Playlist #30 – Juin 2021

Retrouvez notre playlist du mois de juin sur YouTube, Spotify, Deezer et Apple Music avec 20 titres de rappeuses du monde entier !

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Avec :

  • Eesah Yasuke (France, Lille)
  • Almä Mango (France, Paris)
  • Soumeya (France, Marseille)
  • Meryl (France, Martinique)
  • Ana Ford (Maroc/Suisse)
  • Sarahmée (Sénégal/Canada, Québec)
  • Khtek (Maroc)
  • La Blondie (Espagne)
  • Lia Sahin (Allemagne)
  • WRR (Pologne)
  • Hofmannita (Russie)
  • Silvana Imam (Suède)
  • Toya Delazy (Afrique du Sud/Royaume-Uni)
  • Dee MC (Inde)
  • N1yah (Émirats Arabes Unis)
  • Frankie Staywoke & Lady Shocker (Royaume-Uni)
  • Tantrum (Royaume-Uni)
  • Haviah Mighty (Canada)
  • Tommy Genesis (Canada)
  • Whitney Peyton (États-Unis, Philadelphie)

VIDÉO – Rap : they’re here, they’re queer !

À l’occasion du Pride Month et des Marches des Fiertés, Madame Rap fait un état des lieux des rapports entre rap et LGBT+ en France. Petit tour d’horizon en images de cette scène qui commence (enfin) à être visibilisée. 

 

Régulièrement taxé de misogyne et d’homophobe, le rap n’a pas pour réputation d’être LGBT-friendly. Pourtant, ce genre musical s’avère bien plus inclusif qu’il n’y paraît.

Aux États-Unis, des artistes comme Lil Nas X, Mykki Blanco ou Young M.A. jouissent d’une notoriété qui dépasse les frontières. En France, l’évolution reste plus lente mais plusieurs rappeuses·eurs LGBT+ émergent depuis quelques années. Ainsi, Lala&ce parle ouvertement de sexualité lesbienne dans ses textes et connait un certain succès populaire.

D’autres rappeuses·eurs s’identifiant comme queer apparaissent également dans le paysage musical français.

Illustre, rappeuse de Clermont-Ferrand, en fait partie. Elle explique :

« Je ne suis pas l’étendard de quoi que ce soit, je diffuse juste une façon de voir les choses qui me caractérise. Avec ce premier album, le but était de m’exprimer sur ce que j’avais compris de qui j’étais. Mais rien n’est figé, on est en perpétuelle évolution… Ça me fait plaisir de me dire qu’il y a des gens qui se sont reconnus à travers ce que j’ai fait, et que, peut-être, ça les a aidés. »

Le Lou, rappeur trans émergent, nous livre aussi sa vision des choses :

« Je n’ai pas envie de faire de ma transidentité ou de mon orientation sexuelle mon fonds de commerce, mais ça fait partie de moi et le fait est qu’on manque de visibilité partout, donc c’est important d’en parler… Même s’il faut aussi être capable de parler d’autres trucs, au même titre que tous les rappeurs. Je faisais partie d’un groupe avant et je n’en parlais pas du tout. Depuis que je fais mon projet solo, j’ai clairement senti que les gens avaient besoin d’entendre ça aussi dans le rap. »

Kelyboy, rappeuse, chanteuse, productrice et DJ parisienne fait le même constat :

« Je ne trouve pas nécessaire d’associer ma musique à mon identité de genre, mais ça me semble difficile de faire autrement, parce que j’y suis sans cesse ramenée. Notamment parce qu’on m’invite et on me donne la parole souvent avant tout parce que je suis une femme queer dans la musique. »

Alors, les sphères plus « traditionnelles » du rap sont-elles prêtes à accueillir ces nouveaux·elles artistes ? Comment le public, les labels, les programmateurs et les artistes eux·elles mêmes perçoivent-ils·elles cette évolution ?

« C’est vrai que par rapport au rap « classique », on ne rentre pas dans toutes les cases. Ça nous exclut de certaines choses, mais ça nous inclut dans d’autres aussi. Je pense qu’il ne faut pas se conformer à ce que l’on attend de nous, il faut amener des choses nouvelles. En ce moment, il y a une certaine effervescence, mais ça reste une particularité, une différence dans le rap game. » (Illustre)

« Je crois que ce n’est pas encore super admis d’être rappeur et gay, mais en même temps, ça commence à prendre sa place. Tout le monde commence à accepter qu’on existe et qu’on peut aussi faire des trucs bien ! Il y a un truc dans le rap aussi, où à partir du moment où tu es fort, t’es fort quoi ! Peu importe ton identité. » (Le Lou)

« En tant que productrice, j’espère vraiment collaborer de plus en plus avec le milieu « classique » du rap, en me différenciant avant tout par mes compétences et ma vision artistique. » (Kelyboy)

Cette sous-représentativité s’explique également par la frilosité de l’industrie de la musique à faire confiance aux artistes ouvertement queer, ainsi que par le traitement médiatique qui leur est réservé. En effet, les médias généralistes parlent peu de rap, et les médias rap parlent peu d’artistes queer.

