VIDÉO – 10 rappeuses marocaines à découvrir

Au milieu des années 80, la culture hip hop commence à émerger au Maroc. Bien que Al Kayssar soit le premier artiste à rapper en darija, arabe dialectal marocain, les femmes sont également actives sur la scène rap dès les années 90.

Considérée comme l’une des pionnières du genre, Widad Mjama (aka Queen Thug) devient en 1999 une figure de la scène casablancaise avec son groupe Thug Gang.

Également basé à Casablanca, Tigresse Flow est le premier groupe de rappeuses à voir le jour en 2005. Il est notamment composé de Soultana, ancienne B-girl qui poursuivra ensuite une carrière de MC.

Deux ans plus tard, Tendresse (Hanane Lafif) fait ses armes au sein des groupes phares Bclik et Xsid avant de se lancer en solo.

Depuis, le nombre de rappeuses n’a cessé de grandir dans le pays. Qu’elles soient influencées par le boom bap, la trap ou la drill, ces artistes racontent leur quotidien, relatent des histoires personnelles ou collectives, dénoncent les violences de genre et démontrent une fois de plus que le rap n’est pas réservé aux hommes.

Voici donc 10 rappeuses à découvrir, sélectionnées parmi les 25 artistes marocaines répertoriées sur Madame Rap.

 

Avec :

Ana Tijoux : « Je n’arrive pas à concevoir la séparation entre la musique et l’engagement »

Icône du rap hispanophone, la MC franco-chilienne Ana Tijoux est de retour avec l’album Vida, dix ans après la sortie de son dernier projet. Née en France suite à l’exil forcé de ses parents sous la dictature chilienne, la rappeuse dénonce depuis plus de vingt ans les violences faites aux femmes, les dictatures, le capitalisme et toutes les formes d’oppressions. Elle nous parle de son nouvel album, de sa tournée européenne et de son rapport à l’engagement.

Vida est ton premier album depuis dix ans. Pourquoi ce temps « off » et que s’est-il passé pour toi artistiquement parlant durant cette période ?

C’est vrai que dix ans se sont écoulés depuis mon dernier album. Je sais que ça a l’air énorme, mais quand on est maman, qu’on travaille beaucoup et qu’on est en tournée en permanence, je crois qu’on ressent le temps totalement différemment.

Je n’avais pas le temps de me poser, de créer, de me mettre dans une énergie de contemplation. J’étais en train de résoudre des histoires de travail et de dates.

En quoi ta musique a-t-elle évolué en dix ans ?

Je ne sais pas si c’est une évolution, mais je me sens plus libre dans le sens où je me permets de faire des choses que je voulais faire mais que je n’osais pas trop faire. Là, au contraire, je sens une sorte de liberté qui me permet d’explorer des rythmes que je n’aurais peut-être jamais explorés avant.

Tu décris ton single « Niñx » comme « un manifeste pour l’enfant que nous avons tous en nous. » Qu’est-ce qui t’a inspiré l’écriture de ce morceau ?

En fait, “Niñx” est un morceau que j’ai écrit pour ma fille, mais que je me suis aussi écrit à moi-même. Je me rappelle quand j’étais gamine et que je regardais les adultes, je me disais que je ne voulais pas être comme eux. Et finalement, on devient eux sans le vouloir.

Je crois qu’une des choses qui me plait le plus dans la musique, c’est que quand je compose ou quand je suis dans ce état plus créatif, cette petite fille est encore émue. Elle contemple les choses avec ce regard que l’on porte tous.

J’ai écrit ce titre pour ne jamais oublier les raisons qui m’ont poussée à créer, à prendre la plume et à rapper.

Le clip est signé de la réalisatrice chilienne Camila Grandi. Comment vous êtes-vous rencontrées et avez décidé de travailler ensemble ?

J’avais vu son travail sur les réseaux et je trouvais ça vraiment super. Elle a une esthétique super intéressante, avec une identité très propre, qui lui appartient. Je lui ai écrit tout simplement, elle m’a répondu, et ça s’est fait comme ça.

Tu es également en tournée européenne. Comment se passe ce retour sur scène ?

Je crois que c’est ce que je préfère : pouvoir jouer les morceaux, leur donner une vie propre, les faire sonner en live. Ils changent énormément, il y a une grande amplitude.

Avec le live qu’on est en train de créer, de composer, d’approfondir, on essaye de proposer quelque chose de dansant, en tout cas très rythmique au niveau du BPM. Ce sont des tempos assez rapides en général.

Depuis tes débuts dans les années 2000, tu t’es sans cesse mobilisée contre les violences faites aux femmes, les dictatures, le capitalisme et toutes formes d’oppressions. En quoi le rap te permet-il de mener tes combats politiques ?

Dans mon univers, je n’arrive pas à concevoir la séparation entre la musique et l’engagement. Avec les musiciens qui me plaisent et qui m’interpellent, on met toujours certaines questions sur la table. Je crois que dans ces moments assez violents pour le monde entier, il y a beaucoup de choses à dire et à dénoncer.

Je pense que le féminisme est un thème qui touche toute l’humanité. C’est super intéressant de voir comment ma génération, la génération plus âgée que la mienne, et les générations plus jeunes sont connectées par cette lutte. C’est la raison pour laquelle elle est si forte aussi.

À l’inverse, en quoi tes combats politiques nourrissent-ils ton rap ?

Je dirais que les combats politiques me nourrissent en tout parce que c’est une sensibilité vis-à-vis de ce qui se passe autour de moi.

