Naya Ali : « J’ai l’impression d’avoir attendu une éternité pour renaître »

D’origine éthiopienne et basée à Montréal, la rappeuse Naya Ali s’est fait connaître en 2017 avec le titre Ra Ra. Elle nous parle aujourd’hui de son nouvel EP Godspeed: Baptism (Prelude), qui annonce un album du même nom, de ses influences et de son univers musical. 

Quand et comment as-tu découvert la culture hip hop ?

Quand j’étais petite, je mettais de la country, du Motown et du jazz éthiopien chez moi. Mais quand je suis entrée au collège, j’ai eu envie de découvrir d’autres styles de musique. À l’époque, pour découvrir de la nouvelle musique, il fallait regarder MTV et Much Music. C’est comme ça que j’ai découvert le hip hop, par des clips mortels, comme Diddy, Mase et toute l’époque Bad Boy.

Comment as-tu commencé à rapper ?

J’écrivais de la poésie quand j’étais ado et plus j’aimais le rap, plus j’avais envie d’en faire partie. Progressivement, je suis passée de la poésie à des textes de chansons tout en me passionnant toujours plus pour la culture hip hop.

Tu viens de sortir le EP Godspeed: Baptism (Prelude). Comment présenterais-tu ce projet ?

J’ai l’impression d’avoir attendu une éternité pour renaître. C’est une nouvelle vie, un baptême, une entrée dans le monde de la grandeur. Le prélude est une introduction à mon univers plus profond, le bon, le mauvais, le sombre, le lumineux. Le premier chapitre du début.

Godspeed: Baptism est une élévation complète d’un moi supérieur. Plus de disques, plus de confiance, plus de présence. Bien que toujours brute, à la frappe lourde et honnête, cette fois-ci, je me pousse à explorer de nouvelles contrées sonores. Plus de couches et de musicalité, plus de mélodies. J’utilise ma voix comme un instrument beaucoup plus que d’habitude.

Si quelqu’un ne connaît pas ta musique et a envie de la découvrir, quel titre lui conseillerais-tu d’écouter en premier ?

Godspeed.

Comment travailles-tu ton flow ? Est-ce que tu as des techniques ou des routines particulières ?  

Honnêtement, je me laisse aller à ressentir l’émotion du titre et les flows viennent naturellement, en fonction de l’univers que j’ai créé avec le producteur.

Quel est ton rapport à l’écriture ?

J’ai besoin de pouvoir ressentir mes émotions et de les vivre. J’observe mon entourage et m’en inspire – de là, je crée des idées, des sujets, des mots. Je pense que les mots viennent dans un second temps, après l’univers que je cherche à créer.

Qui sont tes rôles modèles ?

J’en ai quelques-uns, mais pour être plus précise dans mon domaine, j’ai trois rôles modèles qui reflètent la manière dont je crée, au-delà de la musique mais en termes de d’univers. Kanye West, Childish Gambino et The Weeknd. La manière dont leur musique est imbriquée dans leur univers visuel (qui est tout aussi important que la musique) est phénoménale et ça me donne envie de faire pareil à ma façon.

Te définis-tu comme féministe ?

Non. Je n’ai pas besoin d’une étiquette qui n’a pas été initialement conçue pour moi pour définir ma valeur en tant que femme. Bien sûr je crois en l’égalité, l’équité et l’équilibre. Mais je n’ai pas besoin d’essayer de m’élever aux standards du patriarcat pour me considérer comme égale. Je sais qui je suis et je sais d’où je viens… Si cela fait sens.

Quels sont tes projets à venir ?

L’album Godspeed en entier. : )

Que penses-tu de Madame rap ? Des choses à changer/améliorer ?  

Peut-être faire les interviews de visu ou via Facetime. J’ai l’impression qu’on peut plus se connecter les unes aux autres de cette manière.

Retrouvez Naya Ali sur son siteFacebookInstagram, YouTube et Bandcamp.

Jey Lowcy : « La danse et le rap sont deux parties de moi »

Née à Haïti, Jey Lowcy a grandi en Bretagne avant de passer cinq ans à Paris pour développer sa passion pour la danse hip hop. La rappeuse/danseuse nous parle de sa rencontre avec DJ Idem, de son univers artistique et de ses projets. 

Quand et comment as-tu découvert le hip hop ? 

J’ai commencé à faire de la danse hip hop super jeune. J’ai aussi graffé avec un crew de ma ville. J’ai toujours kiffé la musique hip hop. J’ai beaucoup été influencée par les rappeuses Nicki Minaj et Missy Elliott et forcément Diam’s en France. J’étais fan d’elle quand j’étais petite, je connaissais tous ses sons par cœur.

