Playlist #60 – Avril 2024

Découvrez notre playlist #60 sur YouTube, Spotify, Deezer et Apple Music avec 20 titres de rappeuses et rappeurs·euses LGBT+ du monde entier !

Avec :

🇫🇷 🏳️‍🌈 Adès the planet
🇫🇷 Nanor
🇫🇷 Fanny Polly & 🇫🇷 Nayra
🇫🇷 Maïcee
🇫🇷 🏳️‍🌈 Changeline
🇫🇷 🇬🇧 Sorah
🇬🇧 🏳️‍🌈 OneDa
🇵🇱 🏳️‍🌈 Aljas
🇰🇿 Say Mo
🇪🇬 Felukah & 🇸🇩 Nadine El Roubi
🇲🇿 Iveth
🇳🇬 Deto Black
🇪🇸 🏳️‍🌈 K1za
🇪🇸 Las Ninyas del Corro
🇦🇷 Sofia Gabanna
🇧🇴 🏳️‍🌈 🏳️‍⚧️ Hyena
🇺🇸 Whitney Peyton & 🇺🇸 Gangsta Boo
🇺🇸 Flo Milli
🇺🇸 Bktherula
🇺🇸 🏳️‍🌈 Cardi B

Nua & So La Leï : « On met en scène avec dérision les clichés de l’hyper masculinisation dans le rap »

Les rappeuses Nua et So La Leï ont sorti le titre « Zéro Zéro » en janvier 2024. La première est angevine de naissance, la seconde est née à Quimper et a étudié à Lyon avant de s’installer à Angers. Les deux artistes émergentes nous parlent de l’histoire de cette collaboration, de leurs projets artistiques respectifs et de la place des femmes sur la scène rap de leur région. 

Quand et comment avez-vous commencé à rapper ?

Nua : J’ai commencé à écrire des poèmes à 16 ans, en permanence à l’internat. J’étais très inspirée par Fauve. Je slamais, parlais dans ma tête.

Cette année-là, pour la première fois, j’ai rencontré un gars de mon âge qui a rappé devant moi. J’ai eu un déclic et un coup de cœur à la fois, je me suis dit : « moi aussi, je veux faire ça ». Je me suis tout de suite orientée vers une écriture rap.

J’ai rappé et c’était vraiment bon d’entendre ma voix sortir des mots qui résonnaient en moi. Exprimer mes souffrances et joies de cette manière, ça m’a émue.

So La Leï : J’ai commencé à rapper quand j’étais en dernière année d’étude à Lyon, il y a à peu près deux ans et demi. J’écoutais déjà du rap depuis le lycée et j’avais aussi une pratique personnelle d’écriture qui n’était pas liée à la musique.

Quand j’ai commencé à découvrir des femmes qui rappaient comme Princess Nokia, Biig Piig, IAMDDB, j’ai ressenti un grand sentiment d’admiration et de satisfaction. Elles sont hyper badass et je me suis dit : « moi aussi je veux faire pareil ! »

En parallèle, j’avais été convertie par des amis à Alkpote et Biffty.

Au début, ils m’insupportaient avec leurs paroles misogynes, puis je me suis dit que s’ils pouvaient se permettre de dire des trucs aussi salaces, pourquoi une femme ne pourrait-elle pas faire la même chose ?

C’est donc davantage par défi et provocation féministe que j’ai commencé à rapper.

Par la suite, la pratique du rap est restée car elle était très thérapeutique pour moi. Écrire, c’est déjà extérioriser, mais à un moment donné ce n’est plus suffisant.

Le rap m’a apporté l’opportunité d’exprimer ma colère, ma tristesse et mon sentiment d’injustice en interprétant mes textes par la voix.

Ce fut la découverte d’un outil d’expression hyper puissant pour moi.

Ensuite, c’est quand je suis arrivée à Angers que j’ai réellement commencé à apprendre les bases du rap (les temps, la rythmique…) car je ne connaissais absolument rien à la technique. 

Aviez-vous des rôles modèles en grandissant ?

Nua : Ma culture musicale a commencé avec ma sœur, avec qui j’ai 7 ans de différence. Dès mes 8/9 ans, peut-être même avant, j’écoutais ses CD avec elle. Je n’aimais que les sons en français, le reste ne me parlait pas. J’avais besoin de comprendre les mots et de pouvoir les chanter ensemble, c’était cool. On a saigné les albums de Diam’s et aussi de Tragédie.

Ma construction musicale en solitaire à commencer au collège. Je n’écoutais quasiment que du rap et beaucoup la radio, notamment Skyrock. Diam’s, Keny Arkana, Lacrim, Mister You, Volts Face, Orelsan.

Au lycée, en boucle sur du Hugo TSR, Scylla et Sinik. Puis, je suis tombée sous le charme de la poésie de Fauve et Saez. Ça sortait de mon univers rap. Je suis touchée par la manière dont ils interprètent leurs mots et les mettent en images.

À 20 ans, à la fac, j’ai rencontré des musiciens. On a monté un groupe nommé Minuit Grand Max. Un live band hip hop soul, où j’écris et rappe la majorité de nos textes.

Avec eux, j’ai commencé à entendre et à comprendre ce qui passe au-delà des mots, à écouter les mélodies et les arrangements.

Ce fut mon deuxième déclic musical.

Avec Minuit Grand Max, on a étudié trois ans au Conservatoire à Rayonnement Régional d’Angers, en musiques actuelles. Ça a totalement modifié mon rapport à la musique. Ça m’a initiée à l’histoire de la musique et j’ai développé un grand intérêt pour la naissance du mouvement et de la culture hip hop aux États-Unis. J’ai pu approfondir mes références, apprendre le solfège, prendre des cours de chant, entendre la justesse des notes, sentir l’interaction entre les drums et de la basse dans une instrumentale.

On a dû faire une vingtaine de concerts avec le groupe. Ça m’a initié à la scène et à gérer le rapport au public. C’est toujours intense et généreux de jouer avec ces 5 musicien·nes sur scène.

Aujourd’hui, ce qui m’habite dans mon rapport à la musique, c’est le partage et la bienveillance. Ces valeurs sont véhiculées dans le mouvement hip hop, notamment illustrées par cette phrase phare de la Zulu Nation ‘’Love, peace, unity and having fun’’. De ce côté-là, dans les années 90’s, Da Brat, Queen Latifah, Lauryn Hill, Tupac, Cypress Hill sont des rappeur·euses qui m’inspirent.

Dans mes sons, je développe un univers plus personnel avec des récits intimes, liés aux rapports au corps, à l’amour, la colère, et au sentiment d’injustice.

Les artistes que j’écoute le plus sont Mac Miller, Little Simz, Shay, Lala&ce, Chilla, Disiz et Josman.

Quelques figures féminines émergentes qui m’inspirent sont Zinée, Yoa, Eesah Yasuke et Myra.

So La Leï : Je dirais ma sœur. Elle m’a appris à faire beaucoup de choses : nager, du vélo, du roller, la cuisine… Elle inventait des histoires pour m’endormir. Elle a beaucoup participé à ma culture musicale et artistique…C’était un exemple pendant très longtemps et j’avais beaucoup d’admiration pour elle.

C’est toujours le cas aujourd’hui, mais c’est plus équilibré. Je ne me sens plus être la petite sœur, il n’y a plus d’ascendant, on se soutient et on s’apporte mutuellement. On a grandi ensemble, on partage la même histoire familiale, on est toutes les deux militantes et on a toujours été proches et intimes.

Comment décririez-vous votre musique et votre identité artistique ?

Nua : Je raconte des histoires inspirées de mon expérience. J’adore rapper autant que j’aime chanter, alors je lie les deux. Là où j’ai le plus d’aisance, c’est sur du 90 BPM, avec des rythmes, chants smooth et groovy aux textes sensuels.

Pour autant, sur scène, j’ai plus de facilité à kicker sur des prods énergiques et c’est plus complexe pour moi d’interpréter mes textes intimes.

So La Leï : C’est assez difficile pour moi de répondre à cette question car à part le feat que j’ai fait avec Nua, je n’ai pas réellement de morceaux cleans, enregistrés. Je n’ai pas fait de choix d’identité artistique ni rien. Je n’ai pas une pratique régulière du rap et je suis encore en train d’apprendre et de découvrir les possibilités artistiques.

Je dirais que mon écriture varie entre des balades poétiques qui parlent beaucoup de mes traumatismes avec les hommes et de dépression. Et une autre partie de mon écriture est plus rentre-dedans, avec plus d’égo trip et parfois de la misandrie.

Le rap est le seul endroit où je peux me permettre d’exprimer cette colère sans que ça soit vu comme ma personnalité.

C’est ce que j’aime dans le rap : la possibilité de pouvoir s’inventer des histoires, des personnages, où de creuser à fond une émotion que tu ne valides pas et/ou que la société ne valide pas, mais que tu ressens quand même et que tu dois extérioriser.

Le rap me permet de me réconcilier avec des émotions que je ne m’autorise pas à ressentir dans la vie de tous les jours car je les trouve contre-productives, ou parce qu’elles ne correspondent pas à mes valeurs ou que j’ai en honte (jalousie, colère, misogynie, sexualisation…).

