018. Que s’est-il passé pour toi depuis ?

Il s’est passé plein de choses ! En juin 2018, j’ai sorti mon EP Kunta Kita qui a super bien marché en Suisse et en Allemagne. J’ai fait une tournée de plus d’un an et demi et j’ai travaillé en parallèle sur mon album Akwaba qui sort le 15 mai.

Ton album Akwaba sort aujourd’hui. Comment est-ce que tu définirais ce projet ?  

C’est un peu l’aboutissement d’une recherche artistique que je menais depuis longtemps. J’ai toujours essayé d’apporter des influences de la musique et de la culture reggae dans mon rap. J’avais tendance à faire soit un son ragga, soit un son reggae, soit un son hip hop, soit un son trap, mais je n’avais pas vraiment réussi à créer de pont entre tout ça. Je l’ai fait un petit peu avec l’EP Kunta Kita et ça a bien pris. Les gens ont vraiment kiffé cette nouvelle vibe que j’ai essayé d’amener, qui me ressemblait encore plus. Je me suis lancée dans Akwaba en me disant « vas-y, c’est ce que tu aimes faire et ce n’est pas gave si ta musique n’est pas rangeable dans une case précise ». Ça reste du rap avant tout, mais du rap très hybride, qui correspond à tout ce que j’aime réuni en un seul « truc ». J’ai même appelé ça « future roots » parce que j’ai essayé de prendre toutes les racines des musiques que j’aime pour les transférer dans un son de notre ère. C’est une musique métisse, comme moi.

Comment as-tu travaillé à l’écriture et la composition de l’album ?

J’ai travaillé deux ans sur l’album. En juin 2018, ça faisait seize ans que je n’étais pas retournée en Côte d’Ivoire. J’ai encore une sœur là-bas et presque toute ma famille. Le fait d’y retourner m’a mis une grosse claque. J’ai retrouvé mes racines et me suis reconnectée à ce que je suis vraiment. Ça m’a fait du bien de redécouvrir la musique que j’aime, même si je n’ai jamais arrêté d’écouter de la musique africaine, mais c’est différent de le vivre en instantané avec sa famille et ses amis d’enfance.  J’ai écrit tous les textes de l’album entre juin 2018 et février 2019, date à laquelle je suis allée une nouvelle fois en Côte d’Ivoire. À mon retour, il me restait trois sons à écrire. Toute l’écriture s’est faite avec ces deux voyages en fait.

Pour la composition, je suis allée beaucoup plus loin que d’habitude. Contrairement à avant, j’ai travaillé avec beaucoup moins de beatmakers et ceux avec qui j’ai collaborés avaient plus une patte qui correspondait à ce que je cherchais à faire. Et surtout, j’ai fait intervenir pas mal de musiciens pour les arrangements. J’ai travaillé au Labo Clandestino à Marseille. Je fais un gros shout out à Fred et Denis qui ont fait les arrangements clavier, reggae, guitare, guitare électrique… C’était vraiment beaucoup de boulot, mais je suis très contente du résultat et j’ai hâte !

On retrouve la rappeuse de Los Angeles Reverie sur le titre Time Come. Madame Rap vous a toutes deux programmées dans le cadre du festival Les Femmes S’en Mêlent en mars 2018. Votre collaboration est-elle née de cette rencontre ?

On s’était déjà croisé deux ou trois fois avant Les Femmes S’en Mêlent et on avait bien sympathisé, mais on n’avait pas eu le temps de discuter et de passer de soirées ensemble. Ce festival nous a donné cette opportunité et on a passé la soirée toutes ensemble dans les loges, tout le monde parlait avec tout le monde et on était aussi dans le même hôtel. Par la suite, on a refait des dates ensemble en Suisse en 2019. C’est finalement venu très naturellement de se dire « posons sur un son ensemble ». Je suivais Reverie depuis des années avant de la rencontrer, et pour être fan de son travail, je suis très contente de sa participation sur ce morceau. Je trouve que c’est l’un de ses meilleurs couplets et je suis trop fière qu’il soit sur l’une de mes chansons !

Tu as convié la comédienne et humoriste Shirley Souagnon sur les interludes de l’album. Quels sont vos points communs ?  

