ACS : « La société n’a pas attendu le rap pour être sexiste »

A l’occasion de la sortie de leur dernier EP, où figure un morceau sur la place des hommes dans les luttes féministes, nous avons discuté de féminismes, de sexisme dans le rap et de militance avec le duo de rappeurs lyonnais ACS (ÀContreSens).

Les médias dominants ont encore aujourd’hui tendance à juger et à présenter le rap comme un univers musical sexiste. En ce sens, les rappeurs sont effectivement souvent accusés d’être machistes, d’exploiter et d’objectiver les femmes et d’inciter à la violence. On en oublie peut-être alors de considérer les origines et les dynamiques profondes qui nous mènent à penser le rap comme l’expression de certaines formes de discriminations et d’oppressions.

Madame Rap s’est plusieurs fois déjà positionnée sur cette question, pour tenter de la nuancer et d’en déconstruire les évidences. En effet, dénoncer des propos ou des comportements dans le milieu du rap sans contextualisation ou mise en perspective alimente la stigmatisation dont le rap a fait l’objet dès son origine. Cela ne signifie pas pour autant que le rap doive rester en dehors de toutes formes de débat ; le rap se trouve en effet au cœur de nombreuses problématiques sociétales qui l’ont construit et qu’il reflète, et est ainsi un outil pour en comprendre les mécanismes. Il faut donc mettre en place des façons de penser le rap comme un produit social global, sans le définir seulement par ses manifestations primaires.

Dans le cadre de cette réflexion, nous avons rencontré le groupe ACS, pour discuter de ces questions et donner la parole à des hommes qui font du rap et militent contre différentes formes d’oppressions.

Inspiré de l’ouvrage Refuser d’être un homme de l’écrivain américain John Stoltenberg, le morceau No Homme propose de réfléchir à la place à occuper en tant qu’homme dans les mouvements féministes. Pour ces rappeurs, « refuser l’identité masculine, ne pas se sentir chez soi dans cette identité masculine prédéterminée », c’est repenser « ce que ça implique aujourd’hui d’être un homme dans notre système patriarcal, dans une perspective politique ». « Ce morceau parle de la reproduction plus ou moins consciente du patriarcat par les hommes, dans les interactions qu’ils ont entre eux ou avec les femmes », en partant du postulat « qu’en tant que mecs, si l’on veut pouvoir agir sur cette thématique, c’est en questionnant notre situation dans ce contexte et en s’adressant aux personnes qui sont dans la même situation que nous, pour montrer que le débat est possible aussi entre hommes. C’est important d’avoir des mecs qui disent à d’autres « voilà ce que ça implique quand nous faisons ces choses-là » ». Loin de viser un objectif moralisateur, ce titre se présente davantage comme une invitation au débat et à la construction collective.

« Si les hommes ont un rôle dans le sexisme – ce que l’on ne peut pas nier –, est ce qu’on peut avoir un rôle dans les féminismes ? Je pense que dans la mesure où l’on a une position d’oppresseurs, on a un rôle à jouer, ne serait-ce que dans le fait de comprendre cette situation et de la déconstruire, et ensuite de se positionner comme alliés. »

 « Au niveau de la construction intellectuelle, le féminisme fait corps avec un certain nombre de luttes, qui sont interdépendantes et découlent d’un même système. C’est important de penser à toutes les formes de domination comme un ensemble, pour déconstruire dans le fond le système qui les maintient, sans pour autant en négliger les spécificités. »

Comme le démontre nos playlist 30 chansons populaires bien sexistes qui ne sont pas du rap Part 1 et Part 2, le rap n’est pas le seul mode d’expression artistique à refléter, plus ou moins explicitement, du sexisme. « De toute façon, le rap est un champ artistique donc c’est un champ politique au sens où il va exprimer une vision du monde. Qu’on le veuille ou non, quand on fait quelque chose d’artistique, on porte un regard sur le monde, qu’on en parle de façon explicite et très claire ou pas. C’est intrinsèque à l’art. Donc le rap va être traversé par la question du sexisme, comme le théâtre, le cinéma ou n’importe quel autre champ. […] Le rap, comme tout autre domaine, comme tout autre champ, n’échappe pas à la question du sexisme. On pourrait dire que « la société n’a pas attendu le rap pour être sexiste, ce n’est pas pour autant que le rap n’est pas sexiste » ».

Cependant, le sexisme explicite dans le rap, n’est peut-être en fait que la face émergente de l’iceberg. Dans la mesure où le rap est aujourd’hui une industrie, au sens où l’on produit et vend du rap, celui-ci ne peut échapper à tout un tas de mécanismes, que l’on retrouve dans tous les modes de production capitalistes. C’est pourquoi « accuser les rappeurs, c’est encore une fois accuser un résultat et pas son origine. Quand on dit le rap est sexiste, moi je ne vois pas que les rappeurs, je vois une industrie. Il faut être conscient des rapports de force qui régissent le rap. Si l’on croit que le rap c’est une secte de rappeurs qui ont tout le pouvoir et qui font ce qu’ils veulent, je pense que l’on omet l’essentiel. Le monde du rap c’est un champ d’interdépendances et de rapports de dominations. Tu n’y existes pas si tu ne te soumets pas à certains préceptes. […] L’industrie, c’est toujours la même chose, des producteurs ou des grandes maisons qui font de l’argent sur des représentations politiques. Ce qui est sexiste pour moi, ce sont les imaginaires politiques que ça véhicule et ce à quoi ça renvoie. » Dans cette perspective, c’est alors le système industriel qui entretient et fait vivre tel type de rap et tel type de discours plutôt qu’un autre qui est sexiste et discriminant.

Il faudrait s’interroger également sur qui sont les médias qui parlent du rap pour le qualifier de sexiste. Les industries musicales et médiatiques sont, comme l’ensemble de la société, régies par un certain nombre de rapports de domination, pas seulement sexistes mais aussi racistes, classistes, etc. Ainsi, « on pointe du doigt ce qui est sexiste pour se donner une belle image », mais c’est aussi souvent pour attaquer une certaine catégorie de la population, racisée ou précaire, comme le mauvais exemple à suivre – ce qui est purement raciste –, alors qu’on ne critique jamais, ou très rarement, le sexisme des Blancs. « La raison aussi pour laquelle le rap est pointé du doigt, et pour laquelle certaines personnes se permettent de le pointer du doigt, c’est que l’expression du rap est brute de décoffrage. Alors que va être invisibilisé un sexisme plus insidieux, considéré comme plus « acceptable ». »

« J’ai beaucoup plus de mal à être concilient avec les rappeurs qui ont une certaine affiliation à la culture bourgeoise, de par leur milieu d’origine ou leur « race ». Il y a des gars qui utilisent le survirilisme pour compenser tout un tas d’autres formes de violences qu’ils ont subies au cours de leur existence – violences raciales ou économiques par exemple. De leur point de vue, l’affirmation de la masculinité, ça peut être une forme d’affranchissement. Quand nous, qui sommes plus du côté des dominants à certains points de vue, trouvons que le virilisme est une prison, pour eux, c’est ouvrir la cage. »

De même, certaines formes de sexisme – voire la majorité – dans le rap comme ailleurs, ne sont pas forcément explicites. Dans la mesure où le rap est aussi un art du langage, il faut travailler le langage, le penser et le déconstruire. Certaines formes de sexisme sont inscrites dans le langage courant, sous forme d’insultes, d’expressions, ou simplement de règles grammaticales.  « Il faut réfléchir à ce qu’on dit, comment on le dit, à ce que l’on critique et à comment on le critique. Dire « la société française est une pute« , ça a quelque chose de très anti-étatiste, probablement anti-gouvernemental, mais derrière qu’est-ce que ça englobe ? […] Le rap c’est le langage, le langage c’est la pensée. Alors, si tu associes ça à des affects tels que la musique peut en procurer, tu es aussi dans un rapport sensible et tu as un pouvoir énorme ! […] Le danger c’est de tomber dans une relation purement fanatique à l’artiste et de ne plus pouvoir penser d’un artiste qu’il va trop loin ou qu’il dit des choses grave. » Il semble donc important de conscientiser notre rapport au sensible et l’influence que la musique peut avoir, ce qui n’empêche pas de pouvoir l’apprécier pour ce qu’elle procure comme affect.