C’est un terrain de liberté où je peux m’affranchir de ce qui est politiquement correct. Une artiste que j’admire énormément pour son courage et sa force d’exprimer sa rage sans tabou c’est Ratur.

Actuellement, j’essaie de faire évoluer mon écriture et mon flow et je m’inspire beaucoup de Zinée, Adès the planet, ou encore Carmeline. J’essaie aussi d’avoir des sujets moins intimistes car ce n’est pas toujours évident d’oser partager sa vie en open mic ou autre.

Il y a en général beaucoup d’hommes et je me sens doublement vulnérable d’exposer mon vécu.

J’ai encore peur de casser l’ambiance ou de tomber sur des mecs en face qui en profitent.

Comment vous êtes-vous rencontrées et avez-vous décidé de collaborer ?

Nua : Nous nous sommes rencontrées lors de l’open mic ‘’La Mèche’’ que j’animais à Angers. So La Leï est une personne très lumineuse et sociable. On est tout de suite devenues amies.

Ça faisait du bien de retrouver quelqu’un pour kicker à n’importe quel endroit, à n’importe quelle heure.

So La Leï : On s’est rencontré à un événement de hip-hop dans un tiers lieu à Angers, le 122 (qui aujourd’hui a fermé faute de moyens…). J’étais à Angers depuis peu et je cherchais à rencontrer des meufs qui rappent car je me sentais seule dans ma pratique et j’avais du mal à évoluer sans partage.

J’ai regardé la programmation de l’évènement et j’ai vu qu’il y avait une femme inscrite, Nua. J’ai écouté tous ses sons et je suis allée la rencontrer. Je me suis présentée à elle et à la fin de la soirée on s’est retrouvée dehors à freestyler pendant une heure et ensuite on a appris à se connaître.

C’est quelques mois plus tard, autour d’un apéro, qu’elle m’a parlé d’un texte qu’elle avait commencé à écrire.

On a commencé à délirer sur l’idée de faire un morceau parodique qui reprendrait les codes d’un rap egotrip, capitaliste, souvent sexiste, pour en faire un dérivé plus féministe ou les codes genrés seraient inversés.

Comment est née l’idée du titre « Zéro Zéro » ?

Nua : L’idée est née lors d’un apéro un soir d’été avec So La Leï, Emmanuel Babin et moi. Nous nous projetions sur la conception d’un nouveau clip différent de ce qu’on avait déjà réalisé. C’est-à-dire avec un casting plus important et un scénario plus poussé et déjanté.

Comment avez-vous travaillé sur ce projet ? (Est-ce que vous avez écrit vos textes ensemble ? Comment avez-vous réfléchi au clip ? …)

So La Leï : Je devais rentrer en Bretagne, on a donc écrit chacune de notre côté, Nua m’avait envoyé l’instru qu’elle avait choisie puis je lui partageais mes textes pour qu’elle puisse travailler la structure du morceau que je validais ensuite. On a d’abord commencé à enregistrer chacune de notre côté pour que Nua puisse faire la maquette et à mon retour à Angers on a enregistré au Conservatoire.

Pour ce qui est du clip, on a travaillé en équipe avec d’autres amis et l’association Pink Us Dead. Manu était le réal et s’est occupé du script et moi, j’étais chargée des costumes et de l’identité vestimentaire.

Nua : On est parti sur l’idée de mettre en scène avec dérision des clichés de l’hyper masculinisation dans le rap ainsi que les images sexistes que ça véhicule.

L’un de ces clichés représentatifs est celui de ces rappeurs qui sont dans leurs clips, en comptant leurs liasses, entourés de jeunes femmes.

Ainsi, l’idée première qui nous est venue était de me représenter en cheffe de gang avec plusieurs mecs sous mes ordres. Lors de la discussion, j’ai réalisé́ que j’avais justement écrit un texte qui ironise les codes de l’egotrip cet après-midi-là.

On est parti de cette base. On a gardé le couplet 1 et le refrain de ce texte puis So La Leï a écrit de son côté. Enfin, on a coécrit le couplet 4 en arrangeant le tout avec la prod de Teva. Le titre s’est écrit à mesure de l’avancée du scénario et vice versa.

Quels retours avez-vous eu de la part de votre communauté et de votre public ?

Nua : On a senti une progression avec l’équipe de tournage avec ce dernier clip, une amélioration au niveau de la conception des costumes, des maquillages, du scénario, des images. Toute l’équipe et les figurant·es se sont impliqué·es dès le départ, donc merci vraiment à elles·eux.

« Zéro Zéro », c’est une direction artistique différente de ce que j’ai l’habitude de réaliser, chargée en dérision et en provocation.

Le son et le clip sont à la fois saisissants et déroutants. L’instrumentale ne contient pas de mélodies. Elle repose sur les drums, la basse et les Fx. L’ambiance est très métallique.

Cette proposition artistique est une première pour moi, une première expérience aussi de featuring.

Dans le clip, So La Leï et moi jouons un rôle, alors qu’à l’habitude, le personnage de Nua se rapproche plus de ma réalité́ quotidienne.

So La Leï : Personnellement, à part mes ami·es, de la famille et des connaissances, je n’ai pas eu d’autres retours. Donc ce n’est pas très objectif, mais les personnes sont très enjouées et trouvent le clip très professionnel. Sinon, on a pu jouer quelques fois le morceau sur scène et le public était réceptif.

A quoi ressemble la scène des rappeuses à Angers et dans la région ? Êtes-vous en lien les unes avec les autres ?

Nua : La scène des rappeuses angevines existe. La rappeuse Sally a fait partie de l’équipe Espoir dans la SMAC d’Angers.

Le Chadada a mis en place deux éditions du Elles Festival, dans lequel j’ai animé un open mic ainsi qu’un atelier rap et d’écriture en mixité choisie entre femmes et minorités de genre. Une vingtaine de personnes ont rappé à ces occasions.

Sur la région, à Rennes, je suis en lien avec Argalouve. Au Mans, il y a Wuu Jia et Odiyana. À Poitiers, Ottomat et Nosil B. À Tours, il y a Janes et les autres. À Nantes, Shadeblauck, Iazu, Tinaa, Evyle, Hvrley Qveen et encore de nombreuses autres.

Ces liens se sont créés à Nantes, lors du Summer camp, un stage de cinq jours en mixité choisie à Trempo en 2022. Lors du stage, nous avons été coachées par Pumpkin, Fanny Polly, KT Gorique, Tracy De Sà, des rappeuses francophones qui tournent à l’internationale.

So La Leï : À Angers, on a commencé à faire des sessions freestyles avec Nua et d’autres femmes. On a toutes une pratique de l’écriture différente, certaines chantent davantage, d’autres écrivent plus de la poésie et on s’amuse ensemble à se partager ça par la voix.

Pour ce qui est de la région, il y a beaucoup de rappeuses très actives à Nantes. Quand je suis arrivée à Angers, j’ai fait des recherches sur les lieux de rap en mixité choisie et j’ai découvert La Club, des ateliers que la rappeuse Pumpkin avait mis en place à Nantes. J’y suis allée et j’ai rencontré le XXFLY et d’autres rappeuses. C’est avec elles que j’ai fait mes premiers open mics sur des scènes en mixité choisie.

On est encore en lien de temps en temps, on a des conversations où l’on se partage les événements, les projets respectifs, les bons plans… Et on se croise de temps en temps sur des évènements rap.

L’année dernière, la rappeuse Eris Flowroform a créé Game Ovaire, une battle a capella en mixité choisie à Nantes, à laquelle j’ai participé. C’était une expérience incroyable et je la remercie d’avoir mis ça en place car je pense que je n’aurais jamais osé faire une battle sans cet environnement.

Dernièrement, je suis aussi allée au Mans pour une table ronde organisée par L’engrainerie, à laquelle la rappeuse Wuu Jia, que j’avais déjà rencontrée, m’avait invitée.

Est-ce que vous vivez de la musique ? Si non, est-ce un objectif à terme ?

Nua : J’alterne entre ateliers d’écriture, animations d’open mics et concerts en vue d’obtenir le statut d’intermittente du spectacle.

So La Leï : Absolument pas et pour l’instant ce n’est pas un objectif pour moi. Je ne cherche pas à être professionnelle. Pour moi, le rap ce n’est que du kiff, et j’ai peur qu’en l’inscrivant dans un objectif professionnel, ça change.

Le rap est une activité lucrative qui me donne beaucoup de joie, de force et de soutien émotionnel dans ma vie et je ne veux pas en faire quelque chose qui me rajoute des obligations et de la pression.

Je veux que le rap reste un espace de liberté où je peux m’amuser, qui me permet de faire des rencontres magiques et de partager des moments de solidarité. Je fais du rap aussi parce que c’est une manière de militer.

Quels sont vos prochains projets ensemble et/ou en solo ?

Nua : Lorsqu’on est dans la même ville au même moment, on joue le morceau ensemble sur scène. Sinon pour un nouveau feat, l’avenir nous le dira.

