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Veemie : « En tant que femme noire, j’ai énormément manqué de modèles »

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Originaire de Clichy-La-Garenne (92) et basée à Marseille, Veemie nous parle de son identité musicale – un hommage au rap américain et une déclaration d’amour à la langue française – et de la place centrale de Lil’ Kim dans son parcours et son inspiration. 

D’où vient le nom Veemie ?

Je m’appelle Aimée et si tu mets le « A » à l’envers, ça fait un « V ». Veemie est l’anagramme de mon prénom.

Quand et comment as-tu découvert la culture hip hop ?

Grâce à mes grands cousins chez qui je séjournais de temps en temps. Ils étaient plus branchés rap américain donc j’écoutais beaucoup 2Pac et Biggie. C’est aussi grâce à mon grand frère, un ancien rappeur, qui m’a introduite au rap français alors que ça ne m’intéressait pas particulièrement à l’époque.

Depuis quand rappes-tu ?

Je rappe depuis l’âge de 15 ans. Je suis rentrée en studio pour la première fois en 2012, au début pour rigoler et ensuite pour enregistrer les textes que j’écrivais.

Quel·le·s sont les artistes qui t’ont donné envie de rapper ?

J’ai eu un déclic un jour où j’étais chez moi dans ma chambre et j’ai entendu Whoa de Lil’ Kim sur Skyrock. Le morceau m’a mis une claque parce que je me suis reconnue tout de suite. Ça a eu un impact immédiat sur moi et dès le lendemain, j’ai cherché à en savoir plus sur cette artiste. C’était comme un OVNI pour moi parce que je n’aurais jamais pensé qu’une femme pouvait rapper et poser comme ça. Je suis devenue fan et à partir de ce jour-là, je me suis plongée dans le rap « au féminin », parce que je cherchais une figure à laquelle m’identifier que je ne trouvais pas dans le rap « masculin ».

« Je me suis dit « il y a un canal, je peux m’exprimer. » »

Quand j’entendais des rappeuses raconter leur vécu, leurs peines, leur force de caractère, je me disais « c’est moi ! ». J’ai alors cherché à savoir s’il existait des rappeuses similaires en France et j’ai découvert Roll-K, qui s’inspirait de Lil’ Kim et qétait très mal perçue, mais aussi Lady Laistee. C’était plus conscient que le rap US mais j’ai découvert que ça existait aussi en France et j’étais super étonnée et soulagée en même temps. Je me suis dit « il y a un canal, je peux m’exprimer. »

Comment composes-tu tes morceaux ? Avec qui travailles-tu et as-tu des thèmes de prédilection ou des rituels d’écriture particuliers ?

Je compose mes morceaux toute seule. J’ai travaillé avec des gens à une époque mais aujourd’hui je fais tout toute seule. Quand je me retrouve dans une situation, que je vois un film ou que je lis un livre, je prends mon téléphone et j’écris une sorte de conclusion de ce qui m’a plu et déplu. Je fais ça tout le temps. En allant acheter du pain, si je vois quelque chose, ça va m’inspirer une phrase. Tout ce que je vis et ressens au quotidien agrémente mon écriture.

Dernièrement, c’est une série sur Netflix qui m’a inspiré 4 ou 5 phrases. Je m’en sers pour écrire des morceaux ou des freestyles mais de manière générale, c’est plus la prod qui m’inspire. Quand j’ai un coup de cœur pour une prod, généralement l’inspiration est instantanée et les paroles me viennent direct. Je peux aussi me servir de cette réserve de phrases sur mon téléphone pour rendre le morceau cohérent, avec une ligne directrice claire et en faire quelque chose qui me ressemble.

J’aime aussi faire du yaourt parce que j’écoute beaucoup de rap US – et de rappeuses US –. Quand je fais un morceau, je vais chercher des flows en faisant du yaourt. Un peu comme ce que font les top liners aujourd’hui, c’est à la mode, mais c’est quelque chose que je fais depuis très longtemps.

« Ma musique est un hommage aux sonorités du rap américain, mais aussi une déclaration d’amour à la langue française. »

Comment définirais-tu ta musique pour des gens qui ne la connaissent pas ?