J’ai commencé à rapper vers l’âge de 11 ans. J’écrivais des textes en secret et quand je suis arrivée à Paris, où j’ai passé cinq ans pour la danse, j’ai rencontré des rappeurs et ça m’a donné envie de m’y mettre. J’ai rencontré DJ Idem qui m’a donné l’opportunité d’enregistrer en studio et de faire des clips.

D’où vient ton nom Jey Lowcy ?

Ça vient de ma sœur. Quand elle était petite, elle était fan de Jennifer Lopez (J-Lo). J’ai voulu garder ce délire d’enfance et j’ai rajouté « cy » à la fin. J’ai commencé à m’appeler comme ça au collège et c’est resté.

Tu as fait tes classes à Brest avec le groupe de danse TSC (Tous Styles Confondus) avant de fonder ton propre crew Bad Gals. Quelle place occupe la danse dans ta vie aujourd’hui ?

À Brest, j’ai fait une école qui s’appelle TMD (Techniques de la Musique et de la Danse). J’ai intégré l’école pour la danse classique, jazz et contemporaine, mais je voulais continuer à faire du hip hop. Du coup, j’ai intégré le groupe TSC avec un de mes meilleurs potes, Karma, qui est aujourd’hui un grand danseur à Paris. Avec eux, j’ai pu continuer à développer cet intérêt pour la danse hip hop.

En arrivant à Paris, j’ai eu envie de créer un groupe de ladies ! C’était mon activité à plein temps. Je donnais des cours de danse à des enfants, je continuais à prendre des cours à l’Institut International de la Danse. Quand j’ai commencé à rapper, j’ai mis la danse un peu de côté et maintenant je recherche vraiment la fusion des deux. Aujourd’hui, quand je monte sur scène, c’est avec mon Koala Gang, avec des danseurs, dont Karma. Quand je performe, il y a toujours de la danse et du rap. Ce sont deux parties de moi, je ne peux pas faire l’un sans l’autre.

Ton Titre Dans le truc a été produit par DJ Idem. Comment vous êtes-vous rencontrés et avec-vous collaborés ?

Dans un premier temps, j’ai rencontré le rappeur américain Yaweh. Une copine m’avait bookée sur l’un de ses clips en tant que danseuse. J’ai trouvé qu’il déchirait et à la fin du tournage, je lui ai demandé de me donner mon avis sur mon rap. J’ai mis une instru, j’ai kické, et il m’a dit « il faut absolument que je te présente quelqu’un ». Et cette personne c’était DJ Idem. J’ai rencontré DJ Idem quelques jours plus tard. Il m’a dit qu’il voulait bosser avec moi et m’a proposé de produire mon projet.

Comment composes-tu tes morceaux ? As-tu des thèmes de prédilection ou des rituels d’écriture particuliers ?

Ça dépend du moment. Si j’ai de l’inspiration, je n’ai pas besoin d’instru. À d’autres, ça va être un mood qui va m’inspirer et dès que j’ai quelque chose en tête, je le note dans mon portable. J’aime beaucoup me mettre dans a bulle aussi avec une instru en boucle et j’écris. Je n’ai pas de rituel en fait. J’ai eu une période trap, avec beaucoup d’énergie à dégager, vers 16-18 ans, sans vraiment de thème d’écriture. Maintenant, j’aime bien faire danser les gens. Il faut que ça bouge. J’ai aussi des textes plus intimes mais ils ne sont pas encore sortis.

Comment définirais-tu ta musique ?

Trap hip hop énervée ! Au début, je pensais que ma musique était vraiment pour une certaine audience mais quand j’ai fait des lives à Paris, il y a eu beaucoup de mamas africaines qui sont venues me voir et m’ont dit qu’elles adoraient la vibe afro que j’apportais. Je me suis dit que ma musique pouvait toucher tout le monde. Ce qui compte, c’est l’énergie que tu dégages, peu importe le style que tu fais. On m’a dit que j’étais un cocktail de vitamines et que ça faisait du bien que ça mettait le smile.

Quelles sont les femmes qui t’inspirent ?

Rosa Parks, Missy Elliott, Nicki Minaj, Diam’s, Aretha Franklin, Etta James, j’aime bien les femmes qui ont du caractère et qui pèsent. Ma mère et mes amies aussi. Beaucoup de femmes sont inspirantes au final.

Te définis-tu comme féministe ? 

Je ne me définis pas du tout comme féministe parce que je pense que ça ne veut plus rien dire et que ça va trop loin. À la base, je pense que le féminisme c’était pour une bonne cause. Par exemple, là je suis en Afrique, au Sierra Leone, et c’est assez compliqué pour les femmes ici. Elles n’ont pas la même liberté que nous. C’est vrai que le féminisme aurait sa place ici. Mais pour moi, on ne peut pas parler de féminisme en Europe. Quand on a envie d’ouvrir notre bouche en France, personne ne peut nous en empêcher. Je trouve qu’il faut arrêter de dire que les femmes sont les égales des hommes parce que ce n’est pas vrai. On est différents. On a d’autres qualités, on se complète. Je suis humaniste en fait. Je me bats pour les droits de tout le monde et je suis pour la liberté de tous. On a juste besoin d’accepter et respecter la liberté des autres. 