Le problème de la Palestine et les les violences permanentes envers le peuple palestinien ont toujours été présentes, mais tout a re-explosé de manière très violente depuis octobre 2023. Je crois que c’est le moment de prendre position et de s’unir contre ce génocide.

C’est le moment où le rap doit être engagé. C’est ce rap-là qui me parle en tout cas : ce sens de l’humanité et le fait d’avoir un minimum d’empathie minimum vis-à-vis d’autres êtres humains.

Quel regard portes-tu sur la scène rap française actuelle ?

Comme j’ai vécu assez longtemps en Amérique Latine et que j’ai bougé à Barcelone, j’écoute plein de choses différentes. Après, j’oublie comment ça s’appelle, je suis mauvaises avec les noms. Mais il y a une nouvelle génération qui a la patate.

Mon fils de 19 ans écoute énormément de rap français et c’est surtout lui qui me fait découvrir ces nouvelles générations super intéressantes et de nouvelles rappeuses aussi.

De manière générale, comment le public chilien accueille-t-il les rappeuses ?

Il y a une scène super envoûtante, qui permet à toute cette nouvelle génération de rappeuses de participer. Il y a plein de rappeuses hallucinantes au Chili, comme Irina Doom, RVYO, Rayo Kuza, 22Ruzz, Flor de Rap, LaMisty, Ambar Luna… Il y a une liste énorme.

Mais ce qui est intéressant, c’est qu’il y a de tout. Il y a des machos, des gens assez fermés, il y en a partout. Mais je crois que la nouvelle génération est beaucoup plus ouverte à écouter cette nouvelle vague de femmes qui ont énormément de messages transmettre et à mettre en avant.

Ton public est-il différent en France et au Chili ?

Je dirais oui et non. J’ai du mal à répondre à cette question parce que je crois que la sensibilité va au-delà des pays. Même si je joue à Detroit ou en Colombie, il y a un truc qui passe. Je crois que c’est la magie de jouer sur scène. C’est qu’au-delà des nationalités, il y a un truc qui passe.

Que peut-on te souhaiter ?

Continuer de faire de la musique et d’apprendre. Apprendre, c’est tellement infini et tellement beau. De grandir musicalement, de pouvoir collaborer encore avec des musiciens et des musiciennes hallucinantes autour du monde. Et surtout de grandir. Je crois que ça serait un beau souhait.

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© Inti Gajardo

Playlist #59 – Mars 2024

Découvrez notre playlist #59 sur YouTube, Spotify, Deezer et Apple Music avec 20 titres de rappeuses et rappeurs·euses LGBT+ du monde entier !

 

Avec :

🇨🇴🇫🇷 La Valentina
🇫🇷 Eesah Yasuke & 🇨🇦🏳️‍🌈 Haviah Mighty
🇫🇷 2L
🇫🇷 XXFLY (Eris, Shadéblauck, Jomei, Double C, Supa & Skar Leina)
🇫🇷 La Giu & Juste Shani
🇫🇷 Leys
🇹🇳 Medusa TN
🇱🇧🇦🇪 N1yah
🇩🇪🏳️‍🌈 Badmomzjay
🇰🇿 Say Mo
🇲🇾 Zamaera
🇯🇵 MFS
🇪🇸🏳️‍🌈 Tribade
🇩🇴🇪🇸 Ariana Puello
🇨🇱 Flor de Rap
🇨🇦🏳️‍🌈 Lex Leosis
🇨🇦 Tommy Genesis & 🇨🇳🇺🇸 Alice Longyu Gao
🇺🇸 Kierra Luv
🇺🇸 Lola Brooke
🇺🇸 Steph G

Masta Quba : « Il n’y a jamais eu de hip hop sans nous, femmes »

Figure majeure de la scène musicale féministe mexicaine, Masta Quba se définit commme une « MC et une éducatrice ». Active depuis 18 ans, elle utilise le rap comme outil de résistance et de transmission pour dénoncer les violences de genre et le racisme systémique. Actuellement basée à Barcelone, la rappeuse nous parle de son processus créatif, de l’importance de faire communauté et de la perception des rappeuses au Mexique.

Comment et quand as-tu découvert le hip hop ?

J’ai découvert le hip hop grâce à MTV quand j’avais 14 ans. Je n’oublierai jamais la première sensation que j’ai ressentie en découvrant le rap. La première chanson que j’ai entendue était « El Juego Verdadero » de Tiro de Gracia, un groupe de rap chilien. Pour moi, c’était un ressenti, je ne pouvais pas l’expliquer. Plus que tout, je pense que le hip hop m’a découverte. Et à partir de ce moment-là, je n’ai plus cessé d’en écouter.

J’ai commencé à acheter des disques pirates dans les marchés ambulants de mon quartier et à télécharger de la musique quand il n’y avait pas encore YouTube ou toutes ces choses. C’est comme ça que le hip hop est venu à moi. Je ne l’ai jamais lâché depuis que j’ai 14 ans, et maintenant j’en ai 36.

Es-tu autodidacte ou as-tu reçu une éducation musicale ?

Je n’ai reçu aucune formation musicale. En fait, tout vient de mon expérience et de ma bonne oreille musicale. Je voudrais prendre des cours de chant, de piano ou à un moment donné apprendre à produire, acheter une machine et tout le reste. Mais la vie m’a prise de vitesse et je n’ai pas encore réussi à avoir les moyens nécessaires pour acheter ou investir dans une formation musicale plus formelle.