Les médias et les industries musicales jouent un rôle fondamental dans l’évolution des dynamiques et des constructions des normes musicales. « Dans le secteur du rap aujourd’hui, les médias sont dépolitisés », et donc dominés par des carcans mainstream. L’absence de discours autour des productions rap actuelles induit une forme d’hégémonie du sensible au détriment peut être de l’esprit critique. Ne pas proposer de pensée critique – au-delà du rapport j’aime/je n’aime pas – dans les médias dits spécialisés, laisse la place à des récupérations politiques allant contre les intérêts éthiques et sociaux du rap, des artistes et des auditeur·trice·s. Il est peut-être du rôle de ces médias spécialisés de préciser leurs objectifs et prises de position afin de contrebalancer les discours qui continuent à stigmatiser le rap et ce qu’ils engendrent. Il s’agirait peut être aussi de revaloriser les possibilités subversives et réflexives du rap, afin de l’ouvrir à plus de diversité et d’inclusivité.

La question ne serait alors pas tant de savoir si le rap est sexiste ou non, de catégoriser les bon·ne·s et les mauvais·e·s rappeur·euse·s, ou de censurer telle ou telle forme de rap. Le débat doit être porté à une plus grande échelle, en prenant en compte la diversité de paramètres sociaux, politiques, culturels qui traversent le rap et les représentations et discours qu’il contient. Il semble également nécessaire de repenser le rap dans son système industriel et capitaliste qui le détermine, et d’interroger ainsi les responsabilités des médias et des industries. Par ailleurs, au-delà-même du rôle des artistes, des majors, ou même de la société, dans la perpétuation d’une culture sexiste – LGBTphobe, classiste, raciste, etc –, peut-être devrions nous, en tant qu’auditeur·trice de ce genre musical, en tant que celleux à qui les productions rap s’adressent, réfléchir à notre manière de les appréhender et à nos impacts possibles sur l’évolution de ce milieu.

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Maëlis Delorme

ENERGIA : « Les Roumaines sont en train de trouver leur voie »

A l’occasion de son passage à Paris pour un concert organisé par Call Me Femcee, la rappeuse roumaine ENERGIA, membre de ce collectif et du groupe MUZE, nous a raconté son parcours et son expérience de rappeuse en Roumanie, ses collaborations et ses motivations.

D’où vient ce nom “ENERGIA” ?

ENERGIA est un jeu de mot autour de mon prénom, Gia. C’est une amie du lycée qui s’est un jour amusée à m’appeler ainsi et j’ai tout de suite bien aimé. Quand j’ai eu à choisir un nom pour mon projet musical, je n’aurais pas pu imaginer utiliser autre chose qu’ENERGIA.

À un niveau plus profond, l’énergie joue un rôle majeur, pas seulement dans ma musique, mais dans toutes les sphères de ma vie. J’évolue grâce à mes échanges avec les gens, que je sois en train de réfléchir à une chanson, à un concert ou juste dans mon écriture. Je transporte cette énergie partout où je vais, quoi que je fasse.

Quand et comment as-tu commencé à rapper ?

J’ai toujours écrit de la poésie et de la prose aussi loin que je m’en souvienne, mais l’idée d’écrire du rap est venue de façon assez inattendue dans ma vie en 2011.

Un ami à moi rappait de temps en temps et m’a dit que je devrais essayer de composer des morceaux de rap. Comme j’aimais la musique et tout ce qui touche aux mots, j’ai suivi son conseil et j’ai été surprise de constater que le résultat n’était pas si mal – pour une débutante du moins. J’adore la façon dont ça fonctionne, ce qui me fait continuer la musique depuis.

Fin 2011, j’ai proposé ma première chanson et mon premier clip, puis une série de collaborations et de projets de mixtapes audiovisuelles. Vous connaissez la suite.

Que signifie pour toi le fait d’être rappeuse ?

Dans mon cas, je ne me considère pas comme une vraie rappeuse. Pour moi, un·e rappeur·euse est quelqu’un·e qui sait mélanger une maîtrise approfondie des paroles et de la technique d’élocution avec des sonorités spécifiques. Mis à part le fait que mes paroles et mon flow n’en soient pas franchement au niveau de la complexité requise par le rap, mes morceaux sont aussi souvent inspirés de bien d’autres styles musicaux.

Mais comme ça me plaît de m’exprimer à travers la musique, pour moi, le but est de créer une connexion d’âme à âme avec la personne qui m’écoute, et d’offrir une expérience riche dans laquelle elle peut se perdre quand elle en a le plus besoin.

Comment décrirais-tu ta musique ?

En un mot : éclectique.

J’aime me plonger dans les styles les plus fous et me plier aux règles qui séparent généralement les genres. Par exemple, le concert le plus récent que j’ai donné à Paris, pour Call Me Femcee le 11 mai dernier, incluait trap, batterie et basse, rap classique, grime, R & B et dubstep. Tu me verras toujours en train de jouer avec différents sons, c’est pourquoi on peut s’attendre à une surprise à chaque nouveau projet.

Pourquoi choisis-tu de mélanger l’anglais et le roumain dans certaines de tes chansons ?

La chanson « C8H11NO2 » était une expérimentation évidente, étant donné que je suis bilingue – je suis née en Roumanie, mais j’ai grandi aux États-Unis. Je voulais que ce soit une expérience inhabituelle et amusante pour l’auditeur·trice, qu’iel soit roumain·e ou de n’importe où dans le monde.

J’ai eu pour projet de réaliser un album entier avec des chansons mélangeant ces deux langues, mais après avoir eu des retours, je me suis dit que ça pouvait être trop confus pour les auditeurs·trices.

Dans tous les cas, C8H11NO2 est l’un de mes projets préférés. Ça m’a permis de sortie de ma zone de confort à tous points de vue : du son très club à la vidéo musicale que j’ai créée et coréalisée.

À quoi ressemble la scène rap en Roumanie ? Et quelle place les rappeuses y occupent-elles ? 

Par rapport à la France ou aux États-Unis, la scène rap en Roumanie est très petite. Le rap est arrivé ici dans les années 90, mais c’est toujours vraiment perçu comme un phénomène underground. Cependant, grâce à la montée d’Internet, des médias sociaux et autres, nous avons désormais une scène rap assez riche et diversifiée.

Comme partout dans le monde, la popularité de la trap ne cesse de croître. Néanmoins, nous avons de nombreux MC « classiques » qui ont maintenu leurs fans au fil des ans. Selon tes goûts, il y aura probablement au moins quelques rappeur·euse·s roumain·e·s que tu pourras apprécier.

Si la scène rap roumaine globale est petite, je te laisse imaginer ce qu’il en est des rappeuses. Bien que nous ne soyons que quelques-unes – y compris mon équipe, MUZE, le seul groupe de rappeuses du pays – je suis vraiment contente de voir de plus en plus de filles émerger au cours de ces deux ou trois dernières années.

J’ai hâte de voir ce que le futur réserve aux rappeuses roumaines. Dans tous les cas, je les soutiendrai.

Que penses-tu de la situation actuelle des femmes en Roumanie ?

Malheureusement, d’innombrables femmes en Roumanie vivent des expériences horribles. Ici, les violences domestiques ne sont toujours pas prises aussi sérieusement qu’elles devraient l’être, pas plus que d’autres problèmes majeurs tels que le viol ou le harcèlement.

En même temps, je crois vraiment que les Roumaines sont, doucement mais sûrement, en train de trouver leurs voie. Même si elles risquent d’être qualifiées de « féministes folles » par des individus aux mentalités dépassées, les femmes commencent à prendre position pour l’égalité et la sécurité.

Tu es membre du collectif Call Me Femcee, comment l’as-tu rejoint ? Et pourquoi est-ce important pour toi d’en faire partie ?

En 2014, le fondateur et directeur de Call Me Femcee, Gauthier, m’a contactée en ligne et m’a invité à faire partie du projet en tant que représentante de la Roumanie. Je ne pouvais pas croire ce que je lisais dans son message d’invitation, et j’attends toujours à moitié que quelqu’un me réveille et me dise que tout cela n’était un rêve.

Call me Femcee est un des projets qui me tient le plus à cœur pour bien des raisons. Cela représente tout ce que j’estime et ce que je représente même à un niveau personnel : connexion profonde, échange culturel, partage de musiques et d’expériences, et soutien de la communauté mondiale des rappeuses avec cette plateforme alimentée par l’unité, l’amour et les ondes positives.

Je pense que le projet tient une place inestimable dans la culture hip hop à travers le monde. Je suis impatiente de partager tout ce que l’on a à proposer pour l’avenir de Call Me Femcee.

Tu définis-tu comme féministe ? Si oui, dans quel type de féminisme te reconnais-tu le plus ?

Je suis résolument féministe, mais féministe au sens véritable d’égalité. Je crois fermement que chaque personne devrait avoir le droit à l’éducation, au respect, à la santé et aux opportunités, sans distinction de sexe, de culture, de race ou de condition socio-économique.