Quels sont tes projets à venir ?

Quand je rentre de Sierra Leone, où je suis pour construire le premier skate park d’Afrique de l’Ouest, je vais travailler sur mon EP trap et afro avec des clips et beaucoup de chorégraphies. J’ai envie de présenter tout ce que j’ai appris depuis ces années et d’exposer tout ce que je sais faire. J’aimerais inspirer les femmes à mon tour et leur montrer qu’on peut faire des trucs de ouf.

Que penses-tu de Madame Rap ?  Des choses à changer/améliorer ?

C’est une tuerie ! Madame Rap devrait être plus grand, plus connu et plus professionnalisé. Avec de vraies vidéos, du montage. Il faut que toutes les femmes qui font du hip hop puissent se tourner vers Madame Rap pour la promotion. Continuez, force et big up !

Retrouvez Jey Lowcy sur Facebook, Instagram et Soundcloud.

© Maxime Guillemeau

Playlist #14 – Confinement – 30 rappeuses britanniques

Découvrez notre playlist confinement #7 avec 30 rappeuses britanniques !

Avec :

  • Lady Leshurr
  • Kate Tempest
  • M.I.A.
  • IAMDDB
  • Paigey Cakey
  • Lady Sovereign
  • Monie Love
  • Yarah Bravo
  • Oracy
  • Speech Debelle
  • Stefflon Don
  • Lava la Rue
  • Ray BLK
  • Ms Banks
  • Little Simz
  • Nadia Rose
  • RoxXxan
  • Nolay
  • Shystie
  • Jaz Kahina
  • Poetic Pilgrimage
  • Estelle
  • IcyKal
  • Laayie
  • Aina More
  • Lady Lykex
  • Cookie Crew
  • Ruff Diamondz (RD)
  • Arcee
  • Shunaji

Playlist #13 – Confinement – 30 rappeuses francophones

Découvrez notre playlist confinement #6 avec 30 rappeuses francophones belges, suisses et québécoises !

Avec :

  • Shay (Belgique)
  • Lady Dielna (Belgique)
  • Kab & LIPASS (Belgique)
  • Kari Bee (Belgique)
  • Boa Joo (Belgique)
  • Nina Miskina (Belgique)
  • Sismik L’Amazone (Belgique)
  • La Guina (Belgique)
  • Dynämiite (Belgique)
  • Mewy (Belgique)
  • Zes Switch (Belgique)
  • KT Gorique (Suisse)
  • La Gale (Suisse)
  • Miss Terre (Suisse)
  • Tyriss (Suisse)
  • Aurélie Djee (Suisse)
  • Badnaiy (Suisse)
  • Ruby Red (Québec)
  • Marie-Gold (Québec)
  • Kayiri (Québec)
  • MCM (Québec)
  • Donzelle (Québec)
  • Sarahmée (Québec)
  • Bad Nylon (Québec)
  • Sensei H (Québec)
  • La Gamic (Québec)
  • Jenny Salgado (Québec)
  • Kella (Québec)
  • Yncomprize (Québec)
  • Princess Thuggysh (Québec)

IRA : « On fait du bruit avec des principes »

Basé à Madrid, le groupe de rappeuses IRA réunit quatre amies et militantes féministes et antiracistes. Raissa, Medea, Sátira et Elvirus  nous parlent de leur nouvel album El Duelo et de leur combat féministe à travers le hip hop. 

Quand et comment avez-vous découvert le hip hop ? 

On écoute toutes sortes de musiques depuis qu’on est petites. On a dû découvrir le hip hop quand on était ado. Dans les années 1990, le hip hop a connu un boom en Espagne, et on vit en ce moment un renouveau et une expansion de cette culture. À l’époque, on découvrait la musique alternative par des amis et les cercles proches, plus que par Internet. Aujourd’hui, grâce aux plateformes de musique en ligne, il y a un nombre infini de manières de faire de la musique hors du système capitaliste.

Comment avez-vous fondé IRA ?

La groupe a été plus ou moins fondé en 2014 et notre premier projet a vu le jour en 2015. On était un groupe d’amies et de militantes féministes et on a simplement décidé d’incorporer la musique à nos outils pour répandre et exprimer une réalité qui, à l’époque, était plus difficile à démontrer au monde. De nos jours, elle l’est toujours mais petit à petit, des concepts comme le « féminisme » ou le « patriarcat » se banalisent et sont acceptés. Ce qui semblait impossible il y a encore peu de temps.