So La Leï : Pour l’instant, je n’en ai aucune idée. Mes prochains objectifs sont professionnels. Il ne me reste plus que quelques heures pour obtenir l’intermittence du spectacle en tant qu’artiste et costumière.

Mais j’espère bien que quand je les aurai, j’aurai plus de temps pour moi, pour faire de nouveaux projets artistiques et musicaux avec Nua mais aussi en solo. J’aimerais pouvoir explorer davantage la liberté artistique et identitaire qu’offre la réalisation de clips.

Que peut-on vous souhaiter ?

Nua : D’arpenter les villes et les salles de France, de trouver mon public et de m’épanouir dans mes futures compos.

So La Leï : Que je trouve ma place dans l’intermittence du spectacle et que j’aime mon travail. D’avoir l’argent et le temps pour m’épanouir artistiquement, d’avoir la curiosité et l’ambition de participer à d’autres projets qui me portent et qui portent la lutte contre toutes les violences et les discriminations qui nous entourent.

D’avoir toujours la force et le courage de m’engager, de dire ce que je pense et de faire ce que je veux.

Retrouvez Nua sur Instagram et YouTube.

Retrouvez So La Leï sur Instagram.

© @mimo_foreal

© @julia.briend

VIDÉO – 10 rappeuses marocaines à découvrir

Au milieu des années 80, la culture hip hop commence à émerger au Maroc. Bien que Al Kayssar soit le premier artiste à rapper en darija, arabe dialectal marocain, les femmes sont également actives sur la scène rap dès les années 90.

Considérée comme l’une des pionnières du genre, Widad Mjama (aka Queen Thug) devient en 1999 une figure de la scène casablancaise avec son groupe Thug Gang.

Également basé à Casablanca, Tigresse Flow est le premier groupe de rappeuses à voir le jour en 2005. Il est notamment composé de Soultana, ancienne B-girl qui poursuivra ensuite une carrière de MC.

Deux ans plus tard, Tendresse (Hanane Lafif) fait ses armes au sein des groupes phares Bclik et Xsid avant de se lancer en solo.

Depuis, le nombre de rappeuses n’a cessé de grandir dans le pays. Qu’elles soient influencées par le boom bap, la trap ou la drill, ces artistes racontent leur quotidien, relatent des histoires personnelles ou collectives, dénoncent les violences de genre et démontrent une fois de plus que le rap n’est pas réservé aux hommes.

Voici donc 10 rappeuses à découvrir, sélectionnées parmi les 25 artistes marocaines répertoriées sur Madame Rap.

 

Avec :

Ana Tijoux : « Je n’arrive pas à concevoir la séparation entre la musique et l’engagement »

Icône du rap hispanophone, la MC franco-chilienne Ana Tijoux est de retour avec l’album Vida, dix ans après la sortie de son dernier projet. Née en France suite à l’exil forcé de ses parents sous la dictature chilienne, la rappeuse dénonce depuis plus de vingt ans les violences faites aux femmes, les dictatures, le capitalisme et toutes les formes d’oppressions. Elle nous parle de son nouvel album, de sa tournée européenne et de son rapport à l’engagement.

Vida est ton premier album depuis dix ans. Pourquoi ce temps « off » et que s’est-il passé pour toi artistiquement parlant durant cette période ?

C’est vrai que dix ans se sont écoulés depuis mon dernier album. Je sais que ça a l’air énorme, mais quand on est maman, qu’on travaille beaucoup et qu’on est en tournée en permanence, je crois qu’on ressent le temps totalement différemment.

Je n’avais pas le temps de me poser, de créer, de me mettre dans une énergie de contemplation. J’étais en train de résoudre des histoires de travail et de dates.

En quoi ta musique a-t-elle évolué en dix ans ?

Je ne sais pas si c’est une évolution, mais je me sens plus libre dans le sens où je me permets de faire des choses que je voulais faire mais que je n’osais pas trop faire. Là, au contraire, je sens une sorte de liberté qui me permet d’explorer des rythmes que je n’aurais peut-être jamais explorés avant.

Tu décris ton single « Niñx » comme « un manifeste pour l’enfant que nous avons tous en nous. » Qu’est-ce qui t’a inspiré l’écriture de ce morceau ?

En fait, “Niñx” est un morceau que j’ai écrit pour ma fille, mais que je me suis aussi écrit à moi-même. Je me rappelle quand j’étais gamine et que je regardais les adultes, je me disais que je ne voulais pas être comme eux. Et finalement, on devient eux sans le vouloir.

Je crois qu’une des choses qui me plait le plus dans la musique, c’est que quand je compose ou quand je suis dans ce état plus créatif, cette petite fille est encore émue. Elle contemple les choses avec ce regard que l’on porte tous.

J’ai écrit ce titre pour ne jamais oublier les raisons qui m’ont poussée à créer, à prendre la plume et à rapper.

Le clip est signé de la réalisatrice chilienne Camila Grandi. Comment vous êtes-vous rencontrées et avez décidé de travailler ensemble ?

J’avais vu son travail sur les réseaux et je trouvais ça vraiment super. Elle a une esthétique super intéressante, avec une identité très propre, qui lui appartient. Je lui ai écrit tout simplement, elle m’a répondu, et ça s’est fait comme ça.

Tu es également en tournée européenne. Comment se passe ce retour sur scène ?

Je crois que c’est ce que je préfère : pouvoir jouer les morceaux, leur donner une vie propre, les faire sonner en live. Ils changent énormément, il y a une grande amplitude.

Avec le live qu’on est en train de créer, de composer, d’approfondir, on essaye de proposer quelque chose de dansant, en tout cas très rythmique au niveau du BPM. Ce sont des tempos assez rapides en général.

Depuis tes débuts dans les années 2000, tu t’es sans cesse mobilisée contre les violences faites aux femmes, les dictatures, le capitalisme et toutes formes d’oppressions. En quoi le rap te permet-il de mener tes combats politiques ?

Dans mon univers, je n’arrive pas à concevoir la séparation entre la musique et l’engagement. Avec les musiciens qui me plaisent et qui m’interpellent, on met toujours certaines questions sur la table. Je crois que dans ces moments assez violents pour le monde entier, il y a beaucoup de choses à dire et à dénoncer.

Je pense que le féminisme est un thème qui touche toute l’humanité. C’est super intéressant de voir comment ma génération, la génération plus âgée que la mienne, et les générations plus jeunes sont connectées par cette lutte. C’est la raison pour laquelle elle est si forte aussi.

À l’inverse, en quoi tes combats politiques nourrissent-ils ton rap ?

Je dirais que les combats politiques me nourrissent en tout parce que c’est une sensibilité vis-à-vis de ce qui se passe autour de moi.

Le problème de la Palestine et les les violences permanentes envers le peuple palestinien ont toujours été présentes, mais tout a re-explosé de manière très violente depuis octobre 2023. Je crois que c’est le moment de prendre position et de s’unir contre ce génocide.

C’est le moment où le rap doit être engagé. C’est ce rap-là qui me parle en tout cas : ce sens de l’humanité et le fait d’avoir un minimum d’empathie minimum vis-à-vis d’autres êtres humains.

Quel regard portes-tu sur la scène rap française actuelle ?

Comme j’ai vécu assez longtemps en Amérique Latine et que j’ai bougé à Barcelone, j’écoute plein de choses différentes. Après, j’oublie comment ça s’appelle, je suis mauvaises avec les noms. Mais il y a une nouvelle génération qui a la patate.

Mon fils de 19 ans écoute énormément de rap français et c’est surtout lui qui me fait découvrir ces nouvelles générations super intéressantes et de nouvelles rappeuses aussi.

De manière générale, comment le public chilien accueille-t-il les rappeuses ?

Il y a une scène super envoûtante, qui permet à toute cette nouvelle génération de rappeuses de participer. Il y a plein de rappeuses hallucinantes au Chili, comme Irina Doom, RVYO, Rayo Kuza, 22Ruzz, Flor de Rap, LaMisty, Ambar Luna… Il y a une liste énorme.

Mais ce qui est intéressant, c’est qu’il y a de tout. Il y a des machos, des gens assez fermés, il y en a partout. Mais je crois que la nouvelle génération est beaucoup plus ouverte à écouter cette nouvelle vague de femmes qui ont énormément de messages transmettre et à mettre en avant.

Ton public est-il différent en France et au Chili ?

Je dirais oui et non. J’ai du mal à répondre à cette question parce que je crois que la sensibilité va au-delà des pays. Même si je joue à Detroit ou en Colombie, il y a un truc qui passe. Je crois que c’est la magie de jouer sur scène. C’est qu’au-delà des nationalités, il y a un truc qui passe.

Que peut-on te souhaiter ?

Continuer de faire de la musique et d’apprendre. Apprendre, c’est tellement infini et tellement beau. De grandir musicalement, de pouvoir collaborer encore avec des musiciens et des musiciennes hallucinantes autour du monde. Et surtout de grandir. Je crois que ça serait un beau souhait.

Retrouvez Ana Tijoux sur Instagram, Twitter, TikTok, YouTube et Facebook.