La suprématie ou la domination, qu’elle soit masculine ou féminine, c’est quelque chose que je ne supporte pas. Je crois que la seule façon de guérir les cicatrices que nous avons laissées au cours de l’histoire est de choisir l’amour, l’acceptation et le respect mutuel, et de laisser la haine, l’intolérance et la mégalomanie dans le passé.

Quels sont tes projets à venir ?

Ce qui me motive le plus en ce moment, c’est le nouveau clip sur lequel je travaille pour mon équipe MUZE, que nous sortirons très bientôt. La chanson et la vidéo sont ouf, mais je n’entrerai pas dans les détails pour ne pas gâcher la surprise !

Nous avons joué la chanson lors de quelques concerts et les retours étaient supers jusqu’à présent. Je suis impatiente que vous entendiez et voyiez le résultat final !

Connaissais-tu Madame Rap ? Qu’en penses-tu ?

J’avais entendu parler de Madame Rap par le biais de Call Me Femcee et je trouve le projet génial ! Il offre aux artistes femmes une plateforme médiatique indispensable pour partager leur musique et leurs idées. J’aime aussi le fait que vous ayez du contenu aussi bien en français qu’en anglais pour pouvoir toucher un public plus large.

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Ses projets collectifs : MUZE, Call Me Femcee, TR1B et Fetele cu care cânt.

Propos recueillis par Maëlis Delorme.

NOISE APÉRO #17 : Le rap et les LGBT+ à l’honneur

Promouvoir la ville et les cultures qui font la ville. C’est dans cette dynamique que s’inscrit le magazine Noise, La Ville au travers de publications en ligne et d’organisations d’événements afin de (re)penser et dé/reconstruire la ville, ses complexités, sa diversité et les rapports sociaux qui la construisent et y évoluent.

« Notre mouvement se donne pour mission de décloisonner nos villes de ses bulles d’entre soi […] en favorisant des rencontres humaines, intellectuelles et artistiques entre les communautés qui contribuent à la vitalité culturelle de nos villes, tout en leur laissant la liberté de se définir elles-mêmes. »

En collaboration avec l’Espace Paris Jeunes Mahalia Jackson et la péniche itinérante du Canal Barboteur, ces trois entités organisent le 7 juin à Paris, et pour la première fois, une soirée mettant à l’honneur des artistes rap minorisé·e·s, notamment LGBT+.

Au programme : une série de concerts avec DJ MNK, Kaipy, Shani, Pearly, Mokish, GenderFuckerz… On y trouvera également des battles de Voguing et de danse Hip Hop, une exposition photo sur l’art du voguing, un mur d’expression, une performance live de graffiti

Alors rendez-vous à Paris le 7 juin au 12 Quai du Lot dès 17h !

Retrouvez l’événement ici.

Queen Favie : « L’important c’est d’ignorer le sexisme »

La rappeuse réunionnaise Queen Favie nous a parlé de son parcours, de la reconnaissance du rap à la Réunion et de son projet d’album.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis une rappeuse et chanteuse de l’île de la Réunion.

D’où vient ce nom Queen Favie ?

Pour moi toutes les femmes sont des reines. Queen Favie, c’est ma façon de faire un clin d’œil à la gent féminine.

Quand et comment as-tu commencé à rapper ?

J’écoute du rap depuis mon adolescence. J’avais aussi des choses à dire et à dénoncer, donc tout naturellement j’ai pris ma feuille et mon stylo. L’envie de prendre le mic et de me produire sur scène est venue juste après.

Comment définirais-tu ton rap ?

Mon rap est un rap engagé, qui vient du cœur, rempli de force et de vérité. J’aime à penser qu’il aide aussi à soigner les maux par sa positivité.

À quoi ressemble la scène rap à la Réunion ?

Même s’il y a quelques festivals et radios qui jouent le jeu, je trouve qu’il manque cruellement événements dédiés à la scène rap locale.

Quelle est la place des rappeuses sur cette scène réunionnaise ?

Il y a d’excellentes rappeuses sur l’île ! Malheureusement, nous ne sommes pas assez mises en avant. Il n’y a pas assez de moyens pour nous faire connaître. Le rap féminin réunionnais mérite d’être plus mis en lumière.

Lorsqu’une femme prend position ou se retrouve dans des métiers où les hommes sont généralement, il y aura toujours des personnes qui ne l’acceptent pas. L’important, c’est d’ignorer le sexisme, de continuer de croire et faire ce qu’on aime.

Quels sont tes projets en ce moment ?

En ce moment, je prépare un album acoustique avec des musiciens et un DJ. On y trouvera du rap, de la trap, mais aussi de la néo soul et du reggae, qui sont aussi des musiques qui me parlent.

Je suis accompagnée par mon manager Rafael Janowicz pour réaliser ce projet qu’on espère faire sortir en 2020.

Te considères-tu comme féministe ? Si oui, dans quel type de féminisme te reconnais-tu le plus ?

Je dirais que j’ai une part de féminisme en moi. Les violences verbales ou physiques envers les femmes, je trouve ça tout simplement inacceptable ! C’est dans ce type de combats féministes que je me reconnais.

Que penses-tu de Madame Rap ?

Madame Rap est un super média qui donne de la force et de la visibilité au rap féminin !!! Ça nous permet de nous faire connaitre et aussi de découvrir d’autres rappeuses. Un gros big un et merci !!

Pourra-t-on te voir jouer en métropole prochainement ?

J’espère de tout cœur pouvoir venir jouer en métropole, ce serait merveilleux ! J’ai eu une proposition il y a quelques temps ; si cela se concrétise, peut être l’année prochaine !

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Eléa Force : « Si tu es convaincue, tu seras convaincante »

Madame rap a rencontré la rappeuse Eléa Force du groupe Blu Jaylah, sélectionné pour représenter la région Rhône-Alpes-Auvergne à la finale du Buzz Booster à Marseille le 18 mai. La MC, l’une des deux femmes sur les 10 nommé·e·s, nous a parlé de sa vision de la musique, de son expérience dans ce milieu, et des projets en cours de son groupe.

Te considères-tu comme rappeuse ?

C’est difficile de se mettre soi-même une étiquette. Je me considère plus comme quelqu’un qui écrit des textes que comme « rappeuse » ou « chanteuse », même si en général mes textes sont plutôt rappés. Il y a le flow du rap, les rimes, le rythme, les instrus qui vont avec, mais tout dépend de ce qu’on entend par «rappeuse » !

Je vois plutôt le rap comme un moyen d’exprimer ce qu’il se passe dans ma tête et c’est ce qui me plaît. Le texte est la pièce centrale du puzzle, et son rythme permet de raconter un millier de choses dans un temps très court. C’est le style parfait pour s’exprimer par le texte !

Le rap c’est hyper vaste, et c’est pour ça qu’on essaye de proposer quelque chose d’un peu différent avec Blu Jaylah aussi. Ça reste du hip hop, mais à notre façon.

Quand et comment as-tu commencé à rapper ?

J’ai découvert le hip hop assez tardivement. Avant, j’écoutais plutôt du métal, du rapcore avec des groupes comme Rage Against The Machine, Limp Bizkit, Hed Pe ; d’ailleurs je faisais plutôt du rock avec mon tout premier groupe. Je n’aimais pas trop le rap avant. C’est plutôt marrant quand j’y pense mais je n’y connaissais rien finalement. J’entendais juste les trucs qui passaient à la radio, et ça ne m’attirait pas du tout.

Un jour, on m’a fait écouter la rappeuse Keny Arkana et ça m’a mis une claque parce que je ne connaissais pas du tout cet esprit dans le hip hop : des textes super bien écrits, poétiques, violents aussi, pleins de sens. Je me suis rendu compte, par rapport à ce que je faisais dans mon premier groupe, que je voulais mettre le texte encore plus en avant. En fait je kiffe écrire, vraiment ; peu importe le style d’instru derrière, c’est ce que j’aime le plus !

Comment en es-tu venue à former le groupe Blu Jaylah ?

Ça s’est fait assez naturellement. Mon premier groupe était en train de se dissoudre et j’avais envie de commencer autre chose, de repartir à zéro en montant un nouveau projet. J’ai rencontré un beatmaker qui m’a envoyé quelques instrus et tout est parti de là. Il y a eu pas mal de mouvement depuis !

À la base, je partais sur un projet solo, puis j’ai rencontré les gars à l’ENM de Villeurbanne (69) où nous avons tous fait nos études. On est passé par plusieurs configurations, en duo, trio, mais là on a trouvé la bonne formule avec l’arrivée de Zach (aux machines) dans le projet depuis septembre. On a beaucoup cogité par rapport au live parce que c’est pas simple de mêler de la prod avec des instruments comme le violoncelle et le saxo, et avec du rap en plus. Mais on est content·e·s parce qu’on est en train de trouver notre équilibre, c’est notre pâte et notre force !

