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Zelda Weinen : « Le rap me permet de transformer une forme oppressive en arme de lutte pour l’égalité »

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Originaire de Marseille, l’artiste transdisciplinaire Maïa Izzo-Foulquier mêle rap, écriture, chant, vidéo, photographie, collages, installations et performances sur scène ou dans l’espace public. Pour construire ses projets, l’activiste de 27 ans, actuellement en résidence de création au Canada, examine différentes facettes de son identité qu’elle fait émerger sous forme d’avatars, des personnages toujours à cheval entre fiction et réalité. En ce moment, on peut la croiser sous le pseudonyme de Zelda Weinen, « jeune mariée dépressive et rappeuse du dimanche. » Zelda Weinen a parlé à Madame Rap de son « white passing », de son projet rap/blues Wedding Blues et de féminisme pro-sexe.

Quand et comment as-tu découvert le hip hop ? Et comment as-tu commencé à rapper ?

J’ai grandi avec le hip-hop et le RNB. Je suis métisse mais j’ai la peau très blanche, c’est un hasard génétique. Quand j’étais ado, ce « white passing » ne me permettait pas de me sentir complètement connectée à mes origines car les communautés noires et métisses ne me reconnaissaient pas forcément comme leur semblable. Je crois que quelque part la musique, et le hip-hop en particulier, m’a permis de me construire, de m’y retrouver dans mon identité métissée.

Je viens d’une famille de musiciens, j’ai toujours été mélomane et lorsque j’étais enfant j’ai été brièvement au conservatoire. Mais à l’époque j’avais envie de m’affirmer autrement et je suis passée par différentes formes d’expression avant de revenir à la musique il y a quelques mois à peine.

D’ailleurs, je ne me considère pas comme musicienne, c’est l’écriture qui est le ciment de mon travail.

Je collabore avec différents producteurs qui s’occupent de toute la partie musicale. Jusqu’à présent, je me dirige spontanément vers des producteurs dont j’aime l’univers, comme Nicolowzow, ou Larature qui est très présent sur le set avec ses beats jazzy. De mon côté, il s’agit surtout d’écrire et d’interpréter de la poésie féministe.

Tu viens d’écrire un set de 10 titres blues et rap. Pourquoi cette envie de mêler les deux styles ?  

Le blues est une musique que j’ai toujours énormément respectée et qui m’influence beaucoup, c’est entre autres pour ça que le set s’appelle Wedding Blues. Historiquement, le blues est une complainte, une musique chargée de douleur, alors que le rap est une musique de résistance et de « battle ». Zelda Weinen ça veut dire « la guerrière en pleurs ».

L’ensemble du set a été écrit avec la volonté de mettre en scène un personnage qui ne cesse jamais de lutter, même s’il traverse des moments de souffrance et d’abattement. Cette ambivalence se ressent aussi dans la manière dont les titres sont interprétés, à travers les costumes que j’utilise sur scène, mais aussi ma voix et mon attitude qui sont plutôt nonchalantes alors que le texte est souvent cru, parfois brutal. Mêler le rap et le blues me permet de donner du poids à des textes intimes, mais aussi à leur portée politique.

Tu es aussi porte-parole du Syndicat du Travail Sexuel (STRASS). Quand et comment t’es-tu engagée et quel a été ton parcours militant ? 

J’ai été stip-teaseuse et escort-girl moi-même. Au départ, j’ai rejoint le syndicat comme simple membre et puis j’ai eu envie d’activer mon engagement. En assumant ce poste de porte-parole, en parlant des putes dans mes textes et en publiant des articles sur Ma Lumière Rouge, j’essaie de donner plus de visibilité aux travailleur•se•s du sexe et de défendre leur accès aux droits.

Les gens ont tendance à stigmatiser et à diaboliser les travailleuses du sexe, à considérer qu’elles ne sont pas de « bonnes » femmes, qu’elles sont scandaleuses et à la dérive. Mais les représentations que l’on a du tapin sont très loin de la réalité.

Les travailleuses du sexe sont des femmes comme les autres, tout aussi brillantes, courageuses, combattantes, créatives, drôles et déterminées. Notre société les relègue au rang de nuisances et de parias, simplement parce qu’elles vendent des services sexuels pour vivre.

On oublie qu’en dehors des représentations collectives, la stigmatisation a de réelles répercussions : aujourd’hui, énormément de gens considèrent qu’une travailleuse du sexe n’est pas en mesure d’être une bonne mère, qu’elle ne peut pas être en couple et doit accepter les agressions. Sous prétexte qu’une femme utilise sa sexualité pour travailler, elle n’est plus considérée comme un être humain et il devient légitime de la priver de droits. Je trouve ça stupide et révoltant.

Je pense que si nos sociétés sont si violentes à l’égard des putes, c’est avant tout parce que remettre en question la gratuité de la sexualité des femmes c’est quelque chose de très dangereux pour le patriarcat. Dans un monde où tout se vend et s’achète on voudrait nous faire croire que le sexe serait l’exception capitaliste, et que les femmes devraient naturellement avoir envie et prendre du plaisir à satisfaire les désirs masculins.

Donc déjà qu’on nous impose des clichés de sexyness porn chic et tout ce qui s’en suit, mais en plus il faudrait que ce soit gratuit de les performer, même si on ne se reconnait pas du tout là dedans? Hé bien non désolée, tout travail mérite salaire. D’ailleurs, je pense que le fait que je sois photographe avant d’être sexworkeuse n’est pas sans lien.