Shirley, c’est vraiment ma grande sœur et je l’adore. On a énormément de points communs et on s’entend super bien. Ça fait maintenant deux ans qu’on se connaît. Comme on échange souvent, je lui ai dit que je travaillais sur un projet et elle est venue me donner de la force en studio. Je voulais des interludes particulières et finalement on les a faites toutes les deux. C’est assez inattendu comme genre d’association, mais dans notre cas c’était naturel.

À la base, on s’est rencontré parce que tout le monde nous confond. On ne trouve pas qu’on se ressemble, mais on a un peu le même genre d’énergie. Peut-être que la sphère rap ne se mélange pas assez avec la sphère stand-up alors qu’en fait elles sont assez proches dans le délire d’instantané et d’improvisation. Grâce au hasard, et tant mieux, parce que je ne pense pas que le hasard existe, on a pu se rencontrer et je suis hyper fière de l’avoir sur mon album. C’est quelque chose d’original. Ça fait plaisir de partager mon art avec quelqu’un qui me ressemble. Parce que même si elle fait du stand-up, les sujets qu’elle aborde sont finalement les mêmes que moi, on a juste une manière différente d’écrire. 

À l’écoute de l’album, on a l’impression que tu parles davantage de la place des femmes que dans tes précédents textes. Pourquoi cette envie ?

Oui, avant j’en parlais un peu, mais pas autant qu’aujourd’hui. Je pense que j’ai grandi. Je me pose des questions différentes. J’ai eu le temps de cogiter sur des sujets de la vie et j’ai été confrontée à de nouvelles choses. Et comme mon écriture a toujours été très instantanée, ça été naturel pour moi de développer certains sujets à force d’être confrontée à des situations que je trouve absurdes. C’est plus l’absurdité dans laquelle les femmes peuvent se retrouver qui m’interpelle. J’essaie, humblement, d’exposer cette absurdité.

Pourquoi as-tu ressenti le besoin de partir en quête de toi-même en Côte d’Ivoire ?

Cette quête est une partie très importante de l’album. Retourner en Côte d’Ivoire, c’est ce que j’attendais depuis que je suis arrivée en Suisse. J’y suis arrivée à l’âge de 11 ans, à une époque où il y avait des troubles politiques en Côte d’Ivoire. Ça a pris des années à se stabiliser mais ça a repété en 2010, donc le climat n’était pas très sécure pour mes sœurs et moi, mais ma mère y était retournée une ou deux fois. Là, c’était le moment ou jamais. J’avais été invitée en Mauritanie pour faire un concert et je me suis dit qu’en quatre heures d’avion, je pouvais voir ma sœur et aller au bled. J’ai appelé ma mère, je lui ai dit, « je pars en Mauritanie dans deux semaines, je te prends un billet d’avion pour Abidjan, tu arrives un jour avant moi, tu prépares tout et moi j’arrive le lendemain. » Et c’est ce qu’on a fait ! Ça m’a fait vraiment du bien aussi de prendre des vacances seule avec ma mère.

Qu’est-ce que tu y as trouvé ?

J’ai trouvé la paix du cœur parce que j’ai retrouvé tous mes amis d’enfance que j’avais perdus, toute ma famille, ma sœur, mes cousins et surtout j’ai trouvé l’inspiration.

Peux-tu nous présenter ton alter ego Kita ?

Kita, c’est le côté guerrière de ma personnalité. Une personne qui est déterminée, qui a une énergie incommensurable quand il s’agit d’aller au bout de ses rêves. C’est quelqu’un qui ne se laisse pas faire. Elle va beaucoup mettre en avant ce qu’elle trouve anormal et injuste, mais en gardant toujours la tête haute et un caractère de guerrière. Je crois que le mot « guerrière » est la meilleure manière de la décrire. Guerrière au niveau mental comme dans ses capacités physiques.

Quels sont tes projets à venir ?

Après le confinement, je veux reprendre les concerts. Je suis vraiment droguée à la scène. J’ai besoin de ça, de m’exprimer, de chanter. C’est là où je me sens bien et dans mon élément. C’est aussi l’aboutissement de deux ans de travail autour du projet Akwaba et donc j’ai encore plus hâte de monter sur scène pour partager ça avec les gens et avoir leurs retours, diffuser le message et l’énergie que j’ai essayé de mettre là-dedans.

