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URBN : « Les rappeuses sont encore trop invisibilisées dans notre communauté »

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Premier festival hip hop étudiant et inter-universitaire, URBN revient pour une seconde édition du 17 au 23 avril à Paris. Derrière cet événement, l’association Alternative Culture créée en 2018 par Elaura, Raquel et Sarahël, trois anciennes étudiantes de la Sorbonne Nouvelle. Les cofondatrices nous racontent l’histoire de ce festival 100% gratuit, qui vise notamment à visibiliser les rappeuses et rappeurs·euses queer et à valoriser la diversité du rap.

Pouvez-vous vous présenter brièvement ?  

Nous sommes l’équipe Alt’C. Notre agence Alternative Culture (Alt’C pour les intimes) conçoit des projets et/ou des évènements culturels pluridisciplinaires destinés à des publics locaux et internationaux. Notre objectif ? Faciliter les rencontres entre le public, l’art et les artistes. A notre échelle, nous voulons participer collectivement à la création d’une plateforme pour la conception, la mise en œuvre, la gestion ou encore la programmation de projets artistiques culturels et artistiques à forte valeur ajoutée. Le Festival URBN en est un exemple parfait de ce travail.

Elaura, Raquel et Sarahël sont les cofondatrices de l’association Alternative Culture :

“ Nous nous sommes rencontrées en 2018 pendant nos études au sein de l’université Sorbonne Nouvelle. Notre première collaboration officielle s’est faite dans le cadre d’un cours de conception de projet (en lien avec notre licence de médiation culturelle), nous avions décidé de monter un projet de festival hip hop sur le campus Censier.

Une fois diplômées, nous avons découvert et appris des nombreuses problématiques liées à la professionnalisation des étudiants de la culture. Ce constat nous a poussé à créer l’association Alternative Culture et à développer davantage de projets permettant aux étudiants de gagner en compétences, de s’exprimer et de se révéler. D’où URBN et une énième rencontre autour du hip hop avec cette fois, un festival étudiant à échelle interuniversitaire, locale et internationale.

Quand et comment est né votre projet de festival ?

URBN est le premier festival hip hop étudiant et inter-universitaire. En 2022, l’association a conçu, organisé et piloté la première édition d’ URBN festival. Ce festival 100% gratuit, au public majoritairement étudiant, a été pensé et conçu sur mesure par et pour des étudiants multi potentiels avides d’opportunités.

Initialement, URBN s’est inspiré d’initiatives étudiantes internationales, de festivals universitaires d’ampleur jusqu’alors inexistants en France. Nous voulions développer et renforcer une offre culturelle de proximité au service du dialogue, du questionnement, du divertissement, du soutien à la création artistique étudiante ainsi qu’au renouvellement des démarches artistiques, intellectuelles, politiques et militantes.

A une époque pré-Covid marquée par les divisions et les crises sociales, il s’agissait également de créer un espace de partage et d’échange ouvert à toustes. et de donner une plateforme à de jeunes artistes, chercheurs, créatifs et entrepreneurs. Tout cela pour garantir l’échange et la confrontation sans entrave des idées, pour faciliter la découverte de pratiques artistiques urbaines et l’initiation à de nouvelles formes d’expression ou de langages artistiques.

Avec le début de la pandémie, URBN s’est transformé. Ses anciennes ambitions se sont confirmées et de nouvelles se sont naturellement manifestées : contribuer à la reconstruction du lien social, animer la vie culturelle étudiante en rassemblant davantage les étudiants de différentes universités autour de valeurs positives et évocatrices.

Nous portons ce projet dans les universités et le défendons auprès d’institutions culturelles.

Quelles sont ses missions et ses objectifs ?

Notre objectif : permettre la découverte de la création hip hop contemporaine, dans sa diversité. (Et mettre en avant tous les talents par la même occasion !)

Quant à notre mission, on se retrouve chaque année face au défi d’actualiser et d’approfondir le concept et le rôle du festival. Au fil des éditions et des évolutions, URBN devient à la fois acteur du développement local, tremplin, outil de rayonnement et de démocratisation culturelle ancré sur son territoire. Il nous permet aussi d’engager une vraie réflexion sur le festival idéal ancré dans son temps.