© Inti Gajardo

Playlist #59 – Mars 2024

Découvrez notre playlist #59 sur YouTube, Spotify, Deezer et Apple Music avec 20 titres de rappeuses et rappeurs·euses LGBT+ du monde entier !

 

Avec :

🇨🇴🇫🇷 La Valentina
🇫🇷 Eesah Yasuke & 🇨🇦🏳️‍🌈 Haviah Mighty
🇫🇷 2L
🇫🇷 XXFLY (Eris, Shadéblauck, Jomei, Double C, Supa & Skar Leina)
🇫🇷 La Giu & Juste Shani
🇫🇷 Leys
🇹🇳 Medusa TN
🇱🇧🇦🇪 N1yah
🇩🇪🏳️‍🌈 Badmomzjay
🇰🇿 Say Mo
🇲🇾 Zamaera
🇯🇵 MFS
🇪🇸🏳️‍🌈 Tribade
🇩🇴🇪🇸 Ariana Puello
🇨🇱 Flor de Rap
🇨🇦🏳️‍🌈 Lex Leosis
🇨🇦 Tommy Genesis & 🇨🇳🇺🇸 Alice Longyu Gao
🇺🇸 Kierra Luv
🇺🇸 Lola Brooke
🇺🇸 Steph G

Masta Quba : « Il n’y a jamais eu de hip hop sans nous, femmes »

Figure majeure de la scène musicale féministe mexicaine, Masta Quba se définit commme une « MC et une éducatrice ». Active depuis 18 ans, elle utilise le rap comme outil de résistance et de transmission pour dénoncer les violences de genre et le racisme systémique. Actuellement basée à Barcelone, la rappeuse nous parle de son processus créatif, de l’importance de faire communauté et de la perception des rappeuses au Mexique.

Comment et quand as-tu découvert le hip hop ?

J’ai découvert le hip hop grâce à MTV quand j’avais 14 ans. Je n’oublierai jamais la première sensation que j’ai ressentie en découvrant le rap. La première chanson que j’ai entendue était « El Juego Verdadero » de Tiro de Gracia, un groupe de rap chilien. Pour moi, c’était un ressenti, je ne pouvais pas l’expliquer. Plus que tout, je pense que le hip hop m’a découverte. Et à partir de ce moment-là, je n’ai plus cessé d’en écouter.

J’ai commencé à acheter des disques pirates dans les marchés ambulants de mon quartier et à télécharger de la musique quand il n’y avait pas encore YouTube ou toutes ces choses. C’est comme ça que le hip hop est venu à moi. Je ne l’ai jamais lâché depuis que j’ai 14 ans, et maintenant j’en ai 36.

Es-tu autodidacte ou as-tu reçu une éducation musicale ?

Je n’ai reçu aucune formation musicale. En fait, tout vient de mon expérience et de ma bonne oreille musicale. Je voudrais prendre des cours de chant, de piano ou à un moment donné apprendre à produire, acheter une machine et tout le reste. Mais la vie m’a prise de vitesse et je n’ai pas encore réussi à avoir les moyens nécessaires pour acheter ou investir dans une formation musicale plus formelle.

Je pense que c’est la beauté du rap : tout le monde peut en faire. Tu as juste besoin d’un stylo, d’un papier et d’une histoire à raconter. C’est bien qu’à un moment donné, on commence à s’éduquer musicalement, qu’on évolue et qu’on puisse se former davantage.

Mais il faut aussi comprendre que les formations musicales classiques ne sont pas accessibles à tout le monde.

Réussir à se payer une académie ou une école dépend beaucoup de qui tu es et de ta classe sociale. Moi, je fais de la musique de manière informelle. Ce sont les années qui m’ont aguerrie.

Tu as commencé à rapper en 2007 dans des freestyles essentiellement masculins. Qu’est-ce qui t’a poussé à participer à ces événements et comment as-tu été accueillie ? 

J’ai commencé à rapper de manière plus officielle en 2007. C’est la première fois que j’allais à un événement de reggae/rap où il y avait Alika et Nueva Alianza.  Les gens faisaient la fête, profitaient de la soirée, et j’ai vu un cercle d’hommes qui faisaient un freestyle. J’ai reconnu les quatre temps, le boom bap et l’ambiance hip hop. Je suis allée les encourager.

À partir de là, je suis devenue amie avec ces gens, qui étaient pour la plupart des hommes. En fin de compte, pour beaucoup de femmes qui ont commencé dans les années 2000 ou 1990,

notre seule option pour faire partie de la culture était d’être avec des hommes.

J’ai été bien plutôt bien accueillie.

Plus tard, quand j’ai commencé à développer un socle politique, ces mêmes hommes se sont moqués de moi parce que je prenais des positions féministes ou antiracistes, parce que j’arrêtais de freestyler et que je commençais à faire des chansons avec un contenu plus politique et introspectif… 

Tu te définis comme une rappeuse et une activiste hip hop. Selon toi, quelle est la différence entre les deux ?

Je me définis comme une MC et une activiste hip hop parce que je pense que l’activisme est quelque chose qui doit rester vivant. Je peux être MC comme maîtresse de cérémonie lors d’un événement et me donner à fond sur scène. Mais pour moi, l’activisme, c’est aussi être présente partout.

Je suis éducatrice, je donne des ateliers de hip hop pour les femmes, les filles, les enfants ou mixtes avec une perspective de genre, de classe et de race.

Pour cette raison, je me définis comme une activiste. C’est ce qui permet de passer de la théorie à l’action. Pour moi, il ne suffit pas de dire que je fais du hip hop ou du rap si je ne peux pas faire 1000 autres choses qui ont à voir avec la culture en tant que telle.

Parce qu’en fin de compte, le hip hop ne se résume pas seulement au rap. Pour moi, rapper est une chose, mais respirer, vivre et faire du hip hop tous les jours en est une autre. Parce que c’est dans ta vie quotidienne, dans tes actions, dans la façon dont tu aides les autres et dont tu te mêles à ta communauté.

Quelle est ta définition du hip hop féministe ?

Il y a sept ans environ, j’avais une approche très tranchée et j’aimais dire que je faisais du rap féministe. Au fil des années et du socle politique que j’ai acquis, les gens qui m’entouraient ont fait évoluer un peu mon discours en lien avec mon mode de vie.

Plutôt que de qualifier le rap que je fais de féministe, je préfère l’appeler simplement hip hop.

Parce dans le fond, si ce n’est pas féministe, antiraciste, anticolonial, ou politique, pour moi ce n’est pas du hip hop. Je m’en remets à moi.

Donc je pense que n’importe quelle femme aujourd’hui peut se mettre à rapper en l’honneur de toutes les femmes qui ont rappé depuis que ça a commencé. Parce que nous n’avons jamais été minoritaires et il n’y a jamais eu de hip hop sans nous. Et le jour où nous nous partirons, il n’y aura plus de hip hop. Mais je pense qu’un hip hop féministe va de pair avec un hip hop antiraciste et un hip hop anticolonial et anticapitaliste.

De quel courant féministe te sens-tu la plus proche ?

Si je devais choisir vers un courant féministe, ce serait un féminisme noir anticolonial, antiraciste, anticapitaliste, anti-impérialiste et anticolonialiste.

Tu utilises le hip hop comme outil artistique dans le cadre de tes ateliers et de tes conférences. À quel type de public ces événements s’adressent-ils et comment les participants réagissent-ils ?

Oui, j’utilise le hip hop comme un outil dans le cadre d’ateliers et de conférences. Personnellement, je les destinerais à tout le monde. Mais il est évident que tout le monde n’est pas dans la même situation ou au même niveau politique.

Cela ne veut pas dire que c’est mal ou bien mais désormais j’ai appris que je résonne avec qui résonne avec moi.

La façon dont nous pensons ou les courants auxquels nous nous identifions ne sont jamais isolés.

Tu trouveras toujours un·e collègue avec qui tu pourras t’entendre.

Les ateliers s’adressent à de nombreux lycées parce qu’on aime beaucoup travailler avec des adolescents. On pense que c’est là que l’on peut semer une graine pour leur fournir plus d’outils. Surtout, à notre époque actuelle, qui est tellement technologique, déconnectée de l’introspection et de la création de sa propre identité.

Les ateliers s’adressent aux jeunes, aux femmes et à toustes celles·eux qui veulent raconter leur histoire et entrer en résonance avec un discours politique où tous les mondes s’accordent. Et où toutes les personnes ont des droits.

D’un point de vue musical, comment décrirais-tu ta musique ?

Je décrirais ma musique comme une musique qui vit, raconte, met mal à l’aise, questionne, accompagne, évolue, grandit, se développe, change et se transforme.

Je crois aussi que j’ai beaucoup progressé. Au niveau de mon rap, de ma technique, des productions et de la qualité de mon projet. En définitive, je pense qu’au-delà des textes, mon projet est aussi très intéressant.

Comment écris-tu habituellement tes textes ? Quel est ton processus de création ?