Comment t’y prends-tu pour composer ?

Je compose souvent l’instru et le texte en parallèle. Le son m’inspire un flow, une intention, parfois un thème. Parfois c’est le contraire, j’ai une phrase en tête et j’arrange le beat en fonction. J’avance en mêlant le texte et la musique jusqu’à la fin du titre, puis j’y reviens, modifie des trucs, des détails. L’idée c’est de pouvoir écouter l’instru sans le texte, et qu’elle raconte la même chose.

Dans Blu Jaylah on construit les morceaux ensemble : je ramène un bout d’instru et un texte, on arrange ensemble, chacun·e propose des idées, c’est comme ça qu’on avance.

Vous avez été sélectionné·e·s pour représenter la région Rhône-Alpes-Auvergne à la finale du BuzzBooster à Marseille. Comment en êtes-vous venu·e·s à participer au concours ?

C’est assez marrant cette histoire, on ne pensait pas du tout arriver jusqu’à la finale en s’inscrivant. Pour être honnête, ça partait plutôt d’une petite blague, on voulait juste tenter ce genre de tremplin avec un profil un peu atypique et voir ce qu’il se passerait. Du coup, on se retrouve à Marseille pour représenter notre région lors de la finale nationale ! On sort un peu du cadre, je crois qu’on est le premier groupe avec des musiciens sur scène, hors DJ. C’est sûrement ce qui nous a amené jusque-là ! La formation est originale pour ce  genre de tremplin très hip hop et ça permet de montrer quelque chose de différent. On va y aller comme on est, défendre notre musique et voir ce qu’il se passe.

Qu’attends-tu de ce concours ?

Ça va nous permettre de rencontrer pas mal de monde, d’avoir les retours de pros du milieu hip hop, et ça nous apporte beaucoup de motivation surtout. En tout cas, le fait d’arriver là-bas avec ce type de formation, c’est déjà une victoire pour nous, donc on est super content·e·s de ça.

Quels sont vos autres projets en ce moment ?

On travaille actuellement sur notre premier EP qui sortira fin 2019. L’année a été bien chargée ! On a bossé la nouvelle formation en résidence, en studio et en live, ça nous prend beaucoup de temps mais on a enfin trouvé la bonne formule. On a hâte, parce que depuis sa création le projet n’a pas arrêté d’évoluer, et là on pourra enfin présenter aux gens quelque chose de concret et qui nous ressemble vraiment. On va continuer à défendre nos titres en live et on verra par la suite, mais que du positif en tout cas !

Quelle est ta position par rapport aux féminismes ?

C’est une question qui revient très souvent et à laquelle je n’ai pas vraiment de réponse. Je me considère comme féministe dans le sens où il faut que les choses évoluent. Je n’ai pas la définition du féminisme ; les inégalités hommes/femmes existent depuis la nuit des temps, et même si certaines choses bougent, ça restera encore ancré un bon bout de temps dans l’inconscient collectif.

Par exemple, si tu arrives en tant que nana dans un milieu masculin comme le hip hop, tu vas toujours tomber sur ce genre de question en interview. C’est dommage, parce qu’au lieu de parler de ton projet, tu parles plus de ta position de femme dans la musique, alors que ce n’est pas ça que tu défends forcément quand tu décides de faire de la musique. Je ne me suis pas dit  « tiens je vais rapper parce que je veux lutter contre les inégalités hommes/femmes ». Je voulais juste faire de la musique ! Je pense que c’est en faisant ce qu’on a à faire et sans se poser la question de la légitimité que ça peut faire avancer les choses justement. Si tu es convaincue, tu seras convaincante. Et la question ne se posera pas.

Que penses-tu de Madame Rap ?

La démarche est vraiment cool ! Ça permet de découvrir les actrices du rap français et c’est super important qu’elles soient mises en lumière.

En revanche, je pense qu’il faut veiller à ne pas restreindre la parole des rappeuses à des questions féministes. La question de la place des femmes dans le rap, c’est un truc qu’on te sort tout le temps quand tu es rappeuse. Il ne faut pas que ce soit la seule parole que l’on va donner aux meufs. Si on est là, ce n’est pas parce qu’on est des meufs, mais parce qu’on a des projets à défendre.

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Retrouvez ici toutes les infos sur la finale du Buzz Booster.

Propos recueillis par Maëlis Delorme.

Safyr Sfer : « Les meufs qui sont dans le game aujourd’hui ont des choses à dire »

Dans le cadre du festival Intersections, Madame Rap a rencontré la rappeuse Safyr Sfer qui nous parlé de sa passion pour l’écriture, de ses expériences dans le rap et de son projet d’album.

D’où vient ton nom, Safyr Sfer ?

Les saphirs, tout le monde pense que c’est bleu, mais en réalité il peut y avoir plusieurs couleurs. J’ai choisi ce nom par rapport aux différentes étapes de ma vie. Sfer, je l’ai rajouté tout bêtement parce que ça sonnait bien comme ça.

Quand et comment as-tu commencé à rapper ?

J’ai commencé le rap par hasard. Avant tout, j’ai commencé par écrire. A 14 ans, j’étais un peu mal dans ma peau, je n’étais pas super jolie. Les garçons ça ne m’intéressait pas. J’ai été quand même harcelée jeune à l’école, parce que j’étais grosse.

À 14 ans aussi, je me suis convertie à l’islam, seule, je n’avais pas d’amoureux. Pour exprimer tout ce que je vivais, j’écrivais des poèmes. À cette époque, j’avais un autre complexe important, ma voix. Je rêvais d’avoir une voix fluette et j’avais une voix grave. Un jour à Genève on m’a proposé de venir rapper. J’ai trouvé que ma voix avait une bonne sonorité pour le rap.

Je ne me suis pas dit, « c’est mon rêve de faire du rap », mon rêve c’était d’écrire. Si je suis allée vers le rap, c’est aussi parce qu’une chanson de rap équivaut lyriquement parlant à quatre chansons de variété. Quand tu as des choses à dire, tu vas au rap.

Ce qui m’a fait continuer le rap, en partie, c’est qu’on m’a toujours sollicitée. Je n’ai jamais postulé pour avoir à faire ma musique. On m’a toujours proposé des choses que j’ai toujours acceptées. J’en suis fière.

Quand es-tu montée sur scène pour la première fois ? 

Je travaillais avec DJ Toots. C’était l’époque où les DJ faisaient des compils et les rappeur·euse·s se mettaient à la dispo des DJ. On a fait une compil qui s’appelle Nourriture Spirituelle, je devais avoir 15-16 ans. Avec ça, on a fait le tour des Fnac en Suisse et notre album a été coup de cœur. J’ai commencé les concerts comme ça.

En 2008 ou 2009, j’ai fait un tremplin qui s’appelait le Fagame Contest à Lyon, c’était un concours réservé aux femmes. J’avais envoyé une vidéo par hasard. Ils m’ont rappelée et je suis allée rapper et j’ai été finaliste ! Grâce à tout ça, j’ai fait la première partie de Zaho et j’ai pu travailler avec Youssoupha et Sefyu. C’était fou cette période ! Ça m’a ouvert des portes.

J’ai été aussi en résidence au CCO de Villeurbanne (69). Ils faisaient venir des personnes pour m’accompagner, avec des cours de théâtre et d’expression scénique. C’était du boulot franchement, mais j’ai accepté cette rigueur, je m’en suis donné les moyens. J’ai vite compris que travailler ses morceaux et se faire driver en studio, c’est très important, mais que la scène, c’est fondamental, et pour ça, il y a énormément de travail ! Si tu veux travailler la scène et avoir des bons retours, il faut bosser ! Au final, j’ai fait pas mal de concerts en peu de temps, j’ai grave bougé.

Te considères-tu comme rappeuse ?

Oui. En revanche, pour moi, le talent et le rap n’ont pas de sexe. En général, je ne dis pas que je suis rappeuse, je dis que je fais du rap.

Avant, mon rap c’était mes peines, mes chagrins, mes poèmes. J’écrivais pour moi, beaucoup à la première personne. Avec le temps, j’ai appris à écrire pour les autres. Ça a été un long travail de décentraliser et dé-personnifier cette écriture. Aujourd’hui, il y a toujours moi bien sûr, mes états d’âme, et surtout mes réactions à ce qu’il peut se passer en France comme à ce qu’il peut se passer dans mon cœur.

Quelles sont tes influences ?