Je pense que c’est la beauté du rap : tout le monde peut en faire. Tu as juste besoin d’un stylo, d’un papier et d’une histoire à raconter. C’est bien qu’à un moment donné, on commence à s’éduquer musicalement, qu’on évolue et qu’on puisse se former davantage.

Mais il faut aussi comprendre que les formations musicales classiques ne sont pas accessibles à tout le monde.

Réussir à se payer une académie ou une école dépend beaucoup de qui tu es et de ta classe sociale. Moi, je fais de la musique de manière informelle. Ce sont les années qui m’ont aguerrie.

Tu as commencé à rapper en 2007 dans des freestyles essentiellement masculins. Qu’est-ce qui t’a poussé à participer à ces événements et comment as-tu été accueillie ? 

J’ai commencé à rapper de manière plus officielle en 2007. C’est la première fois que j’allais à un événement de reggae/rap où il y avait Alika et Nueva Alianza.  Les gens faisaient la fête, profitaient de la soirée, et j’ai vu un cercle d’hommes qui faisaient un freestyle. J’ai reconnu les quatre temps, le boom bap et l’ambiance hip hop. Je suis allée les encourager.

À partir de là, je suis devenue amie avec ces gens, qui étaient pour la plupart des hommes. En fin de compte, pour beaucoup de femmes qui ont commencé dans les années 2000 ou 1990,

notre seule option pour faire partie de la culture était d’être avec des hommes.

J’ai été bien plutôt bien accueillie.

Plus tard, quand j’ai commencé à développer un socle politique, ces mêmes hommes se sont moqués de moi parce que je prenais des positions féministes ou antiracistes, parce que j’arrêtais de freestyler et que je commençais à faire des chansons avec un contenu plus politique et introspectif… 

Tu te définis comme une rappeuse et une activiste hip hop. Selon toi, quelle est la différence entre les deux ?

Je me définis comme une MC et une activiste hip hop parce que je pense que l’activisme est quelque chose qui doit rester vivant. Je peux être MC comme maîtresse de cérémonie lors d’un événement et me donner à fond sur scène. Mais pour moi, l’activisme, c’est aussi être présente partout.

Je suis éducatrice, je donne des ateliers de hip hop pour les femmes, les filles, les enfants ou mixtes avec une perspective de genre, de classe et de race.

Pour cette raison, je me définis comme une activiste. C’est ce qui permet de passer de la théorie à l’action. Pour moi, il ne suffit pas de dire que je fais du hip hop ou du rap si je ne peux pas faire 1000 autres choses qui ont à voir avec la culture en tant que telle.

Parce qu’en fin de compte, le hip hop ne se résume pas seulement au rap. Pour moi, rapper est une chose, mais respirer, vivre et faire du hip hop tous les jours en est une autre. Parce que c’est dans ta vie quotidienne, dans tes actions, dans la façon dont tu aides les autres et dont tu te mêles à ta communauté.

Quelle est ta définition du hip hop féministe ?

Il y a sept ans environ, j’avais une approche très tranchée et j’aimais dire que je faisais du rap féministe. Au fil des années et du socle politique que j’ai acquis, les gens qui m’entouraient ont fait évoluer un peu mon discours en lien avec mon mode de vie.

Plutôt que de qualifier le rap que je fais de féministe, je préfère l’appeler simplement hip hop.

Parce dans le fond, si ce n’est pas féministe, antiraciste, anticolonial, ou politique, pour moi ce n’est pas du hip hop. Je m’en remets à moi.

Donc je pense que n’importe quelle femme aujourd’hui peut se mettre à rapper en l’honneur de toutes les femmes qui ont rappé depuis que ça a commencé. Parce que nous n’avons jamais été minoritaires et il n’y a jamais eu de hip hop sans nous. Et le jour où nous nous partirons, il n’y aura plus de hip hop. Mais je pense qu’un hip hop féministe va de pair avec un hip hop antiraciste et un hip hop anticolonial et anticapitaliste.

De quel courant féministe te sens-tu la plus proche ?

Si je devais choisir vers un courant féministe, ce serait un féminisme noir anticolonial, antiraciste, anticapitaliste, anti-impérialiste et anticolonialiste.

Tu utilises le hip hop comme outil artistique dans le cadre de tes ateliers et de tes conférences. À quel type de public ces événements s’adressent-ils et comment les participants réagissent-ils ?

Oui, j’utilise le hip hop comme un outil dans le cadre d’ateliers et de conférences. Personnellement, je les destinerais à tout le monde. Mais il est évident que tout le monde n’est pas dans la même situation ou au même niveau politique.

Cela ne veut pas dire que c’est mal ou bien mais désormais j’ai appris que je résonne avec qui résonne avec moi.

La façon dont nous pensons ou les courants auxquels nous nous identifions ne sont jamais isolés.

Tu trouveras toujours un·e collègue avec qui tu pourras t’entendre.

Les ateliers s’adressent à de nombreux lycées parce qu’on aime beaucoup travailler avec des adolescents. On pense que c’est là que l’on peut semer une graine pour leur fournir plus d’outils. Surtout, à notre époque actuelle, qui est tellement technologique, déconnectée de l’introspection et de la création de sa propre identité.

Les ateliers s’adressent aux jeunes, aux femmes et à toustes celles·eux qui veulent raconter leur histoire et entrer en résonance avec un discours politique où tous les mondes s’accordent. Et où toutes les personnes ont des droits.

D’un point de vue musical, comment décrirais-tu ta musique ?