Au lieu de m’asseoir pour voir ce que j’écris, je m’assois parce qu’il faut que j’écrive. Pratiquement toute ma musique vient de l’histoire de ma vie, de ce qui me traverse ou ce qui traverse le monde. En réalité, je porte toujours un regard très politique sur ce qui nous détruit mais aussi beaucoup de réconfort et d’introspection, ce qui reste politique parce que le personnel est politique.

Mon processus consiste à ouvrir des blessures à les nettoyer, les traiter, les guérir, et c’est comme ça que les histoires que je raconte sortent.

J’ai aussi besoin d’avoir un rituel : accrocher une bougie, de l’encens, être seule, il faut aussi qu’il fasse nuit.

Et d’un point de vue technique, je commence d’abord par jouer avec le beat, fredonner, tester des flows, puis j’ajoute des paroles.

Mais pour écrire, j’ai besoin d’avoir vécu une expérience pour la raconter. Je n’ai jamais écrit quelque chose de fictif que je trouvais magnifique. Mon processus vient d’une histoire, du fait de me raconter moi-même.

De quel(s) morceau(x) es-tu la plus fière à ce jour et pourquoi ?

De pratiquement tous. Il y a certaines chansons qui continuent d’être plus importantes, étant donné leur histoire et leur impact. Par exemple, « Nosotras tenemos otros datos », où je parle de l’augmentation du nombre de féminicides au Mexique liée à la pandémie :

11 femmes sont assassinées au Mexique chaque jour.

Il y a une chanson sur l’avortement où je raconte la manière dont je me suis auto-accompagnée lorsque j’ai avorté en 2017. J’ai accompagné beaucoup de filles et de potes qui ont traversé ces mêmes épreuves parce que les femmes avortent. Et la lutte continue pour faire comprendre que c’est un droit humain.

« Despiertas » est aussi une chanson que j’aime beaucoup parce que la production musicale était très lourde. On était dans un très grand studio et elle été mixée en Dolby Atmos, ce qui était une première pour moi.

« Autodefensa » et « Rebobina » sont également des chansons importantes pour moi.

En fait, je chéris chaque morceau et je me rappelle que je dois en être fière.

Je me rappelle qu’il est important que nous, femmes, nous reconnaissions à notre juste valeur.

Parce que cette société nous laisse parfois penser que se reconnaître à sa juste valeur relèverait de l’arrogance ou de quelque chose comme ça.

Comment le public mexicain accueille-t-il les rappeuses ?

Au Mexique, le niveau de machisme et de misogynie est très élevé.

Pour être reconnue en tant que rappeuse, il faut correspondre au stéréotype que les rappeurs ont créé.

En d’autres termes, les rappeurs mexicains ont en tête un cliché de ce à quoi doit ressembler une rappeuse, et si tu ne corresponds pas à ce stéréotype, ils te rejettent.

Tu dois obéir à certains canons de beauté et à certains thèmes. Si tu es une rappeuse féministe, tu subis toute la haine et les moqueries parce que le Mexique est encore très en retard sur ces questions.

Si tu es une rappeuse non féministe mais que choisis de montrer ton corps, parce que tu en as tout à fait le droit et parce que c’est naturel, ils te voient comme la rappeuse qu’ils veulent baiser et ça s’arrête là pour toi.

Pour eux, il y a des rappeuses qu’ils veulent baiser et des rappeuses qu’ils ne veulent pas baiser. C’est comme ça que je le résumerais. Je le vois avec mes collègues rappeuses. Parfois, celles qui sont respectées sont les petites amies d’un autre rappeur respecté.

Tu as participé à plusieurs morceaux avec des rappeuses mexicaines ou hispanophones. En quoi est-ce important pour toi de collaborer avec d’autres rappeuses ?

L’année dernière, j’ai fait beaucoup de collaborations. Pour moi, c’est vraiment une question de réseau. L’industrie musicale choisit toujours ceux qu’elle place au « sommet ». L’idée de succès a été créée par l’industrie pour ne jamais être atteinte. Un rap politique d’homme, de femme, ou dissident a peu de chances d’être vraiment populaire.

La seule façon pour nous de grandir est de nous regarder les unes les autres. Et c’est ce que je fais. Cela ne me dérange pas de travailler. En ce qui me concerne, je ne regarde pas les chiffres parce que c’est du vent. Je regarde l’énergie des gens, si elle circule et si nous nous comprenons, si nous avons des choses en commun, s’il y a une admiration mutuelle….

Et pour moi, c’est important parce que je pense que c’est la seule façon de construire un réseau.

Pour nous soutenir entre femmes, il n’y a pas d’autre moyen que de créer une communauté.

En tant qu’artiste, quels sont les principaux obstacles que tu as rencontrés ou que rencontres ?

Je pense que ça a toujours été l’industrie musicale. Demain, s’ils suppriment tous mes profils Spotify et YouTube, je continuerai à faire de la musique. Parce que c’est quelque chose que j’ai fait toute ma vie et je ne me vois pas faire autre chose.

C’est ma nourriture pour continuer à exister dans un monde aussi affreux que celui dans lequel nous vivons actuellement.

Quels sont tes projets à venir ?

Parmi mes projets à venir, il y a mon album. Je vais commencer par partager deux ou trois titres avec des featurings, que j’ai en attente depuis l’année, Ensuite, si tout se passe bien et que les étoiles s’alignent, je pourrai le sortir cette année. Il y a de très belles choses à venir sur cet album.

C’est mon premier album solo. J’ai sorti mon premier album en 2022 avec P. Jaguar, qui est mon partenaire, et je l’ai fait avec lui, tous les deux 50/50 en termes de rap et de tout le reste. P. Jaguar est à nouveau sur cet album, c’est lui qui a produit tous les morceaux.

Il y a aussi quelques concerts et une tournée à venir. Si tout se passe bien, certains de mes morceaux seront dans deux séries Netflix qui sortent cette année. Je brûle un cierge pour que tout ça se réalise !

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oXni : « Ce qui m’importe, c’est que les idées circulent »

Originaire du sud de la France et basé·e en Ile-de-France, oXni se définit comme artiste multimédium. La·e rappeuse·eur pansexuel·le et non-binaire nous parle de son univers hétéroclite, de son féminisme, de son rapport au rap et de son nouvel album qui sortira cette année.

Pourquoi avoir choisi les noms Oxytocine puis oXni ?

J’ai un “vécu” de meuf parce que j’ai été traitéx comme telle, mais je n’ai jamais eu l’impression d’en être une – ni trop su ce que ça voulait dire d’ailleurs. Tous les pronoms sont ok ! Je me genre moi-même au “X”, la variable inconnue en math. D’où oXni : objet « X » non identifié. Je genre mes potes comme ça aussi parce qu’on mérite toustes de sortir de la binarité !

Je cherchais quelque chose qui fasse un peu référence à la science, un truc acide, mordant. L’ocytocine est l’hormone de l’accouchement et c’est un peu comme la création finalement : une idée nous féconde, on la porte en gestation puis on l’accouche. L’ocytocine, c’est aussi l’hormone du lien social et celle qui inhibe la peur : c’est une hormone antifa !

Mais au bout d’un moment , j’ai eu envie d’en changer. Déjà parce que ça renvoie fortement à la biologie des corps et aux chromosomes XX. Je cherchais un blaze plus androgyne et personnel. C’est une évolution : Oxytocine a accouché de oXni. Ça marque aussi le passage du projet à une autre échelle.

oXni, ça sonne chelou. C’est une bestiole, un Objet X Non Identifié – ni homme ni femme, métamorphe, incasable. L’idée d’”objet” m’intéresse, c’est ce à quoi on a été assigné·es, mais en tant qu’objet variable, inconnu et non-identifiable, je reste non-appropriable, hors des radars. Même mon costume renvoie à ça : il se transforme selon la couleur de la lumière qu’on lui envoie. Il peut aussi me rendre invisible.

Quand et comment as-tu commencé à faire de la musique ? As-tu reçu une éducation musicale ? 

J’ai commencé à écrire des chansons en primaire. J’en écrivais sur tout. Au début, des histoires mignonnes de petits animaux auxquels il arrive des mésaventures. Puis, je me suis misx à écrire sur les adultes autour de moi, je leur inventais un surnom et je les caricaturais : je me foutais de leur gueule. J’aimais bien piquer, déjà.

Par la suite, j’ai surtout écrit des trucs obscènes, de type pas-de-mon-âge. J’étais chelou et ça gênait les adultes donc iels ont plutôt cherché à me faire taire ! D’ailleurs c’est en partie ces chansons “salaces” qui m’ont values de me faire virer de chez moi pendant quelques mois à mes 13 ans. J’avais pris des cours de chant mais j’ai arrêté un peu à cette période pour me consacrer pleinement à faire des conneries.

À part ça je n’ai pas de formation musicale, je ne sais pas lire le solfège ni jouer d’aucun instrument.

Quand je suis arrivéx à Paris je me suis remixse à rapper et chanter. Je freestylais avec des potes ou j’allais solo aux quais de Jussieu rapper avec des inconnu·es qui savaient jouer de la guitare. Je ne traînais qu’avec des mecs et j’avais tendance à les tailler dans mes paroles donc ce n’est pas vraiment eux qui m’ont pousséx non plus !

