Sheng : « J’ai hâte qu’on ne soit plus considéré comme des minorités dans le hip hop »

D’origine libanaise et chinoise, la rappeuse parisienne Sheng nous parle de ses premiers pas dans le hip hop, de son féminisme et de sa musique contemplative.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

J’ai 20 ans, je suis encore étudiante. Je fais de la musique sous le nom de Sheng, le nom de famille de ma mère. Mon père est d’origine libanaise, né à Beyrouth, et ma mère est chinoise. J’ai grandi dans un milieu ouvert, bercée par la musique, mais paradoxalement pas par le hip hop.

Quand et comment tu as découvert le hip hop ?

J’ai découvert le hip hop tardivement, il y a trois ou quatre ans. C’est par des amis que j’ai été « initiée » ; avant eux, ma culture en hip hop était quasi nulle. Ma première année à la fac a été un tournant : la plupart de mes potes kickaient et avaient déjà écrit des sons. C’est durant cette période que j’ai également découvert les « classiques » français (IAM, Suprême NTM, 113…) et surtout des artistes de rap plus récents, tels que Princess Nokia, Columbine, Damso, Laylow, les artistes de la 75e Session…

Quel·le·s artistes tu écoutais-tu quand tu étais plus jeune, tous types de musiques confondues ?

À la maison, j’écoutais beaucoup de chants bouddhistes tibétains que ma mère faisait toujours tourner en boucle : des voix graves, entêtantes, psalmodiant des mots qui m’étaient inconnus et ce des heures durant. Au lycée, ma playlist regroupait essentiellement des sons de XXXTentation, Lil Peep, Lil Xan, bref les « sadboys » du rap game américain sur Soundcloud.

Madame Rap t’a découverte au travers de concours de freestyles notamment, qu’est ce qui t’a poussé à participer à ces concours ?

La première fois que j’ai posté un freestyle, c’était avant tout par curiosité. Je voulais avoir des retours sur mon taf et voir si une artiste sortie de nulle part aurait une chance d’être repostée, d’autant plus qu’il y avait alors encore moins de femmes que maintenant.

Comment définirais-tu ta musique ?

J’ai beaucoup de mal à définir ma musique, car j’ai l’impression qu’elle est à la frontière entre différents univers sur lesquels j’ai du mal à mettre des mots. Au travers de mes sons, j’essaye juste de faire du bien aux gens et de susciter des émotions. Ma musique reflète sans doute mes influences chinoises et un aspect contemplatif.

Quelles sont les femmes, connues ou pas, qui t’inspirent ?

Les femmes de ma famille avant tout. Que ce soit du côté maternel ou paternel, elles sont toutes mes grandes sources d’inspiration : ce sont des battantes, avec un cœur à aimer toute la terre. J’admire également beaucoup Wu ZeTian, la seule impératrice régnante de Chine et fondatrice de sa propre dynastie. Son parcours et sa personnalité forcent l’admiration.

Te définis-tu comme féministe ? Et si oui, comment définirais-tu ton propre féminisme ?

Complètement. Malgré les améliorations indéniables qu’on a pu constater ces dernières décennies, les femmes et les hommes ne disposent toujours pas des mêmes droits et du même traitement. Il faut continuer de se battre sans relâche, autant pour conserver les droits acquis que pour en réclamer d’autres. Mon « propre » féminisme est intersectionnel : il faudrait que l’ensemble des femmes, toutes orientations sexuelles, classes sociales ou origines confondues, puissent se reconnaître dans ce combat pour l’égalité femmes/hommes.

Le rap est-il ta principale activité aujourd’hui ?

Non, je suis encore étudiante en troisième année de double licence ce qui fait que je ne peux encore m’y consacrer à plein temps. Pour le moment, mon objectif est de concilier mes études avec le rap. Mais à terme, ce serait incroyable si je pouvais vivre véritablement de la musique, ma passion.

Quels sont tes projets à venir ? Est-ce que la crise du Covid a impacté ton activité ?

Je suis en train de travailler sur mon premier projet, un EP en six sons. Ce serait une forme d’ « introduction » et de présentation qui montrerait mon cheminement vers la musique. A côté de ça, je collabore également avec le collectif La Souterraine, qui prépare un album de rap 100% « féminin », donc uniquement avec des rappeuses.