J’ai commencé à écouter du rap féminin très tôt. J’ai connu Diam’s par Lady Laistee. Je suis accro au rap français, parce que j’aime les mots, comprendre ce que je chante et être touchée par la musique. C’est très important pour moi.  J’écoutais IAM, la FF, Oxmo Puccino, j’ai grandi avec tout ça. Pour ce qui n’est pas du rap, mon délire, par exemple, c’est Lynda Lemay ou Jacques Higelin.

Pourquoi penses-tu qu’il y ait si peu de femmes visibles sur la scène rap en France ?

Autour de moi, j’ai l’impression que les femmes écrivent de manière très consciente. Les meufs qui sont dans le game aujourd’hui ont des choses à dire et ont une place à prendre ! Mais est-ce que le public aujourd’hui demande à écouter des choses très conscientes avec des vrais messages ? Est-ce que tu crois que le public a envie d’écouter ce que l’on a à raconter ? A part une minorité, comme les connaisseur·euse·s ou les gens militants… Je crois même que les gens qui font et qui écoutent de la chanson française sont plus réceptifs à nos musiques que celleux qui écoutent du rap.

Aujourd’hui, le rap devient un business, les gens font du rap pour gagner de la tune. Nous, on fait ça parce qu’on a envie d’être entendues. On fait surtout ça par passion. Moi, je suis déjà contente de rentrer dans mes frais.

Comment en es-tu venue à participer au festival Intersections ?

Paulo et Erika, depuis le début pour moi c’est la famille ! Je les ai connu·e·s avant même la création de l’association, j’ai fait tous les événements avec elleux, depuis le début. C’est important pour moi de suivre ce travail, et puis je trouve que c’est devenu vraiment pro !

D’une façon générale, je suis ici parce que je trouve ça important qu’on donne la parole aux minorités, et que les minorités soient entendues.

Te définis-tu comme féministe ? Pourquoi ?

On me définit comme féministe, mais moi je ne sais pas si je me définis comme tel. J’ai un côté très contradictoire : je suis très femme de maison et en même temps je soutiens grave pleins d’idées féministes. J’ai besoin d’être proche de ma famille et d’en prendre soin, et à côté, je défends aussi des trucs.

Quels sont tes projets en ce moment ?

Tout d’abord, commencer le travail d’écriture d’un prochain album. Je reviens de loin, il y a beaucoup de choses qui se sont passées dans ma vie. J’ai des choses à dire. Je ne sais pas encore trop quelle forme va prendre ce nouvel album, ni quand il sortira, mais je me fais confiance. Je suis une meuf déterminée, c’est mon atout. J’ai toujours mis de la rigueur dans mon rap. Je ne veux faire perdre de temps à personne. Si je me mets un objectif en tête, je vais le tenir.

Dans tous les cas, je pense continuer sur cette lancée, je suis bien avec ma sœur DJ Kaynixe. On joue toujours ensemble, elle me suit partout en France. La particularité avec elle, c’est qu’elle a sa carrière à côté. Ça compte pour moi cette collaboration.

Que penses-tu de Madame Rap ?

Rien que l’appellation est plaisante. Franchement, j’aime bien votre message et vous êtes actives sur les réseaux. J’apprécie aussi le fait que ça parle de toutes les rappeuses. Force à vous.

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Propos recueillis par Maëlis Delorme.

Miyokard : « Mes problématiques sont multiples »

Lors du festival Intersections à Marseille, Madame Rap a rencontré la rappeuse lilloise Miyokard, qui nous a parlé de son collectif Queer Of Color Vibe, de ses convictions et de ses futurs projets. 

Peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je suis Miyokard, je vais avoir 33 ans cette année. J’ai habité longtemps à Lille, c’est un peu devenu ma ville. En ce moment, je suis une formation de technicienne son et lumière.

A côté de ça, j’essaye de continuer à écrire. C’est mon activité principale et ça me plait bien donc je me concentre plutôt là-dessus pour l’instant.

Quelle est l’origine de ton nom « Miyokard » ?

C’est une référence au nord, à Lille. Ça vient de mon prénom, Mia. Quand on le dit avec un accent du nord ça fait « Miyo». Je trouvais ça marrant. À un moment donné, j’ai eu envie de trouver un blase et d’utiliser ce truc. J’ai pensé à « Miyokard » parce que « myocarde », c’est le muscle du cœur. Je trouvais que ça sonnait bien.

Quand et comment as-tu commencé à rapper ?

Je rappe depuis longtemps dans ma chambre. Le rap, c’est la musique que j’écoutais déjà petite. Je passais pas mal de temps à enregistrer des cassettes de radios, il y avait une émission qui passait de super sons. Ils ne disaient pas toujours le nom donc pour ne rien louper j’attendais impatiemment, j’étais prête avec ma cassette. Une fois que j’avais les cassettes, je les écoutais en boucle dans mon baladeur, je réécrivais les paroles et je m’entraînais à les rapper.

A la base, je kiffe plus la musicalité. Dans le rap, je m’accroche vachement au beat, alors le texte était secondaire. J’ai commencé vraiment à écrire quand je me suis mise à faire des instrus, à la MAO. Et comme je faisais des instrus, j’avais envie de poser dessus pour voir ce que ça pourrait donner.

Au début, tu écris pour toi sur la situation du monde, tu écris de la poésie, etc. Mais à un moment donné, il y a un trop-plein de ces écrits et tu as envie d’exprimer ça autrement. La musique, c’est quelque chose que je fais depuis jeune, j’ai commencé avec le piano. Amener le texte là-dessus, ça donne une autre dimension, ça fait du bien pour soi, c’est un peu thérapeutique.

L’année dernière, j’ai décidé de faire ça un peu plus sérieusement, d’une manière plus engagée aussi.

Te considères-tu comme rappeuse ?

J’aime bien dire que je me considère comme rappeuse parce que j’ai mon blase. Je pense qu’on a besoin d’un personnage pour mettre à distance qui l’on est, et être plus juste dans l’intensité qu’on fait passer, notamment sur scène.

Pourquoi penses-tu en être venue au rap ?

Je pense que c’est la densité du texte qui fait que je préfère ce médium-là. Dans le rap, tu écris, et en quantité. Quand on fait des chansons, pour moi ce qui compte, c’est plutôt les mélodies et comment on travaille la dimension instrumentale. Le texte vient surtout améliorer cette mélodie, donc les paroles sont un peu plus réduites et elles n’ont pas la même importance. Tandis que le rap, on balance du texte.

Aussi, pour moi le rap c’est une musique de revendication, comme des manifestes, mais version audio. Dans l’idée, ça mobilise la foule et ça peut la conduire à une prise de conscience et même à des actions. Le rap, je vois ça vraiment comme quelque chose qui met en mouvement. Dans ma manière d’aborder ce côté revendicatif, j’écris surtout sur mon rapport émotionnel à des situations politiques, des discriminations que je peux vivre, que la communauté dans laquelle je suis peut vivre.

Tu as fondé le collectif Queer Of Color Vibe, de quoi s’agit-il exactement ?

C’est un collectif qui date de l’année dernière. Nous avons monté le projet avec Neka Groove suite à des discussions que l’on avait eues sur la visibilité des personnes queer et racisées dans le milieu de la musique. L’idée, c’est de créer des espaces de rassemblement, des lieux et des moments pour pouvoir partager des galères, des expériences, penser nos relations avec des lieux de musique, apporter des solutions. Le projet, c’est à la fois de proposer des temps, comme des concerts, où les gens peuvent monter sur scène, avoir une rémunération et une visibilité, et aussi des moments de résidence en non-mixité queer racisée.

Une première soirée a eu lieu au printemps 2018 à Toulouse. Ensuite, on a voulu mettre en place d’autres événements et ça a été un peu galère. Finalement ça allait bien avec notre constat qui est qu’il est difficile de monter des projets comme celui-ci. Pour l’instant, on n’a pas pu proposer autre chose, aussi en raison de nos projets personnels.

Il y a plein d’autres personnes qui proposent des initiatives comme celles-ci. On ne fait pas les mêmes choses, mais c’est chouette qu’il y ait ces réseaux-là. C’est cet objectif que l’on défend avec Queer Of Color Vibe : essayer de créer une communauté, un réseau de personnes queer-racisées qui font de la musique ou de la technique.

Tu as participé au Festival Intersections. En quoi est-ce important pour toi d’évoluer dans des espaces en non-mixité, militants ?

Je pense que c’est une étape un peu incontournable si l’on a envie de pouvoir exprimer vraiment ce qu’on ressent et de pouvoir être soi-même. Tu as toujours besoin qu’il y ait des personnes qui te comprennent, qui ne te posent pas sans arrêt des questions, de ne pas avoir sans arrêt à t’expliquer. Être compris directement ça fait du bien. Je pense que ce sont des espaces essentiels dans la construction de soi, dans la valorisation et la confiance. C’est important pour moi de trouver un écho parmi le public, parce que lorsque j’écris, je m’adresse à un certain public. Il y a bien sûr plein de manières d’amener la chose et d’en parler avec d’autres publics qui ne sont pas concernés, mais moi ça m’importe qu’on se fasse du bien en premier lieu, et que je me fasse du bien à moi aussi !