Je décrirais ma musique comme une musique qui vit, raconte, met mal à l’aise, questionne, accompagne, évolue, grandit, se développe, change et se transforme.

Je crois aussi que j’ai beaucoup progressé. Au niveau de mon rap, de ma technique, des productions et de la qualité de mon projet. En définitive, je pense qu’au-delà des textes, mon projet est aussi très intéressant.

Comment écris-tu habituellement tes textes ? Quel est ton processus de création ?

Au lieu de m’asseoir pour voir ce que j’écris, je m’assois parce qu’il faut que j’écrive. Pratiquement toute ma musique vient de l’histoire de ma vie, de ce qui me traverse ou ce qui traverse le monde. En réalité, je porte toujours un regard très politique sur ce qui nous détruit mais aussi beaucoup de réconfort et d’introspection, ce qui reste politique parce que le personnel est politique.

Mon processus consiste à ouvrir des blessures à les nettoyer, les traiter, les guérir, et c’est comme ça que les histoires que je raconte sortent.

J’ai aussi besoin d’avoir un rituel : accrocher une bougie, de l’encens, être seule, il faut aussi qu’il fasse nuit.

Et d’un point de vue technique, je commence d’abord par jouer avec le beat, fredonner, tester des flows, puis j’ajoute des paroles.

Mais pour écrire, j’ai besoin d’avoir vécu une expérience pour la raconter. Je n’ai jamais écrit quelque chose de fictif que je trouvais magnifique. Mon processus vient d’une histoire, du fait de me raconter moi-même.

De quel(s) morceau(x) es-tu la plus fière à ce jour et pourquoi ?

De pratiquement tous. Il y a certaines chansons qui continuent d’être plus importantes, étant donné leur histoire et leur impact. Par exemple, « Nosotras tenemos otros datos », où je parle de l’augmentation du nombre de féminicides au Mexique liée à la pandémie :

11 femmes sont assassinées au Mexique chaque jour.

Il y a une chanson sur l’avortement où je raconte la manière dont je me suis auto-accompagnée lorsque j’ai avorté en 2017. J’ai accompagné beaucoup de filles et de potes qui ont traversé ces mêmes épreuves parce que les femmes avortent. Et la lutte continue pour faire comprendre que c’est un droit humain.

« Despiertas » est aussi une chanson que j’aime beaucoup parce que la production musicale était très lourde. On était dans un très grand studio et elle été mixée en Dolby Atmos, ce qui était une première pour moi.

« Autodefensa » et « Rebobina » sont également des chansons importantes pour moi.

En fait, je chéris chaque morceau et je me rappelle que je dois en être fière.

Je me rappelle qu’il est important que nous, femmes, nous reconnaissions à notre juste valeur.

Parce que cette société nous laisse parfois penser que se reconnaître à sa juste valeur relèverait de l’arrogance ou de quelque chose comme ça.

Comment le public mexicain accueille-t-il les rappeuses ?

Au Mexique, le niveau de machisme et de misogynie est très élevé.

Pour être reconnue en tant que rappeuse, il faut correspondre au stéréotype que les rappeurs ont créé.

En d’autres termes, les rappeurs mexicains ont en tête un cliché de ce à quoi doit ressembler une rappeuse, et si tu ne corresponds pas à ce stéréotype, ils te rejettent.

Tu dois obéir à certains canons de beauté et à certains thèmes. Si tu es une rappeuse féministe, tu subis toute la haine et les moqueries parce que le Mexique est encore très en retard sur ces questions.

Si tu es une rappeuse non féministe mais que choisis de montrer ton corps, parce que tu en as tout à fait le droit et parce que c’est naturel, ils te voient comme la rappeuse qu’ils veulent baiser et ça s’arrête là pour toi.

Pour eux, il y a des rappeuses qu’ils veulent baiser et des rappeuses qu’ils ne veulent pas baiser. C’est comme ça que je le résumerais. Je le vois avec mes collègues rappeuses. Parfois, celles qui sont respectées sont les petites amies d’un autre rappeur respecté.

Tu as participé à plusieurs morceaux avec des rappeuses mexicaines ou hispanophones. En quoi est-ce important pour toi de collaborer avec d’autres rappeuses ?

L’année dernière, j’ai fait beaucoup de collaborations. Pour moi, c’est vraiment une question de réseau. L’industrie musicale choisit toujours ceux qu’elle place au « sommet ». L’idée de succès a été créée par l’industrie pour ne jamais être atteinte. Un rap politique d’homme, de femme, ou dissident a peu de chances d’être vraiment populaire.

La seule façon pour nous de grandir est de nous regarder les unes les autres. Et c’est ce que je fais. Cela ne me dérange pas de travailler. En ce qui me concerne, je ne regarde pas les chiffres parce que c’est du vent. Je regarde l’énergie des gens, si elle circule et si nous nous comprenons, si nous avons des choses en commun, s’il y a une admiration mutuelle….

Et pour moi, c’est important parce que je pense que c’est la seule façon de construire un réseau.

Pour nous soutenir entre femmes, il n’y a pas d’autre moyen que de créer une communauté.

En tant qu’artiste, quels sont les principaux obstacles que tu as rencontrés ou que rencontres ?

Je pense que ça a toujours été l’industrie musicale. Demain, s’ils suppriment tous mes profils Spotify et YouTube, je continuerai à faire de la musique. Parce que c’est quelque chose que j’ai fait toute ma vie et je ne me vois pas faire autre chose.