Mais faut-il réellement parler d’une scène LGBT+ ? Si cette visibilité est indispensable, la plupart des artistes souhaitent être reconnu·es avant tout pour leur musique, et non pour leur identité de genre ou leur orientation sexuelle.

« C’est nécessaire, mais j’ai aussi d’autres choses à raconter à travers ma musique et je ne passerai pas toute ma carrière à en parler non plus… On peut vite se retrouver à ne parler plus que de ça. » (Illustre)

« Il y a des gens qui aiment juste le rap et qui s’en fichent de savoir si je suis queer ou pas ! » (Le Lou)

« Je découvre de plus en plus d’artistes de rap queer, mais ils ont avant tout la volonté d’être considérés comme des artistes rap, et inclus dans cette culture indépendamment de leur identité de genre. » (Kelyboy)

Encore timides, les représentations d’artistes queer dans le hip hop français se font de plus en plus nombreuses. On espère que le rap, qui par ailleurs porte la voix de nombreux artistes racisé·es, évolue encore davantage et reflète la pluralité des identités présentes dans la société.

Vidéo et texte : Juliette Fagot

Ana Ford : « Personne ne pourra décider à ma place de ce qui me concerne »

Née et basée à Genève, la rappeuse, danseuse, comédienne et modèle Ana Ford vient de sortir le titre Ni mariés ni refrés, qui dézingue la masculinité toxique et la culture du viol. L’artiste maroco-suisse nous parle de ce qui la pousse à réaliser ses propres clips, de son parcours dans le hip hop, son rapport à l’écriture et ses projets. 

D’où vient le nom Ana Ford ?

C’est le pseudonyme que j’utilise lorsque je joue aux échecs en ligne. Après avoir changé 4 fois de nom de scène (si ce n’est plus), j’ai opté pour Ana Ford et je trouvais que ça me correspondait bien.

Tu as commencé à rapper à l’âge de 18 ans, puis as arrêté pendant 5 ans avant de reprendre en 2019. Pour quelles raisons as-tu fait ce break ?

C’est une accumulation de choses. La raison principale qui a motivé ce choix était le fait de ne pas avoir une équipe et de ne pas avoir été bien entourée. J’ai collaboré avec des gens pas sérieux. J’ai du mal avec les promesses pas tenues, les mensonges à répétition et les propositions bizarres. C’était comme mettre des coups d’épée dans l’eau, et plutôt que de continuer à gaspiller mon énergie, j’ai préféré mettre tout ça de côté.

As-tu profité de cette période « sans rap » pour te consacrer à tes autres activités artistiques (la danse, la comédie, le mannequinat…) ?

Pas plus que d’habitude, je me consacre toujours à mes autres activités, avec ou sans le rap.

Tu viens de sortir le titre Ni mariés, ni refrés qui aborde notamment la question du consentement, de la culture du viol et de la masculinité toxique. En quoi ta musique représente-t-elle un outil politique à tes yeux ?

Chacun utilise ce qu’il a a sa disposition pour faire entendre sa voix, pour moi c’est l’écriture, la musique et l’image. C’est cool d’utiliser l’art comme intermédiaire pour aborder les sujets sensibles, interdits ou tabous de façon ludique. Tous mes morceaux ne sont pas politiques, mais bien au-delà de ma musique et de mes paroles, je pense que rien que le fait d’être une femme, de prendre la parole et d’exiger de réussir selon ses propres conditions est, en somme, un acte politique.

Tu as monté et réalisé – avec Pascal Greco – les clips de Ni mariés, ni refrés et de Baghdad, ton premier single sorti en août 2020. Est-ce un moyen pour toi de contrôler ton image et d’éviter d’être hypersexualisée ou objectifiée (ou du moins de choisir quand tu l’es) ?

Réaliser et monter, c’est une façon pour moi de m’exprimer ou d’exprimer avec des images ce qui n’est pas forcément dit dans le texte, et aussi, de poser le cadre.