Quels sont tes projets en ce moment ?

Pour l’instant, j’essaye d’enregistrer des textes que j’ai écrits l’année passée. Déjà, j’aimerais apprendre les techniques d’enregistrement et puis trouver le matos nécessaire pour enregistrer correctement. J’en suis là. Ça me plait bien et ça me donne envie de voir à quoi ça peut ressembler si je m’en donne les moyens.

J’ai aussi envie de faire des scènes, partager les trucs que j’ai écrits, avoir des retours. C’est ce qui me fait kiffer !

À l’avenir, j’aimerais bien continuer de travailler avec des personnes racisées, des personnes queer, des meufs, pour avoir quelque chose de continu dans mes différents projets.

Te définis-tu comme féministe ?

Oui, mais il plusieurs types de féminismes. Il y a beaucoup de gens qui se disent féministes avec lesquels je ne suis pas du tout d’accord. C’est toujours compliqué de demander duquel on parle. Et c’est aussi difficile de cocher des cases, de dire je suis telle féministe. Je pense qu’il faut faire attention avec le mot « féminisme », qu’on utilise un peu vite parfois. Pour moi, en tout cas, c’est plus complexe  que « femmes et hommes égaux ».

Je crois que mes problématiques sont multiples. J’ai envie de m’intéresser à ce qui me concerne, à ce que je peux saisir, à ce que je peux comprendre.

Que penses-tu de Madame Rap ?

Je trouve ça super cool, parce qu’on peut découvrir plein de rappeuses et c’est chouette ! Il y a vraiment différents univers qui sont mis en avant, et tout est traité au même niveau. On avance toutes, tout le monde est là ! J’aime bien cette absence de hiérarchie, c’est un truc qui me plaît bien dans Madame Rap ; l’absence de hiérarchie tant au niveau connu/pas connu qu’au niveau national/international.

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Propos recueillis par Maëlis Delorme.

K’s Khaldi ? LaMaDâMe : « Le rap n’est pas une musique anodine »

A l’occasion du festival Intersections, Madame Rap a rencontré la rappeuse K’s Khaldi La Madâme. L’artiste, originaire de Saint-Etienne, nous a parlé de militantisme, de son parcours dans le rap et de son projet d’EP.

D’où vient le nom « K’s Khaldi ? La Madâme » ?

Je m’appelle Lisa Sekhria, du coup si tu enlèves l’accent ça fait « Lisa s’écria ». Je fais le petit jeu de mot « Lisa s’écria, qu’est-ce qu’elle dit la madame ? ».

Mon blase est constitué de mon nom de famille, qui est d’origine algérienne, Khaldi et K’s pour cassos. Ça donne le jeu de mot « qu’est-ce qu’elle dit ». La Madâme, c’est « La » pour la note de musique, « Mad » pour la folie, et « Âme ». Je pose un point d’interrogation derrière La Madâme pour questionner le genre, et aussi pour contrer le phénomène de « miss » ou  « mademoiselle ». Aujourd’hui, on est toutes des Madames, pas besoin d’identifier les femmes mariées et celles qui ne le sont pas.

Te considères-tu comme rappeuse ?

Je me considère comme rappeuse. Pour moi, le rap n’est pas une musique anodine, et si tu viens d’un certain milieu, tu ne peux pas passer à côté. J’ai l’impression que ce n’est pas nous qui choisissons le rap, c’est le rap qui nous choisit, plus ou moins.

Je pense qu’avant d’être des rappeur·se·s, on est d’abord des conteur·euse·s. J’ai toujours aimé raconter ou écrire des histoires et des poèmes. J’ai toujours entendu du rap aussi, et j’ai toujours aimé chanter. Je suis née dans la mixité et dans un environnement musical, d’ouvriers prolos immigrés ; on aime la musique, ça fait partie de notre culture.

Tu définis le rap comme une « auto-thérapie à usage collectif », qu’est-ce que cela signifie ?

Le rap pour moi, c’est une musique de revendication, de représentation, de prolo, une musique intersectionnelle, qui porte des messages forts, lourds et véridiques. À mon sens, le rap, c’est juste le reflet de la société, avec des mots crus.

Je pense que pour plein d’artistes, ça part des tripes. On est d’abord dans notre bulle. Il me semble que ça empêche beaucoup de monde de péter un câble en fait ! On vit, on entend, on subit, mais à qui on raconte ? Qui est là pour nous entendre, pour nous aider ? À part notre page blanche ? On est notre propre psychologue en quelque sorte, donc le rap c’est une auto-thérapie. Si tu as la chance de pouvoir retranscrire et partager ce que tu écris, et bien ça devient une auto-thérapie à usage collectif. C’est vraiment comme ça que je perçois le hip hop.

Tu tournes beaucoup dans des scènes en non-mixité choisie, militantes, queer, pourquoi est-ce important pour toi d’aller vers ce genre d’évènements ?

C’est important parce qu’on n’est pas visibilisé. Moi, je défends les minorités de genre, sociales, culturelles, et j’en fais partie. J’essaye d’être à ma place et de combattre les choses comme je peux. Ces espaces, c’est important parce que tu y es plus entendue.

Au quotidien, on est toujours dans la pédagogie. Je pense que si on fait des scènes comme ça c’est parce qu’ici, les gens savent de quoi on parle. Tout le monde n’a pas la force de s’atteler à faire de la pédagogie, moi je pense que je suis apte. D’ailleurs, je n’ai pas envie de toucher que le milieu queer ou militant. J’ai envie que mon militantisme et mes messages touchent tout le monde. Mais c’est quand même bien d’être sur une scène et de se sentir safe. Ces moments, c’est en accord avec ce que je vis, en accord avec le public, et avec ce que je revendique.

Qu’est ce qui t’a motivé à participer au festival Intersections ?

Tout d’abord, l’énergie de Waka et Paulo et les collaborations que j’ai eues avec elleux. Umoja, leur autre festival où iels m’ont programmé, était l’un de mes meilleurs concerts. Je me suis sentie écoutée, entendue par le public. J’ai trouvé ça vraiment très sincère, très beau ce qu’iels faisaient, ça m’a donné beaucoup de force. Waka et Paulo ont vraiment travaillé d’arrache-pied pour en arriver là ! Ce sont des gens qui me poussent à faire des choses et à croire en moi et ce sont vraiment des ami·e·s au-delà de tout ça.

D’une façon générale, pourquoi penses-tu qu’il y ait si peu de femmes visibles sur la scène rap en France ?

Comme d’habitude, les hommes ont plus de place et de force, ils sont plus en crew, tiennent plus les milieux des labels, comme tous les milieux de toute façon.

Je pense qu’on aura du mal tant qu’on ne se créera pas des espaces et des liens forts entre nous comme ils l’ont fait eux. C’est peut-être un peu triste à dire. Après, on n’est pas non plus contre les hommes et contre leur participation en tant qu’alliés. Il ne faut pas non plus recréer des cases. Il faut trouver le juste milieu.

Quand j’ai commencé le rap, je n’ai pas rappé avec des meufs. Il n’y en avait pas vraiment dans mon entourage. Les meufs ont moins de place dans la société en général, alors comment veux-tu prendre le mic si tu ne prends pas de place déjà dans ta vie ?

Te définis-tu comme féministe ?

Je me considère comme féministe oui c’est sûr, du féminisme racisé. Je soutiens grave l’afro-féminisme, et l’afro-futurisme même. Je me considère comme une artiste militante.

Aussi, de nombreuses femmes ne se disent pas ou ne se revendiquent pas féministes, mais pour moi, le simple fait d’être femme dans un monde patriarcal fait de nous des féministes avérées. Les premières féministes que j’ai connues, ce sont mes grands-mères, mères, tantes, voisines, cousines, amies. Elles n’employaient pas forcement le terme « féministe », mais elles l’étaient par leurs actions, leur existence, leurs combats, leurs sourires et leur beauté, dans un monde peu approprié qui leur laisse peu d’opportunités et de chances !

Peux tu me parler de l’association que tu es en train de créer ?

Je suis en train de créer une association d’actions sociales et culturelles. C’est encore un peu compliqué mais ça s’appelle Bruit2khalKhulture. Ce sera orienté sur le hip hop mais pas seulement, sur les minorités en général.

Quels sont tes projets musicaux en ce moment ?