C’est ma nourriture pour continuer à exister dans un monde aussi affreux que celui dans lequel nous vivons actuellement.

Quels sont tes projets à venir ?

Parmi mes projets à venir, il y a mon album. Je vais commencer par partager deux ou trois titres avec des featurings, que j’ai en attente depuis l’année, Ensuite, si tout se passe bien et que les étoiles s’alignent, je pourrai le sortir cette année. Il y a de très belles choses à venir sur cet album.

C’est mon premier album solo. J’ai sorti mon premier album en 2022 avec P. Jaguar, qui est mon partenaire, et je l’ai fait avec lui, tous les deux 50/50 en termes de rap et de tout le reste. P. Jaguar est à nouveau sur cet album, c’est lui qui a produit tous les morceaux.

Il y a aussi quelques concerts et une tournée à venir. Si tout se passe bien, certains de mes morceaux seront dans deux séries Netflix qui sortent cette année. Je brûle un cierge pour que tout ça se réalise !

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oXni : « Ce qui m’importe, c’est que les idées circulent »

Originaire du sud de la France et basé·e en Ile-de-France, oXni se définit comme artiste multimédium. La·e rappeuse·eur pansexuel·le et non-binaire nous parle de son univers hétéroclite, de son féminisme, de son rapport au rap et de son nouvel album qui sortira cette année.

Pourquoi avoir choisi les noms Oxytocine puis oXni ?

J’ai un “vécu” de meuf parce que j’ai été traitéx comme telle, mais je n’ai jamais eu l’impression d’en être une – ni trop su ce que ça voulait dire d’ailleurs. Tous les pronoms sont ok ! Je me genre moi-même au “X”, la variable inconnue en math. D’où oXni : objet « X » non identifié. Je genre mes potes comme ça aussi parce qu’on mérite toustes de sortir de la binarité !

Je cherchais quelque chose qui fasse un peu référence à la science, un truc acide, mordant. L’ocytocine est l’hormone de l’accouchement et c’est un peu comme la création finalement : une idée nous féconde, on la porte en gestation puis on l’accouche. L’ocytocine, c’est aussi l’hormone du lien social et celle qui inhibe la peur : c’est une hormone antifa !

Mais au bout d’un moment , j’ai eu envie d’en changer. Déjà parce que ça renvoie fortement à la biologie des corps et aux chromosomes XX. Je cherchais un blaze plus androgyne et personnel. C’est une évolution : Oxytocine a accouché de oXni. Ça marque aussi le passage du projet à une autre échelle.

oXni, ça sonne chelou. C’est une bestiole, un Objet X Non Identifié – ni homme ni femme, métamorphe, incasable. L’idée d’”objet” m’intéresse, c’est ce à quoi on a été assigné·es, mais en tant qu’objet variable, inconnu et non-identifiable, je reste non-appropriable, hors des radars. Même mon costume renvoie à ça : il se transforme selon la couleur de la lumière qu’on lui envoie. Il peut aussi me rendre invisible.

Quand et comment as-tu commencé à faire de la musique ? As-tu reçu une éducation musicale ? 

J’ai commencé à écrire des chansons en primaire. J’en écrivais sur tout. Au début, des histoires mignonnes de petits animaux auxquels il arrive des mésaventures. Puis, je me suis misx à écrire sur les adultes autour de moi, je leur inventais un surnom et je les caricaturais : je me foutais de leur gueule. J’aimais bien piquer, déjà.

Par la suite, j’ai surtout écrit des trucs obscènes, de type pas-de-mon-âge. J’étais chelou et ça gênait les adultes donc iels ont plutôt cherché à me faire taire ! D’ailleurs c’est en partie ces chansons “salaces” qui m’ont values de me faire virer de chez moi pendant quelques mois à mes 13 ans. J’avais pris des cours de chant mais j’ai arrêté un peu à cette période pour me consacrer pleinement à faire des conneries.

À part ça je n’ai pas de formation musicale, je ne sais pas lire le solfège ni jouer d’aucun instrument.

Quand je suis arrivéx à Paris je me suis remixse à rapper et chanter. Je freestylais avec des potes ou j’allais solo aux quais de Jussieu rapper avec des inconnu·es qui savaient jouer de la guitare. Je ne traînais qu’avec des mecs et j’avais tendance à les tailler dans mes paroles donc ce n’est pas vraiment eux qui m’ont pousséx non plus !

Tout a changé quand j’ai découvert la MAO. Ça m’a rendu autonome ! Ensuite, c’est surtout la scène queer et féministe qui m’a fait jouer au début. J’ai adoré le live, direct.

Quels étaient tes rôles modèles en grandissant ? 

Dans l’enfance et l’adolescence, je me sentais plutôt garçon et j’avais du mal à trouver des modèles féminins qui me parlent. J’ai grandi dans un petit village tranquille du sud de la France mais j’avais une enfance difficile et j’étais vénère. C’est dans le rap que je trouvais de l’écho à ce que je ressentais.

Je m’identifiais à des personnes dont les vies avaient finalement peu à voir avec la mienne. Genre à Eminem. Je ne comprenais presque rien à ses paroles mais je me reconnaissais dans l’aspect weirdo « seul contre tous », mère-célibataire, enfant unique tout ça. Par son flow, sa colère faisait écho à la mienne.