Et puis, oui, c’est important que je puisse contrôler ou, du moins, avoir un droit de regard sur mon image, je considère que c’est la base. Je m’appartiens, mon corps et mon image m’appartiennent, c’est à moi, et à moi seule de décider de la façon dont j’ai envie d’en disposer et de quelle manière j’ai envie de donner à le voir. J’estime que même si je collabore avec une ou un réal qui se charge de la réalisation d’une de mes vidéos, il y aura toujours co-réalisation, personne ne pourra jamais décider à ma place de ce qui me concerne directement.

Te définis-tu comme féministe ? Si oui, comment définirais-tu ton propre féminisme ?

Je ne saurais pas vraiment le définir. À la place, je préfère raconter une histoire.

L’autre jour, il était tard, je rentrais à la maison. Un groupe de mecs passe à côté, l’un d’entre eux me raconte un truc à propos de son pull trop moche, je ne comprends rien donc je souris poliment et continue de marcher. Un autre me dit : « Oh tu veux pas que je t’accompagne aux toilettes?! » Du coup, je me retourne et lui demande gentiment si lui il n’a pas envie que je le raccompagne chez sa mère. Là, il se met hors de lui, une vraie drama queen. Ses potes le retenaient et lui était en mode « si vous me retenez pas, je vais faire une grosse bêtise ». Ridicule. Il criait et m’insultait de tous les noms, moi je continuais à marcher et à me dandiner. Je rigolais intérieurement. Le mec te manque de respect sans pression, et quand tu lui demandes gentiment si tu peux le raccompagner auprès de sa maman, il te traite de pu*e.

J’ai marché fièrement pendant 5 ou 6 secondes, après je me suis quand même tournée discrètement comme une fouine pour être sûre qu’ils ne me suivaient pas pour me taper à 10 contre 1. Bref, trop chou ces bolosses.

Quelles sont les femmes, connues ou pas, qui t’inspirent ?

Ma maman et ma grand-maman sont les deux femmes qui m’inspirent le plus. Il y a beaucoup de femmes connues qui m’inspirent mais celles qui ont le plus d’impact sur moi sont celles que je croise dans mon quotidien. Les femmes sont fascinantes.

Tu es d’origine marocaine et suisse. Quel rapport entretiens-tu avec ces deux pays ?

Ce sont mes deux maisons, c’est cool d’avoir un pied dans chacune d’entre elles. Et culturellement parlant, c’est enrichissant d’être issue de deux cultures.

Quel est ton rapport à l’écriture ? Est-ce que c’est une activité nécessaire, thérapeutique, douloureuse… Un peu de tout ça ?

Oui, je dirais un peu de tout ça ! Bien qu’elle soit salvatrice, la phase d’écriture n’est de loin pas l’étape que je préfère. Il y a mon perfectionnisme qui veut tout contrôler, ma patience qui veut écrire un son en 5 minutes, et moi qui n’arrive pas à synthétiser les idées/flows/mots/mélodies qui sont dans ma tête. Bref, quand je termine l’écriture d’un son et qu’il me plaît, c’est un tel soulagement et une telle satisfaction…

Le rap est-il ta principale activité aujourd’hui ? Si non, est-ce un objectif à terme ?

Pour l’instant non, mais le travail finit toujours par payer et j’espère pouvoir en vivre un jour tout en continuant à me consacrer à l’acting et la réalisation.

Ce n’est pas facile pour les rappeuses de se faire une place dans cette industrie. On nous prend pour des rookies, pour les apprenties des rappeurs, alors que moi je vois plutôt des enseignantes dans les talents féminins du rap qui essaient de percer aujourd’hui,qu e les médias et labels importants feignent de ne pas voir et mettent du temps à signer, à mettre en avant, et à investir sur elles. Bref, ça se réveille gentiment.

Quels sont tes projets à venir ?

Je n’aime pas parler des choses lorsqu’elles ne sont pas là. Toutefois, je peux dire que je serai sur scène à Limoges en tant que comédienne, également tout le mois de novembre au théâtre Pitoëff pour mes Genevois.

En parallèle, on continue d’avancer sur mon projet musical, j’espère décrocher quelques dates pour parfaire mon set et j’ai un autre projet secret qui ne concerne pas le rap. Pour quelqu’un qui n’aime pas dire les choses, j’en ai déjà dit beaucoup.

Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?

Juste dire MERCI à toute la team Madame Rap. Vous offrez de la visibilité à des artistes féminines qui essaient d’émerger, on a besoin de vous alors merci d’être là pour nous.

Retrouvez Ana Ford sur FacebookInstagram et YouTube.

© Jefferson Bettini