Ne vivant pas du rap, la crise du Covid ne m’a pas trop impactée, mais a quand même retardé mon projet et annulé des concerts. Mon soutien va surtout aux artistes et acteurs du monde du spectacle, de la musique et de la culture en général, qui sont en grande souffrance.

Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer et/ou à améliorer ?

Je n’ai rien à redire, je trouve ça vraiment cool le concept d’un média hip hop qui donne de la visibilité aux femmes et à la communauté LGBT+, qui sont encore trop peu médiatisées. J’ai hâte que les choses bougent et que l’on ne soit plus considérées comme des « minorités » dans le hip hop.

Retrouvez Sheng sur Instagram et Soundcloud.

MicahTron : « Ça devrait être normal d’entendre des femmes parler de leur amour pour d’autres femmes »

À l’occasion de la sortie de son clip Run It Up, la rappeuse de San Francisco MicahTron nous parle de son parcours dans le hip hop, de ses projets et de ce que signifie pour elle le fait d’être une femme noire et queer. 

D’où vient le nom MicahTron ?

Je m’appelle Tramicah, donc Tricah est un détournement de mon prénom. Ça fait également référence à mon intérêt pour la technologie via le film Transformers quand j’étais plus jeune.

Quand et comment as-tu découvert le hip hop ?

J’ai grandi avec de la musique à la maison et le hip hop était le genre musical préféré de mes mères. J’ai découvert le hip hop pour la première fois au début des années 90 avec des artistes West Coast comme NWA, Snoop Dogg et Dr. Dre.

Comment as-tu commencé à rapper ? 

J’avais 13 ans la première fois que j’ai enregistré ma voix sur de la musique. J’ai utilisé une machine de karaoké et j’ai rappé sur un CD instrumental que j’ai enregistré sur une cassette ! Le fait d’entendre tous les jours de la musique à la maison m’a inspiré à créer.

Quel titre conseillerais-tu d’écouter en premier à quelqu’un qui veut découvrir ta musique ? 

Je recommanderais Push Thru. Je trouve que le message du morceau est puissant et représente bien mon histoire et mon personnage.

Dans un second temps, je conseillerais Good Energy parce que je pense que ce titre représente bien mon essence et mes attentes envers les autres.

Tu as sorti l’album Gone, Later en mars dernier. Comment et avec qui as-tu travaillé sur ce projet ?

Sur Gone, Later on retrouve la chanteuse Breana Marin, le rappeur Cakes Da Killa et la rappeuse Blimes. Toutes les instrus ont été faites par des producteurs du monde entier que j’admire. Et c’est moi qui ai créé tous les interludes.

As-tu des rituels d’écriture ou des sujets de prédilection ?

J’ai tendance à mieux écrire sous pression et avec des délais, mais en général j’arrive à écrire dès que je suis inspirée ou que j’entends une prod qui me plaît.

Mes deux sujets de prédilection sont le fait de surmonter des épreuves et la sexualité. Je trouve que c’est important de raconter mon histoire. Parler de sexualité est risqué mais ça devrait être normal d’entendre des femmes parler de leur amour pour d’autres femmes dans la musique.

Tu cites Missy Elliott comme l’une de tes principales influences. Qu’est-ce que tu trouves de plus inspirant chez elle ?

Le plus inspirant chez elle est que c’est une artiste aux multiples facettes. Elle performe, produit, écrit et de manière générale, a une vision créative incroyable ! Elle crée de la musique atemporelle et des visuels impossibles à copier, ce qui est finalement tout ce qu’un artiste a envie d’accomplir.

En tant que fille noire et queer, à quel·le·s artistes t’identifiais-tu quand tu étais petite ?

Je crois que je m’identifiais surtout à Da Brat, j’admirais son style. Elle était « garçon manqué » mais n’était pas jugée pour ça en tant que femme noire. Missy Elliott a aussi été une influence majeure sur mon style et m’a incité à sortir des sentiers battus.

Te considères-tu comme une rappeuse queer ?

Je me vois comme une artiste. J’ai été étiquetée « rappeuse queer » en raison de mon orientation sexuelle et de mon choix d’en parler ouvertement dans ma musique. Mais en fin de compte, je suis une artiste complexe et je pense que je peux m’asseoir avec n’importe quel artiste de n’importe quel genre et crée de l’art qui ne n’ait rien à voir avec ma sexualité.