Peut-être que le modèle féminin qui m’a le plus parlé était Diam’s. À part quelques morceaux, elle ne parlait pas tant que ça d’amour, ni des hommes, mais surtout du monde autour d’elle. J’aimais aussi qu’elle ne mette pas son physique en avant : elle rappait pour qu’on l’écoute, pas pour qu’on la mate. C’est ce que je vise aussi.

Mais on a souvent l’impression qu’il faut d’abord attirer les regards pour qu’on nous prête l’oreille…

Donc je ne blâme vraiment pas les meufs qui font autrement.

Plus tard, Despentes a été une grosse révélation. En parlant depuis la marge de la “féminité”, elle m’a donné le courage de m’en foutre moi aussi.

Aujourd’hui, j’admire beaucoup Casey, pour son travail en tant qu’artiste mais aussi pour la pertinence et la cohérence de ses analyses, elle a vraiment une boussole. Globalement, ce sont des personnes qui prennent des risques et ne se cantonnent pas aux domaines auxquels on les assigne – ce qui les condamnent à être exclues du mâle gaze – dont elles sortent d’ailleurs volontiers !  

Quel est ton rapport au rap ?

J’ai toujours écouté du rap et j’en écoute encore beaucoup. Un peu de rap US et espagnol, mais principalement du rap français. J’ai toujours eu un peu de mal avec les chansons aux paroles creuses donc ce truc de langue vraiment “vivante” m’a accroché direct.

Ça a aussi été un vecteur de politisation ! Je me souviens quand j’ai entendu “Nés sous la même étoile” de IAM pour la première fois. Je vivais des injustices, mais pas celle-ci, pas la vraie galère financière. Ça avait bouleversé ma compréhension du monde. Pourtant, j’étais très jeune. C’est énorme le potentiel que ça a !

Sur les questions purement musicales, j’aime bien les univers de Asinine ou Adès The Planet. J’aime beaucoup Eesah Yasuke, ses textes profonds qu’elle pose sur des prods assez hybrides, elle invente vraiment un truc.

En ce moment, j’écoute aussi cette nouvelle vague où le texte redevient central, mais avec un truc plus personnel. Un peu l’héritage de Népal. Les Luther, Selug, Wallace Cleaver, Bekar. J’aime bien cette vibe moins égo-trip, d’ailleurs comme Népal.

Il y a ce truc dans la nouvelle génération où certains rappeurs ne montrent pas leurs visages. Je trouve ça cool, mais j’ai l’impression qu’en tant que “meuf” c’est plus difficile de faire ça.

On est trop assigné·es à notre physique et à l’image qu’on renvoie.

C’est relou parce que ça demande aussi plus de taf sur les réseaux Plus de taf. Comme d’habitude.

Parfois certaines réflexions sexistes me dérangent, mais je suis hyper fan de Damso par exemple, et j’ai du mal à y renoncer malgré ses phases… J’ai l’impression que ce n’est pas si représentatif du rap, mais comme c’est chez les “gros” (Niska, Koba LaD, Zola, Booba…) les gens qui en écoutent peu ont l’impression que c’est dans l’ADN du style ! Alors que des gars comme La Fève, H Jeune Crack, So La Lune, Zuuku Mayzie, Khali et beaucoup d’autres ne sont pas vraiment là-dedans ! Chez certains comme Joysad ou même Jul, il y a même un truc très sentimental.

Après j’avoue, les textes, c’est rare que je sois vraiment transportéx. J’ai du mal à trouver de la complexité… Je ne sais pas, c’est le poids des algos des plateformes qui poussent à sortir de la nouveauté tout le temps et donc à produire vite. Ou juste le fait qu’on vive dans une société post-moderne où on ne croit plus en rien (et ça se comprend) ou tout ça à la fois. Mais c’est un peu frustrant.

Tu te présentes comme auteure-rappeureuse-chanteureuse-compositeurice- producteurice & vidéaste-réalisateurice-scénariste. En quoi est-ce important pour toi de contrôler ton projet et ton image ? 

Dis comme ça c’est vrai que c’est long haha ! Souvent je dis que je suis artiste multimédiums. Je faisais et écrivais plutôt des films jusqu’à la naissance d’OXYTOCINE mais depuis quelques années, j’implique tous mes médiums (et tout mon temps) dans ce projet.

C’est une proposition “totale” : musique, texte, vidéo, narration, graphisme, performance participative. Mes clips sont plus des concepts qui approfondissent l’idée que des endroits où je cherche à travailler mon image ou à produire du « beau ». Ce qui m’importe, c’est que les idées circulent. Je mets l’esthétique et tout le reste à leur service.

Je n’ai jamais vu ça comme un besoin de contrôle, plutôt comme un désir de faire. Je n’ai pas fait d’école d’art ou de musique donc j’étais habitué·e à faire mes trucs en solo. Je ne voulais pas attendre qu’une institution me valide, m’aide, ou me file un budget et je ne voulais pas exploiter mes potes. Je bossais déjà comme vidéaste donc je savais filmer et monter puis j’ai appris à m’enregistrer, proder… Et comme ça ne me dérange pas de travailler 12 heures par jour, c’était possible !

Depuis 2020, j’ai réalisé 15 clips pour le projet, chacun avec son concept.

Être autonome m’a permis d’être libre, de développer un univers très singulier, authentique et polymorphe.

À créer mon monde plutôt que de chercher à correspondre à une « scène ».

D’ailleurs, je joue autant sur des scènes rap, pop que sur des scènes “cinéma / art-vidéo”, dans des espaces militants anticapitalistes, queer et féministes, sur la scène littéraire et même dans des biennales d’art contemporain !  C’est ce qui m’intéresse, faire des ponts, rester métamorphe. Je savais où je voulais aller et ça aurait été plus difficile à expliquer qu’à mettre en place donc je l’ai fait direct !

