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Pumpkin : « Etre artiste rap femme, indé, en marge des codes, est en soit un acte politique »

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Tu racontes avoir découvert le hip hop en écoutant MC Solaar, sans comprendre que c’était du rap. Quels sont les autres artistes qui t’ont donné envie de rapper ?

Il y a aussi IAM, NTM, Oxmo Puccino, Triptik, Raggasonic, Les Sages Poètes de la rue, Diam’s, Mélaaz, Alliance Ethnik, Ménélik, Fabe, Sens Unik, Nas, The Fugees, Warren G, les artistes de la cassette de La Haine… Et puis dans un deuxième temps, Blackalicious, Common, Mos Def, Bahamadia, Jurassic 5, Dilated Peoples, De La Soul ou A Tribe Called Quest m’ont beaucoup influencée.

Tu viens de Brest mais a vécu à Barcelone pendant plusieurs années avant de t’installer à Nantes. Que t’a apporté cette expérience catalane d’un point de vue artistique ?

J’y ai rencontré des tas de personnes accueillantes et bienveillantes avec lesquelles j’ai collaboré, enregistré mes premières démos en solo, fait des concerts. J’ai été backeuse dans un groupe de hip hop avec des musiciens, une sorte de collectif d’une dizaine de personnes dont j’étais la seule fille. Toutes ces expériences durant 6 ans, à l’écart de la scène française, m’ont permis de commencer à sculpter le projet Pumpkin (solo), comprendre ce que je souhaitais faire et comment. A l’époque, je disais oui à presque toutes les propositions de collaborations parce que je pensais que c’était un bon moyen d’apprendre. C’était très formateur. J’en garde de très beaux souvenirs et quelques sons assez nazes aussi.

Comment et pourquoi as-tu cofondé la structure associative Mentalow Music avec ton acolyte Vin’S da Cuero ?

Avoir une structure, même associative, c’est une première étape qui fait la différence lorsque tu commences à produire des disques. Nous avions envie de sortir des projets librement et sans avoir à attendre qu’un label veuille bien de nous. Nous sommes depuis le départ très impliqués dans tous les aspects des projets depuis la création jusqu’à la sortie. Nous avons dû apprendre le fonctionnement de plein de trucs comme la Sacem, les codes ISRC, la fabrication d’un vinyle, les newsletters, les sites internet, la distribution, la comptabilité, les contrats… Nous apprenons un peu plus chaque jour, à notre rythme de petite structure artisanale. La priorité actuelle est de sortir nos propres projets et cela prend énormément de temps et d’énergie, mais à l’avenir, nous aimerions pouvoir sortir les albums d’autres artistes qu’on aime.

Sur ton dernier album Peinture Fraîche, tu as notamment travaillé avec 20syl de C2C et Hocus Pocus et Dynasty. Comment se sont passées ces collaborations ?

J’ai rencontré 20syl pour la première fois en 2007 à Madrid dans un festival de hip hop. Depuis nous sommes restés en contact. Il a produit le morceau « Play » sur mon EP Silence Radio mais j’avais toujours eu vraiment envie de partager le micro avec lui. C’est assez naturellement que nous avons eu envie Vin’S et moi de l’inviter sur l’album. Il a donc co-produit le beat et co-écrit et rappé le texte avec moi. La prod s’est faite en ping pong via internet et sur deux journées nous avons écrit à quatre mains et enregistré le morceau ensemble chez lui à Nantes. C’était vraiment une expérience cool.

Dynasty, je l’ai rencontrée à Nantes où nous avons partagé la scène lors du Festival Hip Opsession. C’est une excellente rappeuse et une fille très chouette. Nous avons ensuite bossé la track via internet, elle est basée en Floride.

Les mots occupent une place centrale dans ton travail. Comment se passe le processus d’écriture ? As-tu des rituels ? Quels sont tes sujets de prédilection ?

C’est vrai que j’accorde une place parfois trop importante à l’écriture. J’aimerais être plus emcee et moins rappeuse, plus spontanée et moins cérébrale. Je prends autant de plaisir à écrire que l’écriture me fait souffrir, c’est assez étrange comme rapport. Au fil des années, à force de réflexion, mon cerveau a pris l’habitude d’être en alerte, ce qui fait que j’ai souvent des idées qui me viennent, des mots, des jeux de mots, des thèmes et puis j’y reviens lors de session d’écriture. Je suis assez psychorigide, même si je fais un travail sur moi-même, j’ai besoin de réunir plusieurs facteurs afin de me sentir prête à écrire. Il faut que j’ai l’esprit libéré de tous ces « trucs qu’il faut que je fasse absolument » qui me parasitent et m’empêchent d’être complètement disponible mentalement.