Être photographe aujourd’hui, c’est avant tout être un·e professionnel·le de l’image ultra polyvalent·e.

J’ai beaucoup réfléchi à la responsabilité des images dans la manière dont on sexualise les femmes de nos jours.

Quelque part, dans mon boulot de sexworkeuse on me demande juste de performer de la féminité fantasmée, d’incarner l’image que les hommes attendent de moi et des femmes en général.

Pour ma part, j’ai toujours eu la chance de pouvoir exercer d’autres activités en parallèle. Et c’est drôle parce que dans le milieu de l’art contemporain, par exemple, je constate que l’on attend parfois de moi des compétences similaires à celles que je dois mettre à profit en tant que travailleuse du sexe, notamment tout ce qui concerne les stratégies de communication et de vente de soi-même.

Quels sont à tes yeux les combats prioritaires qui doivent être menés aujourd’hui pour les droits des travailleuses/eurs du sexe ?  

La décriminalisation me semble essentielle. Il faut que les pouvoirs publics arrêtent de maintenir les putes dans la marginalité, la délinquance et la précarité. Pour justifier la prohibition, les politiques mettent en avant l’argument de la traite, mais bizarrement ils ne trouvent jamais aucune solution qui agisse réellement contre la traite. En France, depuis 2016, c’est la loi pénalisation client qui est censée faire barrage à la traite.

Mais cette loi, qui précarise et insécurise les travailleurs•euses du sexe au quotidien, n’a absolument aucun impact effectif contre la traite des êtres humains car les vraies raisons sont ailleurs : on constate par exemple plus de victimes de la traite depuis que Kadhafi ne contrôle plus la route de la Libye, mais aussi depuis la politique européenne de fermeture des frontières qui rend plus difficile les migrations légales. Lorsque l’on tapine, peu importe qu’on l’ait choisi ou pas, les risques sont bel et bien présents et il faut malheureusement faire avec.

En donnant des droits aux travailleur•se•s du sexe, l’État peut leur permettre d’exercer leur travail dans des conditions dignes, les protéger contre les violences et prévenir les risques de dérives. L’accès aux droits peut rendre les travailleuses du sexe plus indépendantes et leur offrir plus de choix, y compris celui d’arrêter cette activité si elles le souhaitent.

Quel lien vois-tu entre rap et féminisme ? 

Aujourd’hui, beaucoup de rappeurs se servent de leur musique pour déverser leur violence et leur haine à l’égard des femmes et des minorités sexuelles. Même chez des artistes que j’aime beaucoup, il m’arrive d’entendre des propos qui me choquent et que je ne cautionne pas. Je le déplore, et je pense que ces jeunes artistes ne mesurent pas la portée de leurs mots et n’ont absolument pas conscience de l’impact réel de la culture du viol et la banalisation de la violence à l’égard des femmes.

Pour ma part, utiliser le rap me permet de détourner une forme oppressive pour la pervertir, la transformer en arme de lutte pour l’égalité et la tolérance. Un peu comme un cheval de Troie. D’ailleurs, quand on me demande ce que je fais dans la vie j’ai du mal à trouver une réponse simple qui englobe toutes mes activités alors parfois je me présente comme « femme propagande ».

Le milieu du rap a tendance à éliminer les femmes les unes après les autres en les rabaissant et en les traitant de putes donc je ne risque pas grand-chose : j’arrive en étant déjà pute et en l’assumant.

Clairement, je ne sais pas si le milieu du rap français actuel est pas prêt à me faire une place, mais je m’en fous. L’avantage d’être la mauvaise graine c’est que je n’aurais pas beaucoup de mal à reconnaitre mes allié.e.s.

Qui sont tes rôles modèles féminins et pour quelles raisons ? 

Je suis fan d’une femme différente chaque semaine. C’est difficile de les hiérarchiser, je les admire toutes pour leur force, leur courage, mais surtout pour leur message de tolérance, leur capacité à rassembler et à faire front. La solidarité politique entre les femmes est quelque chose de très important à mes yeux, j’en parle dans le titre « Pardonne-moi Safia ».

Qu’écoutes-tu en ce moment ? 

IAMDDB, inlassablement.

Quels sont tes projets à venir ? 

Je suis en plein boulot. Je termine un nouveau titre « Rdv sur l’a7″ qui devrait sortir cette semaine, sur une prod d’Alan Mayers qui assure grave. Je lui avais demandé une ambiance « aire d’autoroute, amour et sandwichs triangles » et en deux heures à peine, sur la base de ces indications absolument pas professionnelles, il m’a proposé cette prod qui correspondait exactement à ce que j’avais en tête ! Il est impressionnant.

Sinon, je profite de ma résidence pour travailler sur un projet d’EP et pour tourner mon premier clip. Je serai sur scène à Québec le 22 mars au Centre récréatif Saint-Roch, le 30 à la Page Noire et le 5 avril au Knock Out. Je propose aussi une performance à la galerie Manif d’Art le 06 avril. A priori je serai déguisée en allégorie de la justice contre la putophobie donc ça promet d’être folklo.

Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ? 

Heureusement que Madame Rap existe ! C’est super d’avoir créé cet espace, ça permet aux rappeuses de s’exprimer, et aux féministes amatrices de rap de se reconnaitre. Ce genre d’initiative nous rassemble, c’est un bel acte de sororité. Bravo, et longue vie à Madame Rap !

Retrouvez Zelda Weinen sur son siteFacebookSoundcloud, Instagram et son blog.

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