Maintenant que mon univers est construit, j’ai envie d’y faire entrer d’autres personnes, pour me concentrer sur l’écriture et le live mais surtout parce que la collab’ apporte beaucoup !

Tu as écrit le titre « Lettre à vos ordres » après avoir été blessé·e par un coup de matraque en manif. Selon toi, en quoi le rap permet-il de relater ou de dénoncer des problèmes sociétaux tels que les violences de genre et les violences policières ? 

C’est un peu dans l’ADN du rap je pense : c’est la forme artistique des “opprimé·es” par excellence – et ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les “élites” la méprise autant. Il y a ce truc de la rhétorique. Ça va vite et ça laisse le temps de débiter des idées.

La punchline qui se rapproche du slogan : efficace, qui interpelle. C’est l’outil de “vulgarisation” ultime, c’est pour ça que je l’ai choisi. Même si c’est vrai que ça m’a questionné à un moment, l’idée de “faire du rap” en tant une “petite” ““meuf”” blanche. Je bénéficie peut-être de cette gentrification du rap et en même temps Diam’s et Keny Arkana étaient déjà là quand j’étais jeune. Et puis moi aussi j’ai de la colère à exprimer et je ne saurai pas où la foutre si je ne faisais (que) de la pop.

À ce que j’ai vu dans je ne sais plus quel docu, c’est la forme artistique la plus pratiquée dans le monde. Et c’est logique : c’est facile d’accès à pratiquer (pas besoin de matériel ni de skills préalables) et à consommer (ça circule facilement et gratuitement). Même si pour se perfectionner ça demande beaucoup de travail !

Mais il n’y a pas “d’école de rap”, c’est une forme qu’on ne peut pas institutionnaliser.

Vu que le concept c’est dire ce qu’on pense – comme dit Casey “je passe mon temps à donner mon avis alors quon ne me l’a pas demandé” – le rap c’est un peu un thermomètre de la société, mais sans passer par les médias et autres “expert·es”.

Je mène parfois des ateliers écriture / freestyle & rec’ et peu importe le public. Ça arrive très vite à un truc de dénonciation. Par exemple, j’ai bossé avec des personnes handicapées et très vite elles ont parlé de leurs conditions de vie et du mépris des valides à leurs égards. Et c’est vrai que ce sont des personnes qu’on entend très peu !

Le rap est souvent réaliste, il parle du réel – depuis la marge – et c’est de la marge que viennent les réflexions les plus pertinentes sur les normes et donc sur la “société”.

Mais c’est vrai que ça a changé, ou plutôt que d’autres choses ont émergé ! Peut-être que les rappeur·euse·s en ont eu marre aussi d’être assigné·es à leurs milieux et au taf de dénoncer, pendant que les blanc·he·s et/ou les privilégié·es pouvaient tranquillement se laisser aller à l’introspection et à l’abstraction.

Ou peut-être que le rap s’est juste gentrifié ? En tous cas les rappeur·euse·s parlent plus à la première personne, en tant qu’individus. Moins au nom d’un “groupe” ou d’un milieu.

Mais finalement, la question sociale est souvent là quand même, en sous-texte, même dans des esthétiques plus “émotionnelles” et introspectives – comme chez PNL. Ça n’a pas besoin d’être premier degré, ni d’être théorisé. Il y a souvent encore dénonciation mais peut-être moins “revendication” – dans le sens d’adresse direct aux politiques ou appel à un mouvement collectif. Parce qu’il y a moins d’espoir sûrement… Mais ça c’est l’époque dans son ensemble.

Mais je me dis que dans le contexte actuel, avec la montée de l’extrême droite partout, toutes les lois racistes et antisociales qui passent, le génocide en Palestine, j’ai l’impression que le rap qui réfléchit et questionne le monde autour va reprendre une place plus importante, enfin j’espère ! Ça peut participer à “politiser” la jeunesse.

Dans ce domaine, ce que fait Médine est hyper important. D’autant plus qu’il est très explicite et il prend des risques en termes d’image, notamment en s’associant clairement à des mouvements politiques. Et on voit d’ailleurs comme il est diabolisé par les fachos et même jusqu’à certain·es de la gauche bourgeoise. Mais on a besoin de ce genre de figures, nos mouvements ont besoin de BO !

Comment décrirais-tu ton propre féminisme ?

Le féminisme m’a fortement empouvoiréx, mais ça s’est fait aussi grâce et à travers des mouvements collectifs ! Je ne sais pas si j’aurais écrit “Les baisers volés” sans MeToo. À cette époque, je trainais beaucoup dans des mouvements non-mixtes et ça m’a aidéx (j’ai d’ailleurs fait un film sur cette époque, il sort bientôt) ! On est pris·es dans une “vague” – une masse en soulèvement – on la forme toustes ensemble et elle nous transforme chacun·e.

Ma vision du féminisme repose plus sur un vécu commun – de dominations, violences et diktats qu’on nous a imposés en raison de notre sexe d’assignation ou notre apparence – qu’à une identité de “femme”. C’est un féminisme queer, inclusif évidemment des personnes trans et aussi des mecs gays à qui le système patriarcal ne fait pas de cadeaux !