Je dirais que c’est une forme d’hommage aux sonorités du rap américain, mais aussi une déclaration d’amour à la langue française. Avant l’émergence de la trap, je posais sur de la dirty south mais je n’avais pas le niveau que je voulais avoir sur ce type de prods. J’adore manier les mots. Je tenais absolument à délivrer un message clair, compréhensible et plein de malice, truffé de jeux de mots et de figures de style sur les sonorités américaines que j’aimais. Je pense que mon identité musicale est là.

 Tu parlais de sortir un EP de 6 titres, est-ce que c’est toujours d’actualité ? Quels sont tes autres projets ?

À l’époque, j’étais entourée d’une équipe avec qui je ne travaille plus aujourd’hui donc la sortie est caduque. Pour le moment, je me consacre à faire des morceaux de qualité, à sortir des freestyles pour alimenter ma page et des visuels qui me ressemblent.

Je ne me sens pas encore prête pour une EP. Je fonctionne beaucoup au feeling et à l’émotion, donc ce ne sera pas maintenant mais dans un futur proche.

Est-ce que tu vis du rap ?

Non, malheureusement, mais j’aimerais beaucoup. Ce serait le rêve ultime de vivre de ma passion.

« J’ai trouvé un écho dans ces femmes-là qui n’avaient pas peur d’être elles-mêmes et d’être dans la provocation de manière assumée. »

Quelles sont les femmes qui t’inspirent ?

La première personne qui m’inspire est ma mère parce qu’elle a un vécu tellement hors normes que ça force l’admiration. Elle m’inspire beaucoup dans mon écriture parce que parfois je vais me placer de son point de vue pour jauger une situation. C’est une femme de lettres, elle était institutrice et je me reconnais en elle directement surtout quand elle me raconte qu’elle avait un recueil de poèmes plus jeune.

Ensuite, Lil’ Kim et Nicki Minaj ont été des facteurs d’inspiration. En tant que femme noire, je manquais énormément de modèles dans la musique et le divertissement. J’ai trouvé un écho dans ces femmes-là qui n’avaient pas peur d’être elles-mêmes et d’être dans la provocation de manière assumée. Ça me choquait à l’époque mais aujourd’hui je considère que c’est une affirmation réelle de soi. Aujourd’hui, si je suis sûre de moi et de ma musique, c’est grâce à elles. Même si la scène actuelle de rappeuses américaines est très diversifiée, Lil’ Kim et Nicki Minaj en ont été les principaux piliers.

Les autres femmes qui m’inspirent sont des femmes de couleur, parce qu’en tant que femme noire, je suis attirée par ce qui me ressemble. Ça peut sembler un peu trivial, mais c’est humain. Donc Michelle Obama ou Rosa Parks, des figures historiques qui illustrent la lutte pour les droits des Afro-Américains ou les droits des femmes.

« S’il y avait un accès égal à l’éducation, il n’y aurait pas d’inégalités. »

Te définis-tu comme féministe ? 

Oui, je me considère comme féministe. Ma propre définition du féminisme est l’égalité entre les femmes et l’hommes, c’est la définition classique. Mais j’apporterai une nuance. S’il y avait un accès égal à l’éducation pour tous, quel que soit le genre, je pense qu’il n’y aurait pas d’inégalités. L’éducation est la clé. Nous avons tous des capacités intellectuelles, nous sommes des êtres humains perfectibles, et nous pouvons tous développer des capacités.

Que penses-tu de Madame Rap ?  Des choses à changer/améliorer ?

Je trouve que c’est une excellente initiative de mettre en lumière des femmes qui rappent. On parle beaucoup des chanteuses mais les rappeuses passent à la trappe. Il y a une demande et Madame Rap répond à cette demande. Ne changez rien, le temps va confirmer ou affirmer certaines choses, et vous prendrez de l’expérience et surtout de la visibilité. Merci encore pour cette interview et je vous souhaite d’excellentes choses pour la suite !

Retrouvez Veemie sur FacebookTwitterInstagram et YouTube.

© Gabriel Ciscardi

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