Comment décrivez-vous votre musique ?

Comme on le dit dans l’un des titres de notre dernier album (Working, The Grief), on fait « du bruit avec des principes, beaucoup de classe et peu de cash ».

Vous venez de sortir l’album ​El Duelo​. Pour les non-hispanophones, pouvez-vous nous expliquer le concept de ce projet ?

El Duelo est un concept à part entière. C’est une extrapolation des phases de deuil (en termes de psychologie), un processus dont nous avons souffert une fois lancées dans ce combat pour le féminisme. Nous avons réalisé que nous vivions une série de phases, assez similaires aux phases de deuil après la perte d’un proche. Loin d’être linéaires, avec un début et une fin, ces phases sont cycliques. Une fois qu’on les a toutes surmontées, on revient à la première phase. Notre deuil représente la souffrance et la combattivité que nous avons investies quand nous avons découvert tout ce qui nous avait été confisqué en tant que femmes et tout ce qu’on ne nous rendra jamais. On apprend que l’on doit vivre avec cette perte, mais la colère et la souffrance ne cessent pas pour autant.

El Duelo rassemble les sentiments de victoire et de défaite que nous avons en voyant nos camarades se battre et abdiquer et voyant des femmes vivre et mourir. En voyant comment les femmes sont agressées sexuellement, assassinées, maltraitées et en sachant que nous serons témoins de ça jusqu’à notre mort, au moins pour ce qui est de nos générations.

Vous êtes souvent présentées comme des rappeuses « hardcore ». Est-ce que cette appellation vous convient ?

En fait, cette référence vient sûrement du style punk qui est présent dans notre musique, et la vérité est que nous avons grandi dans cet environnement, donc c’est inévitable que ça se ressente. Notre rap est généralement assez brut et nous ne sommes pas timides sur ce point. Les choses doivent être dites telles qu’elles sont, nous n’aimons pas les habiller pour n’ « offenser » personne. Nous parlons sans détours d’agresseurs, de sexistes, de misogynes. Tous ceux qui se sentent offensés par les termes mentionnés ci-dessus ont un problème, ou plusieurs haha.

Vous vous présentez comme « féministes et antifascistes ». En quoi le rap est-il un bon outil pour véhiculer ces idées ?

La musique est un bon outil pour véhiculer les idées ou le message que l’on veut. Le rap est de la poésie adaptée à une base instrumentale, ce qui la rend plus légère et suscite un plus grand intérêt chez les jeunes. Finalement, les gens qui construisent et développent leur idéologie sont des personnages politiques. Pour cette raison, c’est parfait pour véhiculer nos idées.

Il existe très peu de groups de rappeuses. Pourquoi selon vous ?

Il y en a sans doute plus qu’on ne le pense. Ce qui se passe peut-être, c’est que l’on voit toutes la masculinisation exacerbée de certains genres musicaux, on voit les difficultés que l’on va rencontrer si on essaie de se faire une place dans ce monde (les mêmes que dans beaucoup d’autres milieux), et ça nous décourage avant même d’avoir tenté quoi que ce soit. On nous impose des limites, en dépit du travail, du talent et des efforts que l’on investit. On se heurte au fameux « plafond de verre » et c’est ce qui nous éloigne de nos rêves.

Qui sont vos rôles modèles ?

On préfère ne pas donner de noms parce que notre histoire androcentrée nous fait nous souvenir de très peu de noms de femmes qui nous inspirent. Et celles dont on se souvient ont dû se battre durement et accomplir beaucoup de choses. En réalité, toutes les femmes qui travaillent à nos côtés nous inspirent, qu’elles soient connues ou pas. Celles qui se battent pour survivre face aux oppressions, celles qui sont en vie et celles qui sont mortes, celles qui excellent dans n’importe quel domaine, et celles qui ont été silenciées. Celles qui ont atteint leur but et celles qui ont abandonné. Toutes.

Quels sont vos projets à venir ?

Après la sortie de notre album, on devait tourner en Espagne et en Europe pour le présenter. Mais en raison du contexte actuel, de l’alarmante situation sanitaire et de la situation économique désastreuse, nous n’avons plus de travail et d’avenir dans la musique, tout du moins pour un future proche. De ce fait, on essaie de diffuser notre projet en ligne le plus possible, en espérant qu’on pourra reprogrammer notre tournée quand la situation sera plus stable.

Que pensez-vous de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?

On ne peut rien dire de négatif à propos d’un projet destiné à promouvoir la visibilité des femmes et de la communauté LGBTQ dans la culture hip hop. On aimerait que de tels projets ne soient pas nécessaires, mais comme ils le sont, on ne peut que vous dire merci.

Retrouvez IRA sur FacebookYouTubeInstagramTwitter et Bandcamp.

© Bigg 4 Studios