Après dans l’idéal, je me dis que le féminisme libèrerait tout le monde. Avec cette idée héritée d’Aimé Césaire que l’oppression déshumanise aussi celleux qui en profitent. C’est important de le connecter à d’autres faits sociaux et de pas tomber dans des analyses caricaturales type “les hommes” vs “les femmes”, qui amènent des féministes blanches à dire des énormités du genre qualifier le mouvement de révolte après le meurtre de Nahel d’acte de “masculinité toxique”.

Le féminisme est un prisme d’analyse qu’on ne peut pas déconnecter des autres rapports d’oppression : le (néo)colonialisme, les rapports de classe, le capitalisme, le validisme, etc. Et souvent, ça se croise.

Le racisme et le sexisme s’alimentent très bien l’un l’autre comme on peut le voir dans certains propos de flics. Les corps des hommes noirs et arabes sont aussi fétichisés par le patriarcat néocolonial qui les présente comme menaçants et “violables” – comme le montre l’affaire Théo – et appropriable, par les fouilles, l’enfermement, et le meurtre…

C’est tout l’intérêt du patriarcat blanc de nous faire croire que ces luttes sont opposées, pour qu’on se cantonne à parler de ce qui nous concerne et qu’on se réjouisse sagement qu’une femme puisse être première ministre d’un gouvernement anti-social ou PDG d’une entreprise polluante qui ne paye pas ses impôts.

Moi, je pense plus en termes d’ennemi·es commun·es.

Pour ça, c’est important de parler du sexisme, mais AUSSI d’autres choses. Le risque, c’est qu’on nous cantonne à ça, au “woman power”, compris comme le nouveau truc de “bonne femme” en vogue et avec toute la récupération commerciale un peu creuse qui va avec quand on le vide de son sens.

Le féminisme est un prisme qui permet de comprendre – et de parler – de plein de choses. Mon morceau “Moi, Petite Entreprise” n’est pas explicitement féministe par exemple, mais il parle de la manière dont le développement personnel touche spécifiquement les femmes.

Une fois on m’a dit : “tu écris tout ça pour ne pas parler de tes émotions” : c’est chaud, est-ce qu’on dirait ça à un homme ? Ça serait bien qu’on puisse aussi être écouté·es quand on parle d’autres choses que d’intimité – et même de sexisme – parce que ça revient à encore parler des “hommes” – même s’il faut aussi en parler !

D’ailleurs, c’est intéressant qu’en parallèle les rappeurs investissent de plus en plus la sphère des sentiments depuis quelques années. C’est peut-être la même dynamique en fait. Ils en ont peut-être eu marre d’être assignés à la dénonciation. C’est un peu fétichisant aussi.

Moi, j’aimerais qu’on ne m’écoute pas uniquement quand je parle de mes émotions, mes sentiments, mon corps, ma vie sexuelle ni même des violences que j’ai vécues. J’en parle aussi et même beaucoup, mais j’ai plein d’autres trucs à dire !

En général, quel est ton processus créatif ? Qu’est ce qui déclenche la composition ou l’écriture d’un morceau ? 

Pour l’instant, j’aime bien que chaque morceau ait son univers donc ce n’est pas un processus automatisé ! Il y a un concept ou une émotion que j’ai envie de creuser. Je commence par le texte. Je gamberge autour de l’idée en mode écriture automatique, je cherche des formules et en même temps j’écoute mille prods différentes.

Je compose, je collab’ sur une prod ou j’en cherche une en fonction du texte. En posant sur la prod, je vois ce qui se détache, j’arbitre entre le fond et le flow, le son et le sens des mots. Qu’est-ce qui sonne, qu’est-ce qui est efficace ? Qu’est-ce qui est fondamental ? Ces contraintes donnent un truc très inventif à l’écriture.

Ensuite je réfléchis à l’univers visuel et quand le track est fini je réalise – filme – monte le clip et là c’est beaucoup de geekage !

Tu prévois de sortir un album en 2024. À quoi devons-nous nous attendre ? 

L’album va marquer un tournant dans le projet ! Dans l’autonomie, j’ai pu développer une proposition forte et apprendre plein de trucs mais pour l’album je suis accompagnéx et je collabore plus ! Ça me permet de proposer une forme plus ambitieuse et plus “produite”.

Si la forme aide à faire circuler les idées plus loin et ailleurs – sans les dévoyer – ça sert le propos.

Je ne cherche pas à parler uniquement à des gens qui pensent comme moi ou me ressemblent.

J’aime bien conforter aussi mais confronter et questionner ! L’album parle de l’époque – de ce qu’elle nous fait et de ce qu’on peut y faire ou en faire – à travers plein de thèmes différents. C’est une histoire d’empouvoirement personnel et collectif. Du très sombre à la lumière.

En termes de styles, je m’aventure dans des endroits où je n’étais jamais alléx, la collaboration ouvre des portes ! Dans la forme, il sera métamorphe aussi : musique, texte, vidéo, édition papier, live immersif ! Ça va être deep, dense, explosif et hors-normes. La proposition est ambitieuse et ouvert·e aux collabs donc si ce que je fais vous parle n’hésitez pas à me contacter !

Que peut-on te souhaiter ? 

De faire plein de concerts et de rencontres. D’avoir le temps de faire des choses bien et de bien les faire, donc continuer à vivre de ce que je fais ! De trouver une manière de rester sincère et honnête dans ce monde. D’imposer un truc unique et pas qu’on m’impose un unique truc. De porter ma voix et qu’elle porte plus et fasse écho à ce que l’on traverse – chacun·e depuis là où on se trouve !

© Raphael Massard

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