Te définis-tu comme féministe ? Si oui, comment définirais-tu ton propre féminisme ?

Je suis féministe à 100 %. Mon existence entière repose sur le fait d’être une femme noire et queer qui est souvent sous-payée et dévaluée. Donc je milite pour toutes les femmes comme je le ferais pour moi au quotidien.

Quels sont tes projets à venir ? En quoi la pandémie de coronavirus a-t’elle impacté tes activités ?

J’ai plusieurs nouveaux clips avec le projet Gone, Later qui doivent sortir avant fin 2020. Et je termine actuellement deux autres projets. Le EP Here, Now, qui sortira avant la fin de l’année également et qui est une brève « suite » de la mixtape Gone, Later. J’ai aussi prévu de sortir un projet de beats avant la fin de l’année.

Le Covid m’a permis de créer plus souvent. Je suis une casanière et j’ai profité de l’opportunité de cette période pour travailler davantage et créer du nouveau contenu.

Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?

Je trouve que Madame Rap est génial ! J’ai découvert des rappeuses incroyables sur votre plateforme ! Merci ! Et merci pour le soutien !

Retrouvez MicahTron sur son siteInstagramYouTubeFacebookTwitter et Soundcloud.

RADAR, le tremplin qui déniche les nouveaux talents du hip hop

Pour la troisième année consécutive, RADAR organise un tremplin pour dénicher les nouveaux talents de la scène hip hop. Rappeuses émergentes, à vos micros !

Depuis 2016, RADAR invite des artistes émergent·e·s de la scène hip hop dans les plus grands festivals de France. Ainsi, Larry, Youv Dee, Jok’Air, Zeguerre, Chilla, Dinos, Vald, Sadek ont pu se produire sur scène et faire banger plus de 10 000 spectateurs.

En 2021, le tremplin coachera Brö, LauCarré et Baro Ntz, les 3 talents vainqueurs de l’édition précédente qui n’ont pas pu bénéficier d’accompagnent pour cause de coronavirus, mais sélectionnera également 3 nouvelles·eaux artistes en quête d’expérience et de visibilité !

Le tremplin s’adresse à tous·tes, mais représente une occasion pour les rappeuses de montrer qu’elles pèsent tout autant que les rappeurs sur la scène hip hop actuelle !

Les inscriptions

Vous êtes rappeuse émergente et souhaitez participer au tremplin ? Vous avez jusqu’au 30 octobre 14 h pour envoyer votre candidature en complétant ce formulaire sur le site de RADAR. 25 candidats·e·s seront préselectionné·e·s par la team RADAR.

Le vote du public

Dans un second temps, du 16 au 26 novembre, le public votera chaque jour sur le site de RADAR pour ses 3 candidat·e·s préféré·e·s. À la fin de la période, les 10 candidat·e·s ayant obtenu le plus de votes seront retenu·e·s et présenté·e·s au jury final.

Le vote du jury

Pour sélectionner les 3 gagnant·e·s de la saison 2020, RADAR fait appel à un jury de 3 professionnel·le·s du milieu musical (maison de disques, média rap, artiste). Ils se réuniront entre décembre 2020 et janvier 2021 et choisiront les 3 artistes qui seront accompagné·e·s et propulsé·e·s sur la scène des plus grands festivals.

Les 3 lauréat·e·s

Les 3 gagnant·e·s se verront offrir 1 an d’accompagnement artistique et 1 tournée dans les plus grands festivals de France (Solidays, Lollapalooza, Eurockéennes…)

Toutes les infos sur le site de Radar

Santa Salut : « La clé est de baser le féminisme sur l’amour, pas sur la colère »

Originaire de Sabadell en Catalogne, la rappeuse espagnole Santa Salut nous parle de son parcours dans le hip hop, de ses projets et de son féminisme.

Quand et comment as-tu découvert le hip hop ?

J’ai toujours été curieuse et observatrice et quand j’étais petite, je passais mon temps à regarder ce qui m’entourait. Donc quand je regardais la télé et que je voyais Ice Cube ou 50Cent, c’est clair que je m’en rappelais. J’essayais de comprendre quel type de personne j’allais devenir et dans ma ville, il y avait beaucoup de jeunes impliqués dans le hip hop : dans le stake, des festivals de musique, le graffiti…

Ça m’a vraiment intéressée et en grandissant, j’ai recherché cette musique et me suis fait des ami·e·s qui partageaient les mêmes centres d’intérêt.