Tout a changé quand j’ai découvert la MAO. Ça m’a rendu autonome ! Ensuite, c’est surtout la scène queer et féministe qui m’a fait jouer au début. J’ai adoré le live, direct.

Quels étaient tes rôles modèles en grandissant ? 

Dans l’enfance et l’adolescence, je me sentais plutôt garçon et j’avais du mal à trouver des modèles féminins qui me parlent. J’ai grandi dans un petit village tranquille du sud de la France mais j’avais une enfance difficile et j’étais vénère. C’est dans le rap que je trouvais de l’écho à ce que je ressentais.

Je m’identifiais à des personnes dont les vies avaient finalement peu à voir avec la mienne. Genre à Eminem. Je ne comprenais presque rien à ses paroles mais je me reconnaissais dans l’aspect weirdo « seul contre tous », mère-célibataire, enfant unique tout ça. Par son flow, sa colère faisait écho à la mienne.

Peut-être que le modèle féminin qui m’a le plus parlé était Diam’s. À part quelques morceaux, elle ne parlait pas tant que ça d’amour, ni des hommes, mais surtout du monde autour d’elle. J’aimais aussi qu’elle ne mette pas son physique en avant : elle rappait pour qu’on l’écoute, pas pour qu’on la mate. C’est ce que je vise aussi.

Mais on a souvent l’impression qu’il faut d’abord attirer les regards pour qu’on nous prête l’oreille…

Donc je ne blâme vraiment pas les meufs qui font autrement.

Plus tard, Despentes a été une grosse révélation. En parlant depuis la marge de la “féminité”, elle m’a donné le courage de m’en foutre moi aussi.

Aujourd’hui, j’admire beaucoup Casey, pour son travail en tant qu’artiste mais aussi pour la pertinence et la cohérence de ses analyses, elle a vraiment une boussole. Globalement, ce sont des personnes qui prennent des risques et ne se cantonnent pas aux domaines auxquels on les assigne – ce qui les condamnent à être exclues du mâle gaze – dont elles sortent d’ailleurs volontiers !  

Quel est ton rapport au rap ?

J’ai toujours écouté du rap et j’en écoute encore beaucoup. Un peu de rap US et espagnol, mais principalement du rap français. J’ai toujours eu un peu de mal avec les chansons aux paroles creuses donc ce truc de langue vraiment “vivante” m’a accroché direct.

Ça a aussi été un vecteur de politisation ! Je me souviens quand j’ai entendu “Nés sous la même étoile” de IAM pour la première fois. Je vivais des injustices, mais pas celle-ci, pas la vraie galère financière. Ça avait bouleversé ma compréhension du monde. Pourtant, j’étais très jeune. C’est énorme le potentiel que ça a !

Sur les questions purement musicales, j’aime bien les univers de Asinine ou Adès The Planet. J’aime beaucoup Eesah Yasuke, ses textes profonds qu’elle pose sur des prods assez hybrides, elle invente vraiment un truc.

En ce moment, j’écoute aussi cette nouvelle vague où le texte redevient central, mais avec un truc plus personnel. Un peu l’héritage de Népal. Les Luther, Selug, Wallace Cleaver, Bekar. J’aime bien cette vibe moins égo-trip, d’ailleurs comme Népal.

Il y a ce truc dans la nouvelle génération où certains rappeurs ne montrent pas leurs visages. Je trouve ça cool, mais j’ai l’impression qu’en tant que “meuf” c’est plus difficile de faire ça.

On est trop assigné·es à notre physique et à l’image qu’on renvoie.

C’est relou parce que ça demande aussi plus de taf sur les réseaux Plus de taf. Comme d’habitude.

Parfois certaines réflexions sexistes me dérangent, mais je suis hyper fan de Damso par exemple, et j’ai du mal à y renoncer malgré ses phases… J’ai l’impression que ce n’est pas si représentatif du rap, mais comme c’est chez les “gros” (Niska, Koba LaD, Zola, Booba…) les gens qui en écoutent peu ont l’impression que c’est dans l’ADN du style ! Alors que des gars comme La Fève, H Jeune Crack, So La Lune, Zuuku Mayzie, Khali et beaucoup d’autres ne sont pas vraiment là-dedans ! Chez certains comme Joysad ou même Jul, il y a même un truc très sentimental.

Après j’avoue, les textes, c’est rare que je sois vraiment transportéx. J’ai du mal à trouver de la complexité… Je ne sais pas, c’est le poids des algos des plateformes qui poussent à sortir de la nouveauté tout le temps et donc à produire vite. Ou juste le fait qu’on vive dans une société post-moderne où on ne croit plus en rien (et ça se comprend) ou tout ça à la fois. Mais c’est un peu frustrant.

Tu te présentes comme auteure-rappeureuse-chanteureuse-compositeurice- producteurice & vidéaste-réalisateurice-scénariste. En quoi est-ce important pour toi de contrôler ton projet et ton image ? 

Dis comme ça c’est vrai que c’est long haha ! Souvent je dis que je suis artiste multimédiums. Je faisais et écrivais plutôt des films jusqu’à la naissance d’OXYTOCINE mais depuis quelques années, j’implique tous mes médiums (et tout mon temps) dans ce projet.

C’est une proposition “totale” : musique, texte, vidéo, narration, graphisme, performance participative. Mes clips sont plus des concepts qui approfondissent l’idée que des endroits où je cherche à travailler mon image ou à produire du « beau ». Ce qui m’importe, c’est que les idées circulent. Je mets l’esthétique et tout le reste à leur service.

Je n’ai jamais vu ça comme un besoin de contrôle, plutôt comme un désir de faire. Je n’ai pas fait d’école d’art ou de musique donc j’étais habitué·e à faire mes trucs en solo. Je ne voulais pas attendre qu’une institution me valide, m’aide, ou me file un budget et je ne voulais pas exploiter mes potes. Je bossais déjà comme vidéaste donc je savais filmer et monter puis j’ai appris à m’enregistrer, proder… Et comme ça ne me dérange pas de travailler 12 heures par jour, c’était possible !

Depuis 2020, j’ai réalisé 15 clips pour le projet, chacun avec son concept.

Être autonome m’a permis d’être libre, de développer un univers très singulier, authentique et polymorphe.

À créer mon monde plutôt que de chercher à correspondre à une « scène ».

D’ailleurs, je joue autant sur des scènes rap, pop que sur des scènes “cinéma / art-vidéo”, dans des espaces militants anticapitalistes, queer et féministes, sur la scène littéraire et même dans des biennales d’art contemporain !  C’est ce qui m’intéresse, faire des ponts, rester métamorphe. Je savais où je voulais aller et ça aurait été plus difficile à expliquer qu’à mettre en place donc je l’ai fait direct !

Maintenant que mon univers est construit, j’ai envie d’y faire entrer d’autres personnes, pour me concentrer sur l’écriture et le live mais surtout parce que la collab’ apporte beaucoup !

Tu as écrit le titre « Lettre à vos ordres » après avoir été blessé·e par un coup de matraque en manif. Selon toi, en quoi le rap permet-il de relater ou de dénoncer des problèmes sociétaux tels que les violences de genre et les violences policières ? 

C’est un peu dans l’ADN du rap je pense : c’est la forme artistique des “opprimé·es” par excellence – et ce n’est d’ailleurs pas pour rien que les “élites” la méprise autant. Il y a ce truc de la rhétorique. Ça va vite et ça laisse le temps de débiter des idées.

La punchline qui se rapproche du slogan : efficace, qui interpelle. C’est l’outil de “vulgarisation” ultime, c’est pour ça que je l’ai choisi. Même si c’est vrai que ça m’a questionné à un moment, l’idée de “faire du rap” en tant une “petite” ““meuf”” blanche. Je bénéficie peut-être de cette gentrification du rap et en même temps Diam’s et Keny Arkana étaient déjà là quand j’étais jeune. Et puis moi aussi j’ai de la colère à exprimer et je ne saurai pas où la foutre si je ne faisais (que) de la pop.

À ce que j’ai vu dans je ne sais plus quel docu, c’est la forme artistique la plus pratiquée dans le monde. Et c’est logique : c’est facile d’accès à pratiquer (pas besoin de matériel ni de skills préalables) et à consommer (ça circule facilement et gratuitement). Même si pour se perfectionner ça demande beaucoup de travail !

Mais il n’y a pas “d’école de rap”, c’est une forme qu’on ne peut pas institutionnaliser.

Vu que le concept c’est dire ce qu’on pense – comme dit Casey “je passe mon temps à donner mon avis alors quon ne me l’a pas demandé” – le rap c’est un peu un thermomètre de la société, mais sans passer par les médias et autres “expert·es”.

Je mène parfois des ateliers écriture / freestyle & rec’ et peu importe le public. Ça arrive très vite à un truc de dénonciation. Par exemple, j’ai bossé avec des personnes handicapées et très vite elles ont parlé de leurs conditions de vie et du mépris des valides à leurs égards. Et c’est vrai que ce sont des personnes qu’on entend très peu !