Je vais bientôt tourner le clip de « DlaV ». J’aimerais trouver les bonnes personnes pour cliper le morceau.

Ensuite, j’aimerais faire mon EP. Il y a des gens qui m’ont réclamé un album, et moi aussi j’aimerais bien faire ça, quelque chose de qualité. Pour l’instant, j’attends d’arranger certaines instrus, voire même d’en faire des nouvelles. Ensuite, je vais lancer le financement participatif.

Je ne veux pas faire un album basique. Comme je peins beaucoup, et que je graffe aussi, j’aimerais collaborer avec plein de graffeuses, des artistes militantes, féministes et queer. En fonction de chaque texte, j’aimerais un visuel fait par une meuf qui se serait inspiré de mon texte. L’idée, c’est que ce soit un peu hybride.

D’une façon générale, j’ai envie de créer essentiellement des collaborations avec des meufs, des féministes, des personnes queer et racisées.

Que penses-tu de Madame Rap ?

Je trouve tip top d’avoir un média qui enfin relaye ces informations ! Je pense que ça ne peut être que bon. A mon avis, c’est en faisant des partenariats, en se visibilisant entre nous que l’on va prendre de la place. Se visibiliser entre eux, c’est ce qu’ils font les pélos depuis la nuit des temps.

Le travail de Madame Rap, le travail des festivals, des rappeuses, des gens qui sont en études dans le genre, tout ça, c’est grâce à ça qu’on va évoluer.

Retrouvez K’s Khaldi la Madâme sur Facebook, Instagram, YouTube et Soundcould.

Propos recueillis par Maëlis Delorme.

Lady Laistee : « Je refuse d’être mise dans une case »

Après plusieurs années d’absence et à l’occasion de la sortie du clip « Le retour du phoenix », la rappeuse Lady Laistee nous a parlé de sa carrière de rappeuse, de son retour et de ses projets à venir !

Quand et comment as-tu commencé à rapper ?

J’ai commencé à rapper vers 1994. Je faisais partie d’un groupe de danse et nous étions très souvent invité·e·s à performer dans des concerts. Ce fût lors d’un de ces concerts que j’ai eu le déclic sur ce que je voulais faire dans un futur très proche.

D’où vient ton nom de rappeuse ?

Je l’ai inventé. Il veut dire la lady stylée, en verlan.

Peux-tu me faire un petit rappel de tes projets précédents, de tes succès ?

  • 1995 : Freestyle sur l’album des Sléo : “Ensemble pour une nouvelle aventure”
  • 1995 : Compilation “Cool Session”
  • 1997 : Compilation L432
  • 1999 : Sortie Album : “Black Mama”, et succès du titre “Et Si”” vendu à plus de 500 000 exemplaire.
  • 2002 : Album “Hip-hop Therapy”
  • 2005 : Album “ Second souffle”

Est-ce que tu pourrais revenir en quelques mots sur le pourquoi de ton absence dans la musique ces dernières années ?

Je devais me trouver en tant personne. Le fait d’être loin de l’industrie de la musique était quelque chose de voulu et de nécessaire. J’ai eu besoin de faire ma thérapie personnelle.

J’ai eu un passé plein de rebondissements : l’accident cérébral, la séparation d’avec mon mari… Ma vie devait correspondre à mes décisions du moment. Je devais m’arrêter et faire un “reset” si je peux dire ça comme ça.

L’intro de ton récent clip commence par une voix de Jacky des Nèg’ Marrons qui scande « c’est son retour ». Ce morceau annonce-t-il un album, une tournée, une suite ? Quels sont tes projets à venir ?

L’intro du morceau annonce bien mon retour. Il y a un deuxième single prévu pour courant mai, puis le dernier prévu à la rentrée. Sortira en même temps l’EP, Un monde meilleur, un ensemble de quatre à six morceaux de musique formant un tout.

Début 2020 sortira un album.

Qu’est-ce qui t’a motivé à revenir dans la musique ?

Je suis une artiste passionnée. Le public m’a donné la possibilité de partager mes pensées, mes réflexions et c’est ce que je fais.

Je crois que j’ai changé durant ces années. Je crois aussi que j’ai des choses à dire, sur la société, sur les valeurs, sur ma vie dans cette société…

Je partage tout ça avec le public.

Tu as donc connu le rap quasiment à ses débuts en France, qu’est-ce qui a changé selon toi par rapport à la scène rap actuelle ?

A l’époque, nous avions une motivation commune, une culture commune importée des États Unis. Même si nous étions dans des “crews différents” on respectait le “MC” (maître de cérémonie, soit le rappeur). On pouvait se rencontrer dans des soirées pour danser sur les enchaînements et les scratchs d’un DJ connu, faire des freestyles ou tout simplement montrer notre style. J’ai l’impression que tout cela est révolu maintenant.

Pourrais-tu me citer quelques artistes rap du moment que tu suis ?

Je n’écoute pas beaucoup de rap, mais j’aime beaucoup Youssoupha et Oxmo Puccino.

Pourquoi penses-tu qu’il y ait si peu de femmes visibles sur la scène rap en France aujourd’hui ?

Réussir dans cette sphère est quelque chose d’assez difficile quand tu es une femme.

Je crois qu’il faut s’entourer des bonnes personnes. La motivation joue un très grand rôle. Il faut s’accrocher pour réussir quelles que soient les épreuves. Mais d’une manière générale, la “femme” a toujours été dans ce challenge. Je crois que même si il faut qu’elle mette les bouchées doubles “elle” se battra jusqu’au bout.

Quel est ton rapport aux féminismes aujourd’hui ? Est-ce que tu te dis féministe, est-ce que tu te reconnais là-dedans ?

Pendant longtemps, quand j’abordais la question des femmes dans mes raps ou le fait que je sois une femme dans le rap, les journalistes avait tendance à me prendre pour une féministe.

Aujourd’hui, je refuse d’être mise dans une case. Le féminisme est un concept très large…

Je suis juste une citoyenne qui aime la justice.

Connaissais-tu Madame Rap ? Qu’en penses-tu ?

Je ne connaissais pas. Pour moi, c’est “faire bande à part” que de créer un magazine juste pour les femmes. Je crois qu’il faut opérer là où les “hommes” opèrent.

Mais je crois aussi que l’époque du ”genre” des MC est révolue. Une rappeuse est un “MC”, point !

Que peux-t-on te souhaiter aujourd’hui ?

Que j’écoute plus de rap français ! Moi, je vous souhaite d’être connu·e·s et reconnu·e·s par vos pairs !

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Propos recueillis par Maëlis Delorme.

Le Collectif lyonnais Hip Hop Féminin oeuvre pour les femmes et les queers dans le rap

Nous avons pu assister au deuxième évènement organisé par le Collectif Hip Hop Féminin le 13 avril dernier à Lyon. L’occasion de présenter ce jeune collectif qui oeuvre pour les femmes et les queers dans le rap.

Né d’une envie de voir à Lyon un rap plus inclusif et plus mixte, le Collectif Hip Hop Féminin a organisé son premier événement en octobre dernier. Sa réussite a démontré une vraie demande du public lyonnais à accueillir un rap fait par des femmes et des personnes queer.

Du premier événement ont aussi émergées de nombreuses questions sur le sujet. L’idée de cette seconde manifestation, le weekend dernier, était d’en proposer des réponses ou des pistes de réflexions à travers une double initiative, à la fois théorique et festive.

L’après-midi s’est donc déroulé à Radio Canut, une radio associative libre et autogérée de Lyon, avec au programme : la diffusion d’une interview d’Éloïse Bouton, support d’un débat auquel ont réagi les artistes invitées ; et un open mic. Dans ce premier temps de la journée, l’envie était de donner la parole à des artistes femmes et queer de la scène rap française. Celles-ci ont échangé sur leurs expériences de rappeuses, de femmes, de personnes queer et/ou racisées. On a parlé de rap, des féminismes, d’intersectionnalité, d’utopies et de sororité entre rappeuses.

Le soir, nous nous sommes retrouvé.e.s au Grrrnd Zéro pour assister aux concerts des artistes programmées.

« Organiser des événements qui nous parle, visibiliser des artistes qu’on aime, qui nous représentent et en découvrir » font partie des motivations du Collectif Hip Hop Féminin.

Dans cette dynamique libertaire et de construction collective, les idées et les projets sont nombreux et éclectiques. Même si pour le moment orienté sur la promotion de rappeuses, DJs et beatboxeuses, le collectif espère à l’avenir pouvoir organiser de nouveaux événements en lien avec d’autres disciplines du hip hop comme le graffiti ou la danse !