Comment as-tu commencé à rapper ? 

J’ai commencé à rapper à l’âge de 16 ans quand j’ai vu un battle d’impro pour la première fois. Ça me fascinait et j’avais toujours adoré écrire, alors j’ai essayé et ne me suis jamais arrêtée.

Quel titre conseillerais-tu d’écouter en premier à quelqu’un qui veut découvrir ta musique ?   

Je lui ferais écouter Morfeo, parce que c’est une chanson complexe, avec des parties musicales et rappées, qui parle de sentiments très durs que j’ai envers une personne qui compte beaucoup pour moi. Je suis très fière de ce morceau.

Dans tes textes, tu abordes régulièrement les questions de l’anticapitalisme, l’antifascisme, l’antiracisme et du féminisme. En quoi ta musique est-elle un outil politique  ?

Elle peut l’être, mais je suis juste chanteuse. Je dévoile une partie de mes valeurs et mes opinions politiques parce que je veux que les gens qui m’écoutent, du peu qu’ils me connaissent, réfléchissent, bougent, s’informent, ouvrent leur esprit… Bien que ma musique puisse être politique, mon objectif n’est pas d’en faire un outil politique au sens propre.

Comment définirais-tu ton propre féminisme ?

Mon propre féminisme est celui que j’ai construit en moi à partir de ce que j’ai expérimenté et vu. De nos jours, ce terme reste encore difficile à comprendre pour tout le monde alors j’essaie de le simplifier du mieux possible, parce que j’ai l’impression que c’est ce dont mon entourage et mon pays ont besoin.

Le fait que je rappe est féministe, le fait que j’organise des événements est féministe, le fait que je dise à une autre fille comment vivre son féminisme n’est pas féministe.

J’essaie de me concentrer sur l’égalité des droits et les comportements, surtout en faisant des suggestions. Je trouve que c’est compliqué, mais la clé est de baser ça sur l’amour, pas la colère.

Quelles sont les femmes qui t’inspirent ?

J’aime beaucoup Frida Kahlo, Chavela Vargas, Agatha Christie, Lauryn Hill, Lin Que, MC Lyte, Queen Latifah, Ella Fitzgerald… Des artistes qui ont su se faire une place dans un monde d’hommes en des temps difficiles.

Je pense que ma mère est également un exemple parce qu’elle a toujours travaillé (elle est archéologue et travaille dans un musée aujourd’hui) et tout géré à la maison en même temps. C’est quelque chose que j’admire.

@ultrasofia est l’une de mes choristes, mais elle est aussi technicienne son, beatboxeuse, breakeuse et skateuse… Incroyable. 

Es-tu en lien avec d’autres rappeuses en Espagne ? Si oui, quelles sont vos relations ?  

Oui, Elane est une amie proche et on a commencé à faire des concerts ensemble. Elle est l’un des piliers de ma carrière musicale, elle m’a tellement empuissancée.

Je m’entends très bien avec Sofia Gabanna également, elle a des influences musicales incroyables vu qu’elle vient d’Argentine et c’est une très grande artiste. Écoutez-les, vous ne le regretterez pas !

Aussi Jazzwoman, Tribade et Asma. 

Tu viens de Sabadell en Catalogne. À quoi ressemble la scène hip hop là-bas ?

Aujourd’hui, la scène hip hop est moins dynamique. Il y a des années, on avait le festival Badia Street qui réunissait les meilleurs rappeurs d’Espagne. En fait, il y a un groupe majeur de Sabadell qui s’appelle Falsa Alarma, et qui tue ! Il y a de moins en moins de battles d’impro également, mais la scène n’est pas morte. 

En quoi la pandémie de coronavirus a-t’elle impacté tes activités ?

Comme pour la plupart des artistes dans le monde, la pandémie a eu un impact négatif sur mon travail : pas de concerts, des difficultés à enregistrer… En Espagne, le gouvernement se fiche des gens qui vivent de l’événementiel, et on a dû payer une taxe de travailleurs indépendants (entre 60 et 300 euros) comme si de rien n’était.

Quels sont tes prochains projets ?

Je suis ravie d’annoncer que je travaille sur un album !

Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?

Je trouve que c’est un super projet et je découvre plein de rappeuses, beau travail !

Retrouvez Santa Salut sur Instagram et YouTube.