Aussi, voir ma mère, reprendre mes petites habitudes avec mes potes et les répéts avec ma team parce qu’évidemment on ne peut pas se voir non plus et on habite dans des villes différentes en Suisse. J’ai hâte de revoir tout le monde et de pouvoir leur faire des câlins !

Que peut-on te souhaiter ?

Que l’album marche et que les gens apprécient le travail, entrent dans l’univers et puissent se retrouver dans les paroles, la musique, l’énergie ou la vibe… Que je puisse continuer à faire de la musique tout va mie parce que je c’est ce que j’aime le plus et que je puisse trouver l’inspiration pour continuer à le faire !

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Hawa : « Ma sexualité ne me définit pas en tant que personne »

Née à Berlin, Hawa a grandi en France et en Afrique. Aujourd’hui âgée de 19 ans et basée à New York, la rappeuse nous parle de son parcours dans le hip hop et de son nouvel EP The One.

Quand et comment as-tu découvert la culture hip hop ?

J’ai découvert le hip hop très jeune. Je dirais vers l’âge de 3 ans. Je ne peux pas dire quand exactement, mais comme j’ai grandi dans une famille noire, c’était impossible que je ne rencontre pas le hip hop à un moment donné. Mais j’ai grandi en écoutant de la Motown, de la musique africaine, française et de la house.

Comment as-tu commencé à rapper ?

À un moment de ma vie, je ne faisais qu’écouter du rap et un jour, j’ai essayé de rapper. À partir de là, je me suis entraînée et j’ai essayé de m’améliorer.

Quels artistes écoutais-tu quand tu étais petite ?

TLC, D’Angelo, Sade, John Mayer, Mase, T Pain, Tracy Chapman. Honnêtement, je pourrais en citer beaucoup d’autres.

As-tu pris des cours de musique ?

Oui, j’ai suivi une formation de musique classique au New York Philharmonic.

Tu viens de sortir le EP The One. Peux-tu nous présenter ce projet ?

Je ne peux pas vraiment répondre parce que ce projet parle d’amour et il n’existe pas de véritable manière de présenter ça.

Est-ce que tu t’identifies comme queer ? Que signifie ce terme pour toi ?

Pour être honnête, je suis une femme lesbienne qui aime les femmes. « Queer » ne veut pas dire grand-chose parce que je ne crois pas que ma sexualité me définisse en tant que personne. Tout ce que ça dit de moi est le type de personnes avec lesquelles j’aime avoir des rapports sexuels.

Le hip hop est souvent caricaturé comme étant un milieu sexiste et homophobe. Pourtant, de nombreux artistes LGBTQIA s’expriment à travers le rap. Comment expliques-tu cette contradiction ?

Honnêtement, je pense que le problème est de poser ce genre de questions. Même si ce n’est pas intentionnel de catégoriser, pourquoi le fait d’être une artiste lesbienne devrait signifier que l’on va être cataloguée comme LGBTQ ou « artiste féminine » ? Pourquoi une artiste ne peut pas être juste une rappeuse ou une chanteuse ? Je pense qu’une fois qu’on arrêtera de faire ces catégories, ce sera plus facile de changer les choses.

Te définis-tu comme féministe ? 

Oui. Ma capacité à accepter ma beauté, mon féminisme, à soutenir les autres femmes et avoir la possibilité d’exprimer librement ma sexualité, et être libre, voilà comment je décrirais mon féminisme.

Quels sont tes projets à venir ?

Je travaille sur un nouvel album et des nouveaux titres alors tenez-vous prêts !

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KT Gorique sort son Biggest Female All Stars Cypher

Pour célébrer en musique ce début de déconfinement, la rappeuse suisse KT Gorique vous présente son Biggest Female All Stars Cypher : 19 rappeuses de 9 pays différents réunies sur un titre de plus de 7 minutes produit par la beatmakeuse Fana, avec qui la MC collabore régulièrement.