A suivre donc…

Merci au Collectif Hip Hop Féminin pour son accueil, ainsi qu’aux artistes : Amahoro, Mad’Joe, Waka, K’s Khaldi la Madâme, BauBô, Nea, Shani, MNK, Lema et Yanka !

Retrouvez le Collectif Hip Hop Féminin sur Facebook et Instagram.

Retrouvez les podcasts de l’édition 2019 ici

Maëlis Delorme

Photo : ©Anotherday

Rappeuz, c’est parti !

Rappeuz, le nouveau concours de talents organisé par le collectif Call me Femcee et dont Madame Rap est partenaire, débute demain !

Madame Rap recence 120 rappeuses en France dont 105 actives aujourd’hui. Pourtant, les rappeuses restent peu relayées et présentes dans les industries musicales dominantes, voire dans les circuits classiques du hip hop. Bien qu’il existe de nombreux tremplins rap en France, les femmes y sont souvent grandement minoritaires et peu promues. C’est dans ce contexte que le concours Rappeuz se propose de rassembler, de visibiliser et surtout d’accompagner ses figures montantes de la scène rap française !

La première étape du concours aura lieu dans quatre villes françaises. Les auditions commenceront ce mercredi 17 avril au FLOW à Lille ; elles se poursuivront jusqu’au 3 mai à Marseille, Bordeaux et Paris. A chaque date, deux artistes se distingueront pour la phase finale du concours.

Fixée à l’origine au 15 avril, la date finale pour déposer sa candidature est reportée au 20 avril pour Bordeaux et Paris !

Le jury de ces auditions sera composé à chaque fois d’un·e représentant·e de la structure d’accueil, d’un·e représentant·e Call Me femcee et d’une personnalité (artiste, journaliste, militant·e…). Leurs noms seront annoncés à chaque date de casting.

Afin de tester le talent des participantes, les jurys prêteront attention à divers critères à la fois techniques et sensibles (le texte, le flow, le style, l’aisance scénique, l’ambition…).

Les 10 rappeuses sélectionnées pour la deuxième phase du concours se proposeront aux votes du public et à ceux du jury via l’application KEAKR. Vous pourrez soutenir votre artiste préférée à partir du 6 mai !

Les gagnantes seront annoncées le 1er juin, le jour du lancement du Festival Paris Hip Hop.

Pour s’inscrire au concours : rappeuz.casting@gmail.com. 

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KLM : « Être une femme dans le rap, pour moi, c’est un avantage »

Madame Rap a rencontré la rappeuse lyonnaise KLM, membre du groupe « Les Artisans des Bonnes Ondes » (LABO). L’artiste, qui se définit comme « kickeuse et amoureuse des mots et des lettres », nous a parlé de son parcours dans le rap !

Quand et comment as-tu commencé à rapper ?

J’ai commencé à rapper vers 16 ans. J’avais des potes autour de moi qui rappaient, et j’étais surtout fan de rap. A cette époque-là, c’était le début du téléchargement, il n’y avait pas encore YouTube. J’étais une grosse collectionneuse. Je téléchargeais tout. Les grands classiques comme les nouveautés du moment. Je les connaissais tous par cœur. J’ai toujours eu des facilités en termes d’écriture. En fait, je kiffais ça, donc je me suis dit « pourquoi pas moi », et j’ai commencé à écrire mes premiers textes.

Et est arrivé le jour où j’ai sorti mon rap de ma chambre. Un soir, en me promenant  avec une pote sur les quais à Lyon, j’aperçois une bande qui rappent en cercle autour d’une grosse enceinte. Un micro passe de main en main. Ma pote me pousse à y aller, donc je m’approche, hyper timide. Il n’y avait que des pélos. Et ça c’est trop bien passé ! C’était trop un bon moment parce que j’ai rencontré plein de gens, j’ai eu plein de critiques constructives.

Comment as-tu intégré le groupe LABO ?

En 2015, je me suis inscrite à un atelier qui s’appelle LABO RAP à Bizarre (Vénissieux, 69). C’était un atelier sur un trimestre. J’y allais pour prendre de la technique et progresser. Là-bas, j’ai rencontré sept gars. On s’est donné comme objectif de créer des morceaux pour faire une scène ensemble, et donc faire ma première scène. Sur ces trois mois de travail, il y a eu un vrai coup de foudre musical. De cet atelier-là, on est devenu un groupe.

Le groupe m’a vraiment apporté un truc de ouf. C’est avec eux que j’ai progressé. C’est avec eux que j’ai appris à compter des mesures, que j’ai compris que le rap ce n’était pas que des lettres, c’était aussi des maths…

Les Artisans des Bonnes Ondes, c’est toujours d’actualité, et c’est vraiment une force pour moi. Après, la petite différence aujourd’hui, c’est que comme je cherche à me professionnaliser, je ne peux plus m’investir autant, mais le groupe continue de tourner.

Tu as fait tes premières scènes en tant que rappeuse avec le LABO, mais quelle a été ta première expérience de scène en solo ?

À peu près vers 2016. C’est Bizarre qui m’a proposé ma première scène. La scène, j’aime trop ça : le contact avec le public, l’adrénaline, c’est un kif de ouf !! Mais la scène, ça se travaille ! Bizarre m’a grave aidée là-dedans. J’ai tourné dans pas mal de salles à Lyon, grâce au réseau notamment (Bamboox, Amalaita…) et en moins d’un an, je trouve que j’ai quand même un beau CV.

Que signifie être rappeuse pour toi ?

Avant tout, le rap c’est une musique qui m’a bercée depuis toute petite. La musique est un vrai exutoire pour moi. Cela me permet de poser mes mots sur mes sentiments, mes détresses, sur ce qui se passe dans le monde. Le rap est un moyen d’expression mais aussi un moyen de faire passer des messages plus engagés, voire militants.

Comment vis-tu le fait d’être une femme dans le rap aujourd’hui ?

Pour l’instant, pour moi, c’est un avantage, parce que justement on est peu, donc je peux avoir une visibilité hyper rapide, hyper facilement. Il y a des places à prendre. J’ai la chance d’être bien entourée, et même si c’est un « milieu d’hommes », je ne suis tombée que sur des gens bienveillants.

Quels sont les thèmes récurrents dans tes textes ou les thèmes que tu aimes bien aborder ?

La plupart des trucs que je vais aborder sont en lien avec des injustices. Peu importe le type d’injustices. Et sinon, je suis surtout sur une écriture un peu introspective.

En parlant d’injustices, il y a quelques mois tu as sorti le clip Exil qui a l’air d’avoir été un gros projet. Tu peux m’en parler ?

Exil, de par le message, je voulais que ce soit un assez gros truc. Comme le propos était dur, je l’ai mis en scène par la danse. Au final,  on était plus de trente autour de ce clip !  Cette collab-là, pour le coup, n’avait rien de marketing. C’était vraiment beaucoup beaucoup d’amour, beaucoup de talent, beaucoup de bienveillance. Tous les gens qui y ont participé l’on fait pour le propos, et ça a été trop fort !

Quels sont tes projets en ce moment ? Qu’est-ce que tu as envie de faire de ta pratique du rap et de ta pratique musicale ?

Je vais faire un petit flash-back. En 2016-2017, mes potes m’ont offert comme cadeau d’anniversaire de pouvoir enregistrer en studio. De là, j’ai produit mon premier EP, Ici-Bas, qui est sorti en février 2018. J’ai commencé à sortir, présenter, défendre mon projet en faisant des concerts, en sortant des clips. Donc j’ai mis les pieds dans la professionnalisation, qui est un gros chantier où en fait, j’ai toutes les casquettes (création audio, visuelle, com, etc…). Du coup, pendant un an, je me suis mise à plein temps dans la musique, ça m’a permis d’avancer assez vite dans la projection de ma carrière.

Là, je suis en train de créer un premier album. J’arrête les concerts pendant une petite période, en tout  cas, en tant que KLM. Je me focalise sur la créa, sur cet album, sur sa sortie, la stratégie et tout ce qu’il faut pour pouvoir le mettre en œuvre.

Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?

Quand j’ai découvert Madame Rap, j’ai trouvé ça hyper cool ! Moi-même, plein de fois quand je cherchais des sons de meufs, je galérais. Pour trouver de nouvelles artistes, c’est compliqué. Avec Madame Rap, je trouve qu’on découvre plein de trucs, surtout au niveau de la scène internationale et ça, c’est trop riche. Je trouve surtout que Madame Rap fait parler du rap indé, du rap qui ne sort pas, du rap qui n’est pas sur les radios et ça, c’est trop bien. Au-delà de défendre les femmes dans le rap, je trouve que c’est aussi défendre le rap indé et sortir de cette industrie capitaliste.

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Propos recueillis par Maëlis Delorme.

Photo : ©Benjamin Vallet