Le rap est souvent réaliste, il parle du réel – depuis la marge – et c’est de la marge que viennent les réflexions les plus pertinentes sur les normes et donc sur la “société”.

Mais c’est vrai que ça a changé, ou plutôt que d’autres choses ont émergé ! Peut-être que les rappeur·euse·s en ont eu marre aussi d’être assigné·es à leurs milieux et au taf de dénoncer, pendant que les blanc·he·s et/ou les privilégié·es pouvaient tranquillement se laisser aller à l’introspection et à l’abstraction.

Ou peut-être que le rap s’est juste gentrifié ? En tous cas les rappeur·euse·s parlent plus à la première personne, en tant qu’individus. Moins au nom d’un “groupe” ou d’un milieu.

Mais finalement, la question sociale est souvent là quand même, en sous-texte, même dans des esthétiques plus “émotionnelles” et introspectives – comme chez PNL. Ça n’a pas besoin d’être premier degré, ni d’être théorisé. Il y a souvent encore dénonciation mais peut-être moins “revendication” – dans le sens d’adresse direct aux politiques ou appel à un mouvement collectif. Parce qu’il y a moins d’espoir sûrement… Mais ça c’est l’époque dans son ensemble.

Mais je me dis que dans le contexte actuel, avec la montée de l’extrême droite partout, toutes les lois racistes et antisociales qui passent, le génocide en Palestine, j’ai l’impression que le rap qui réfléchit et questionne le monde autour va reprendre une place plus importante, enfin j’espère ! Ça peut participer à “politiser” la jeunesse.

Dans ce domaine, ce que fait Médine est hyper important. D’autant plus qu’il est très explicite et il prend des risques en termes d’image, notamment en s’associant clairement à des mouvements politiques. Et on voit d’ailleurs comme il est diabolisé par les fachos et même jusqu’à certain·es de la gauche bourgeoise. Mais on a besoin de ce genre de figures, nos mouvements ont besoin de BO !

Comment décrirais-tu ton propre féminisme ?

Le féminisme m’a fortement empouvoiréx, mais ça s’est fait aussi grâce et à travers des mouvements collectifs ! Je ne sais pas si j’aurais écrit “Les baisers volés” sans MeToo. À cette époque, je trainais beaucoup dans des mouvements non-mixtes et ça m’a aidéx (j’ai d’ailleurs fait un film sur cette époque, il sort bientôt) ! On est pris·es dans une “vague” – une masse en soulèvement – on la forme toustes ensemble et elle nous transforme chacun·e.

Ma vision du féminisme repose plus sur un vécu commun – de dominations, violences et diktats qu’on nous a imposés en raison de notre sexe d’assignation ou notre apparence – qu’à une identité de “femme”. C’est un féminisme queer, inclusif évidemment des personnes trans et aussi des mecs gays à qui le système patriarcal ne fait pas de cadeaux !

Après dans l’idéal, je me dis que le féminisme libèrerait tout le monde. Avec cette idée héritée d’Aimé Césaire que l’oppression déshumanise aussi celleux qui en profitent. C’est important de le connecter à d’autres faits sociaux et de pas tomber dans des analyses caricaturales type “les hommes” vs “les femmes”, qui amènent des féministes blanches à dire des énormités du genre qualifier le mouvement de révolte après le meurtre de Nahel d’acte de “masculinité toxique”.

Le féminisme est un prisme d’analyse qu’on ne peut pas déconnecter des autres rapports d’oppression : le (néo)colonialisme, les rapports de classe, le capitalisme, le validisme, etc. Et souvent, ça se croise.

Le racisme et le sexisme s’alimentent très bien l’un l’autre comme on peut le voir dans certains propos de flics. Les corps des hommes noirs et arabes sont aussi fétichisés par le patriarcat néocolonial qui les présente comme menaçants et “violables” – comme le montre l’affaire Théo – et appropriable, par les fouilles, l’enfermement, et le meurtre…

C’est tout l’intérêt du patriarcat blanc de nous faire croire que ces luttes sont opposées, pour qu’on se cantonne à parler de ce qui nous concerne et qu’on se réjouisse sagement qu’une femme puisse être première ministre d’un gouvernement anti-social ou PDG d’une entreprise polluante qui ne paye pas ses impôts.

Moi, je pense plus en termes d’ennemi·es commun·es.

Pour ça, c’est important de parler du sexisme, mais AUSSI d’autres choses. Le risque, c’est qu’on nous cantonne à ça, au “woman power”, compris comme le nouveau truc de “bonne femme” en vogue et avec toute la récupération commerciale un peu creuse qui va avec quand on le vide de son sens.

Le féminisme est un prisme qui permet de comprendre – et de parler – de plein de choses. Mon morceau “Moi, Petite Entreprise” n’est pas explicitement féministe par exemple, mais il parle de la manière dont le développement personnel touche spécifiquement les femmes.

Une fois on m’a dit : “tu écris tout ça pour ne pas parler de tes émotions” : c’est chaud, est-ce qu’on dirait ça à un homme ? Ça serait bien qu’on puisse aussi être écouté·es quand on parle d’autres choses que d’intimité – et même de sexisme – parce que ça revient à encore parler des “hommes” – même s’il faut aussi en parler !

D’ailleurs, c’est intéressant qu’en parallèle les rappeurs investissent de plus en plus la sphère des sentiments depuis quelques années. C’est peut-être la même dynamique en fait. Ils en ont peut-être eu marre d’être assignés à la dénonciation. C’est un peu fétichisant aussi.

Moi, j’aimerais qu’on ne m’écoute pas uniquement quand je parle de mes émotions, mes sentiments, mon corps, ma vie sexuelle ni même des violences que j’ai vécues. J’en parle aussi et même beaucoup, mais j’ai plein d’autres trucs à dire !

En général, quel est ton processus créatif ? Qu’est ce qui déclenche la composition ou l’écriture d’un morceau ? 

Pour l’instant, j’aime bien que chaque morceau ait son univers donc ce n’est pas un processus automatisé ! Il y a un concept ou une émotion que j’ai envie de creuser. Je commence par le texte. Je gamberge autour de l’idée en mode écriture automatique, je cherche des formules et en même temps j’écoute mille prods différentes.

Je compose, je collab’ sur une prod ou j’en cherche une en fonction du texte. En posant sur la prod, je vois ce qui se détache, j’arbitre entre le fond et le flow, le son et le sens des mots. Qu’est-ce qui sonne, qu’est-ce qui est efficace ? Qu’est-ce qui est fondamental ? Ces contraintes donnent un truc très inventif à l’écriture.

Ensuite je réfléchis à l’univers visuel et quand le track est fini je réalise – filme – monte le clip et là c’est beaucoup de geekage !

Tu prévois de sortir un album en 2024. À quoi devons-nous nous attendre ? 

L’album va marquer un tournant dans le projet ! Dans l’autonomie, j’ai pu développer une proposition forte et apprendre plein de trucs mais pour l’album je suis accompagnéx et je collabore plus ! Ça me permet de proposer une forme plus ambitieuse et plus “produite”.

Si la forme aide à faire circuler les idées plus loin et ailleurs – sans les dévoyer – ça sert le propos.

Je ne cherche pas à parler uniquement à des gens qui pensent comme moi ou me ressemblent.

J’aime bien conforter aussi mais confronter et questionner ! L’album parle de l’époque – de ce qu’elle nous fait et de ce qu’on peut y faire ou en faire – à travers plein de thèmes différents. C’est une histoire d’empouvoirement personnel et collectif. Du très sombre à la lumière.

En termes de styles, je m’aventure dans des endroits où je n’étais jamais alléx, la collaboration ouvre des portes ! Dans la forme, il sera métamorphe aussi : musique, texte, vidéo, édition papier, live immersif ! Ça va être deep, dense, explosif et hors-normes. La proposition est ambitieuse et ouvert·e aux collabs donc si ce que je fais vous parle n’hésitez pas à me contacter !

Que peut-on te souhaiter ? 

De faire plein de concerts et de rencontres. D’avoir le temps de faire des choses bien et de bien les faire, donc continuer à vivre de ce que je fais ! De trouver une manière de rester sincère et honnête dans ce monde. D’imposer un truc unique et pas qu’on m’impose un unique truc. De porter ma voix et qu’elle porte plus et fasse écho à ce que l’on traverse – chacun·e depuis là où on se trouve !

© Raphael Massard

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VIDÉO – 8 rappeuses de Montpellier à suivre de près

Parce que le rap français ne se résume pas seulement à Paris, à Marseille et aux rappeurs, voici 8 rappeuses originaires ou basées à Montpellier à suivre de près.

Avec :

Playlist #58 – Février 2024

Découvrez notre playlist #58 sur YouTube, Spotify, Deezer et Apple Music avec 20 titres de rappeuses et rappeurs·euses LGBT+ du monde entier !