Cherchant à mettre à profit cette période de confinement, KT Gorique a demandé à ses abonné·e·s Instagram de lui suggérer des noms de rappeuses pour participer à un morceau qui rassemble le plus de femcees possibles à travers le monde. « Le fait de toutes se réunir autour d’une situation comme celle-là permet de nous unir et d’être solidaires« , explique l’instigatrice du projet. « Aussi apporter de la force aux personnes qui nous suivent et faire découvrir des nouvelles rappeuses au public. Je ne pensais pas que ça prendrait une telle ampleur ! C’était compliqué au niveau logistique et pour le mix à cause des différences de matos par exemple, mais un vrai kif pour moi d’avoir été à l’initiative de ça. Un moment de partage qui fait du bien !« 

Voici donc les 19 rappeuses que l’on retrouve sur ce cypher géant (dans leur ordre d’apparition) :

KT Gorique (Suisse, Martigny)

Illustre (France, Clermont-Ferrand)

« J’étais très heureuse d’être conviée et de faire partie de ce mouvement émancipateur. Je suis fière de remarquer l’émulation qui est en train d’arriver, et la place que prend la figure féminine pour venir se banaliser au coeur du monde médiatique. Plus on aura de représentations, plus on aura d’identifications, et l’esprit du cypher était parfaitement en adéquation avec nos valeurs respectives. Comme si arriver en bande ramenait quelque chose d’encore plus fort. Un vraie belle rencontre humaine et artistique !« 

Flash Marley (Togo, Lomé)

Starrlight (Pays-Bas, Helmond)

« J’ai accepté de participer à ce projet parce que c’est un cypher de rappeuses ! Je trouve qu’il n’y a pas assez de femmes sur la scène. 75 % de ceux qui la font ne partagent pas la couronne avec leurs collègues femmes. Je pense que les femmes devraient collaborer davantage entre elles au lieu de se voir comme des rivales. Les vraies reines se couronnent mutuellement. C’est pour ça que je veux faire un gros shout out à toutes ces femmes réunies sur ce morceau et qui kickent de ouf!« 

Hemkah (France, Villiers-le-Bel)

Miss C-Line (Suisse, Bâle)

Lau Rinha (France, Marseille)

« J’ai eu envie de rejoindre le projet parce que j’ai trouvé l’idée super fédératrice, en plein confinement, de réunir des rappeuses de différents pays autour d’une prod commune. Pour moi le message, c’est un peu : on est toutes bloquées chez nous, on rappe, on reste fortes, inspirées, productives et on met tout ça ensemble pour faire un putain de morceau !! Du coup, j’ai voulu représenter moi aussi de mon côté, la France, le sud, Marseille… Sans pour autant parler du confinement, j’ai préféré parler de ce qui nous réunit, la passion et l’amour du hip hop.« 

Lillian Blanche (États-Unis, Charlotte)

Nash (Côte d’Ivoire, Abidjan)

Ebène (Mauritanie, Nouakchott)

Ekloz (France, Montpellier)

« KT est quelqu’un que je respecte énormément pour son travail et son engagement et le fait d’être invitée par elle et avec d’autres rappeuses, je trouvais ça trop cool ! Partager un morceau avec plusieurs univers différents et plusieurs langues, on ne le fait pas tous les jours donc autant en profiter.« 

Amalia (France, Marseille)

Sima Noon (Israël, Tel Aviv)

La Furia (Espagne, Saint-Sébastien)

Evita Koné (Suisse, Genève)

Bouki (France, Lyon)

Lindsay (France, Martinique/Montpellier)

Tyriss (Suisse, Genève)

Pumpkin (France, Nantes)

Sensible à impliquer encore plus son public dans le projet, KT Gorique a également lancé un appel sur Instagram pour dénicher trois graphistes prêtes à réaliser une pochette en 24 heures. Les visuels ont donc été soumis aux votes de ses abonné·e·s, qui ont choisi la proposition de M.D’Angelo, artiste lyonnaise basée à Marseille.

Le résultat, un titre efficace qui atteste de la pluralité des raps et un projet 100 % conçu par des femmes artistes, qui fait bouger les lignes d’un monde, paraît-il, masculin.