J’accède à une sorte d’état second dans lequel j’aime rester des heures, à mon bureau avec mon ordi portable, mon casque, mes enceintes, des feuilles de papiers, et des feutres de couleur. J’utilise Word et le papier, ils sont pour moi complémentaires. Sur Word, je change souvent de typographie d’écriture et de couleur pour le papier, pour rendre mon processus de travail moins routinier. J’écoute un son en boucle pendant des heures et j’écris. Parfois je coupe le son pour écrire sans musique. Je passe beaucoup de temps sur les textes et puis quand je suis satisfaite, j’enregistre une maquette pour voir si ça tient la route et au besoin, j’apporte des modifications. Quand ça ne vient pas, je m’accroche et je finis toujours par trouver des idées. Même si elles me semblent complètement nulles sur le moment, elles peuvent se révéler utiles quelques jours plus tard dans un autre contexte ou état d’esprit.

En France, les rappeuses demeurent peu médiatisées et restent estampillées underground. Pourquoi d’après toi ? Et que faudrait-il faire pour changer les choses ?

Je pense que c’est un mélange de plusieurs facteurs. Pour commencer, un truc tout bête : nous restons très minoritaires en France donc proportionnellement il y a moins de chances de voir des femmes sortir de l’ombre. Ensuite, le vrai développement d’artistes n’existe plus. Les maisons de disques guettent internet et les comportements des jeunes (le rap est devenu une musique de gamins, c’est assez triste) et sortent « des coups » en pensant à très court terme, ce que les médias estampillent à chaque fois comme « le nouveau phénomène rap ». Ensuite, il y a une certaine idée de ce à quoi le rap doit ressembler et par qui ou comment il doit être exécuté. Même chez les hommes, il est assez rare de voir des personnalités complexes et singulières émerger au-delà des niches. A ça, il faut ajouter le fait que nous sommes dans un genre musical encore assez attaché à certaines valeurs face à une industrie qui fait pression et a tendance à dénaturer l’essence de notre art. Pleins d’artistes talentueux et intéressants ne passent pas certains paliers qui pourraient les faire sortir de l’ombre parce qu’ils font des choix qui les en empêchent. On peut y voir une façon de se préserver ou de se couper l’herbe sous le pied, tout dépend du point de vue. Personnellement, on m’a fait des propositions qui auraient pu me positionner ailleurs, mais cela impliquait de faire des choses qui ne me ressemblent pas. Par ailleurs, bien souvent lorsqu’on parle de rappeuses, c’est pour mettre en avant le fait que nous sommes des femmes, nous ne sommes pas toujours traitées comme des artistes à part entière. La musique est de toute manière un milieu masculin en général.

Te définis-tu comme féministe ? Pourquoi ?

OUI ! Depuis le jour où j’ai lu la définition du terme. Comment ne pas vouloir l’égalité homme-femme ? C’est vrai que je ne le répète pas à longueur de morceaux et je ne suis pas une activiste hardcore, mais je le suis à travers ma démarche et mon approche au quotidien. Etre artiste rap femme, indé, en marge des codes, est en soit un acte politique et une démarche engagée qui, je pense, peut participer au changement du regard de l’homme sur la place de la femme et aider les jeunes filles à se projeter hors des cases dans lesquelles la société les place.

J’ai des échanges hyper intéressants à ce sujet lorsque je participe à des ateliers. J’aborde tant avec les filles que les garçons la question du genre en les faisant se poser des questions sur leur comportement conditionné et je les pousse à s’autoriser des libertés.

Qu’écoutes-tu en ce moment ?

James Blake, Anderson Paak, Hiatus Kaiyote, The Dø, Oddisee, Kendrick Lamar, Beatspoke, Alltta, Supafuh

Quels sont tes projets à venir ?

Un EP en duo avec Vin’S da Cuero pour la fin de l’année avec une série de concerts, quelques collaborations ici et là et un album pour 2017.

Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à modifier/améliorer ?

Plutôt qu’un Tumblr, je verrais un site internet clair, simple et ergonomique avec un système de hiérarchie des contenus intuitifs qui rendrait la consultation ludique. Ça mettrait en valeur la quantité de contenus et les anciens posts ne se retrouveraient pas noyés avec le temps. Aussi, une base de donnée « artistes » avec moteur de recherche, interviews, clips et quelques infos basiques : pays, ville, petite bio et liens. En anglais et français, ça deviendrait une vraie base de données et un site de consultation sur le sujet à un niveau international.

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