Avec :

🇫🇷 Ezek
🇫🇷 Leys
🇫🇷🏳️‍🌈🏳️‍⚧️ Rok
🇫🇷 Venuza
🇫🇷🏳️‍🌈🏳️‍⚧️ Darkksun
🇫🇷 Nua & So La Lei
🇧🇪 Shay
🇫🇷🇨🇱 Ana Tijoux
🇪🇦 Laura Siyahamba
🇲🇦🇪🇦 Huda
🇪🇦 🏳️‍🌈 Ptazeta
🇪🇦 Santa Salut
🇩🇪 Haiyti
🇩🇪🏳️‍🌈🏳️‍⚧️ Sir Mantis
🇺🇸🏳️‍🌈 Cakes Da Killa
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DDM : « Dans la musique, on n’entend jamais le point de vue de la classe ouvrière »

Né à San Francisco, passé par Milan et aujourd’hui basé à Berlin, le duo de rap Drowning Dog and Malatesta (DDM) est actif depuis 2005. La rappeuse californienne Drowning Dog et le DJ et producteur Malatesta, originaire de Glasgow, sont des pionniers de la scène internationale du rap radical et utilisent leur musique et le combat anarchiste pour raconter les histoires de personnes silenciées. Ils nous parlent de leur dernier album Gen Pop et de leur réalité d’artistes indépendants et militants.

Vous rappelez-vous quand et comment vous avez découvert la culture hip hop pour la première fois ?  

Drowning Dog : Non, je ne m’en souviens pas. Ça a toujours été là, comme la bande-son de la vie. Mais je pourrais probablement dire la même chose de la country, du blues, du jazz… Dans ma famille, c’était toujours là.

Malatesta : Je faisais du breakdance à l’école, à Glasgow à l’époque, mais j’ai commencé à m’y intéresser davantage quand j’ai déménagé à San Francisco. À l’époque, les quartiers étaient animés par le son du gangsta rap et des live hip hop.

Je suis rapidement devenu accro au fait de fouiller dans tous les magasins de disques branchés de San Francisco, New York et Londres.

Comment avezvous commencé à rapper et à mixer ?

DD : À la fin des années 90 et au début des années 2000. J’étais barmaid à l’époque, et j’ai économisé de l’argent pour acheter du matériel de musique. J’ai commencé à tâtonner avec des boîtes à rythmes et des séquenceurs, une basse d’occasion et un clavier cassé.

J’écrivais des petits poèmes ou des coups de gueule, des trucs du genre « spoken word ». J’ai ensuite acheté un enregistreur 8 pistes d’occasion et j’ai commencé à enregistrer et à explorer. Depuis, je n’ai jamais arrêté. Le temps passe vite !

M : Au milieu des années 90, j’avais une bonne collection de disques même si je n’avais pas une situation très stable. J’ai déménagé à Londres et des amis qui organisaient une soirée m’ont demandé de jouer un set de ma collection de hip hop américain.

Je suis ensuite retourné à San Francisco où mon ami Tony m’a acheté deux technics et une table de mixage Vestax. À partir de là, j’ai joué dans divers bars et petits clubs de San Francisco.

Comment vous êtes-vous rencontrés et avez-vous décidé de travailler ensemble ?  

DD : On vivait dans le même quartier de San Francisco, le tristement célèbre T.L. (Tenderloin). On traînait avec des gens qui avaient le même état d’esprit et on fréquentait le même magasin de disques, Amoeba Music.

Malatesta a commencé à faire des compilations éclectiques de CDs et de vinyles et à les sortir. Il m’a demandé si je voulais en faire partie. J’ai dit « putain grave » – et il a toujours eu la meilleure herbe : )

M : On s’est rencontré à T.L. À l’époque, j’organisais des concerts et des sorties folles avec des amis qui vivaient dans le même immeuble que nous, que l’on appelait The Complex.

On produisait tous de la musique individuellement, mais à un moment donné, DD, un autre poète talentueux et moi avons commencé à écrire ensemble. On a alors planifié une tournée européenne en envoyant des courriers, des emails et peut-être même via MySpace.

Quelques jours avant la tournée, notre ami a quitté le projet pour des raisons personnelles, et DD a donc dû apprendre et réécrire toutes les paroles.

Votre album Gen Pop mélange beaucoup d’influences différentes, dont de l’électro et du punk. Comment pensez-vous avoir évolué musicalement depuis vos débuts en 2005 ?  

DD : Je me soucie plus de la qualité du son aujourd’hui que lorsque j’ai commencé.

M : On s’est amélioré par rapport à nos débuts, et la technique a beaucoup changé depuis. DD va maintenant beaucoup plus loin dans les paroles et a des flows plus variés sur Gen Pop. Les producteurs et les rappeurs de Milan ont eu une grande influence sur nous, et c’est évidemment la même chose depuis que nous sommes à Berlin.

Mais notre mixeur, coproducteur et ami Tristan Mazire des studios La Fugitive à Paris a aussi eu une énorme influence sur nos derniers albums.

Quel est votre processus créatif ?

DD : J’ai beaucoup de carnets dans lesquels j’écris tout le temps des idées. Parfois, j’ai déjà un concept et je cherche le bon beat. Et parfois, c’est le beat qui m’inspire les mots ou les sentiments… La lutte des femmes de la classe ouvrière a toujours été l’un de mes sujets de prédilection.

M : Je prends le temps de faire des beats quand je ne suis pas en tournée et parfois DD en choisit un qui l’inspire. 

Quelle est la chanson dont vous êtes les plus fiers à ce jour ?

DD : Ne me demandez pas de choisir entre mes bébés : ) Ça dépend vraiment du jour. Probablement celle qui n’a pas encore été écrite.

M : En ce moment, pour moi, c’est « I Was In It » de Gen Pop, car c’est un peu une autobiographie de notre vie. Bien qu’elle soit lente et morose, j’adore quand le beat démarre. J’aime aussi beaucoup « Necessary Illusions » et « Swingin’ Back ».  

En tant que pionniers de la scène internationale du rap radical, que pensez-vous des différents genres de rap actuels?

DD : Explorez tous les sons. Ne rappez pas sur vos couplets préenregistrés, racontez votre propre histoire. Créez une ambiance.

M : Il n’y a pas beaucoup d’authenticité en ce moment. On a l’impression que c’est recyclé ou un peu rétro, avec de grosses productions convenues. Bien sûr, la culture n’est pas morte car il y a toujours des pépites d’originalité qui réussissent à percer malgré le climat de malaise dans la société.

Vous considérez-vous comme des activistes ?

DD : Non, pas vraiment, même si on a fait partie de différents groupes et projets au fil des ans. Parce qu’on pense qu’il est vital que les gens se réunissent en collectifs pour répondre à leurs besoins.

M : Pas vraiment, mais je crois que la classe ouvrière peut organiser l’économie bien mieux que la manière dont on le fait aujourd’hui. On a toujours essayé de créer des projets musicaux collectifs dans différents pays, comme alternative au business de la musique.

Je suis convaincu que l’anarchisme est la voie à suivre ! Si c’est de l’activisme, alors je suis un activiste.

En 2022, nous avons interviewé la rappeuse grecque Sara ATH qui nous a dit avoir été déçue par le sexisme et la misogynie qu’elle a rencontrés dans les mouvements anarchistes, antifascistes et anticapitalistes. Qu’en penses-vous ?

DD : Eh bien, c’est un grand sujet. Je dirais que le monde est comme ça. Le sexisme est partout et nous avons tous beaucoup de choses à désapprendre à de nombreux niveaux.

M : Je pense que c’est moins le cas dans ces endroits que dans la société dans son ensemble, mais il est évident que c’est aussi parfois présent dans ces milieux.

Êtesvous toujours en lien avec d’autres rappeurs·euses militant·es ?

DDM : Oui, avec beaucoup. Sur l’album Gen Pop, on a des morceaux avec Anela Jahmena et Tsidi Bang Bang, anciennement de Soundz Of The South. On est en contact avec leur groupe depuis l’époque de San Francisco.

Quels sont, selon vous, les principaux avantages et inconvénients dans le fait d’être des artistes indépendants ?

DD : L’avantage : faire moins de compromis dans ce que je dis et ce que je fais. Les inconvénients : jongler constamment avec l’argent. D’une manière générale, je dirais que le plus gros inconvénient est la lutte liée au fait de venir d’un milieu ouvrier.

Dans le monde de l' »art », on est entouré d’artistes de classe moyenne (qui touchent des héritages, achètent des maisons…). Parce que la plupart des gens de la classe ouvrière ne peuvent pas se permettre de faire ce métier très longtemps, c’est pour ça que, dans la musique, on n’entend jamais le point de vue de la classe ouvrière, surtout aux États-Unis.

L’Europe est un peu différente avec ses « filets de sécurité » et les aides à la culture, mais les choses changent rapidement.

M : Il faut de l’argent et du temps pour avoir le temps et l’espace de créer de la musique de qualité. Ne parlons même pas des différentes barrières et du « réseautage ».

Quels sont vos projets à venir ?

DD : Faire des concerts et de la musique.

M : Nous espérons faire autant de concerts que possible en Europe et aux États-Unis, voire dans le monde entier.

Que pouvons-nous vous souhaiter ?  

DDM : Merci Madame Rap de nous avoir contactés et d’avoir pris le temps de nous écouter ! Respect pour ce que vous faites !

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© Hugo Ferrer