  • Un festival intergénérationnel, intégrant les générations précédentes et les confrontant à celles qui perpétuent leur ADN artistique.
  • Un femme festival accueillant des femmes et des rappeurs trans ou non binaires, encore peu représentés sur les scènes qui ne leur sont pas spécialement destinées.
  • Un festival présentant une grande diversité de styles, rendant ainsi hommage aux multitudes de rap (et de fans de rap) qui coexistent.
  • Un festival en contrepoint des initiatives institutionnelles et privées, qui contribue concrètement à la vie de la société.
  • Un festival qui servirait de tremplin à des artistes non conventionnels, aux programmations dynamiques et captivantes – mais moins mainstream que celles de leurs homologues plus médiatisés – destinés aux fans lassés des clichés habituels.

Au vu de la rareté des espaces d’échanges encourageant l’exploration du monde par la promotion de scènes artistiques émergentes et réaffirmant la place centrale de la jeunesse face aux défis et mutations sociales et transnationales, URBN veut présenter une alternative engagée.

Dans cette lancée (et par principe), URBN est ouvert à tous et accessible à tous les budgets.

De combien de personnes se compose votre équipe et quel est le rôle de chacun·e ?

Notre équipe s’agrandit et nous sommes aujourd’hui 5. Notre bureau permet à l’association porteuse du projet URBN de fonctionner correctement, le Conseil d’Administration est quant à lui l’organe décisionnel qui définit la vision et les objectifs. Nous avons conçu et pensé le projet URBN ensemble dans tous ces détails.

Au-delà de ce projet, nos parcours, nos ambitions et nos personnalités se complètent assez bien et nous nous répartissons les rôles chaque année.

Raquel (elle), Présidente et cofondatrice de l’association Alternative Culture : étudiante en Master Industrie créatives et médiatiques, elle évolue en tant que chargée de projet culturel.

“Je me suis toujours intéressée à la culture, d’abord par la musique puis par la danse. J’ai parcouru divers univers avant de me lancer dans des études en médiation culturelle et organisation de projets dans la culture.”

Raquel est chargée de la mise en œuvre de cette deuxième édition et en gère chaque détail.

Sarahël (elle), Membre du Conseil d’administration et cofondatrice : danseuse hip hop et organisatrice de festivals, Sarahël est diplômée d’un Master Direction de projets culturels.

“ Je suis née et j’ai grandi en Guyane mais je vis depuis 15 ans à Paris où j’évolue dans le milieu culturel et événementiel en proposant mon expertise au sein de la communauté de la danse”.

Sarahël est chargée de la découverte et de la programmation des artistes sur tous nos événements.

Elaura (elle), Trésorière et cofondatrice : musicienne de formation, Elaura est chargée de projets culturels et de production culturelle, elle accompagne au quotidien des institutions et des particuliers dans la mise en œuvre de leurs projets.

“ Je suis née à Paris où j’ai grandi au sein d’une famille multiculturelle belge congolaise. Touche à tout, je suis fièrement multi potentielle, ce que mon parcours un peu atypique laisse préfigurer (entre pratique musicale semi professionnelle, prépa littéraire et géopolitique de la culture). »

Elaura est chargée de la communication cette année, elle développe en parallèle nos partenariats et nos projets internationaux.

Coralie (elle), Membre du Conseil d’administration : étudiante en troisième année de licence de sciences de l’éducation à (Université Paris Nanterre), Coralie passe actuellement son diplôme d’éducatrice spécialisée.

“ Je suis passionnée de danse et de musique et j’ai rejoint le Conseil d’administration de l’association Alternative Culture depuis peu. ”

Coralie est chargée de porter le projet URBN dans l’université Paris Nanterre, elle y propose notamment trois ateliers autour du graffiti et du beatbox.

Natasha (elle), Secrétaire et Membre du Conseil d’Administration : étudiante en M1 Marketing spécialisé en Management de la Culture et de l’audiovisuel, Natasha a 23 ans et a grandi en banlieue parisienne.

“D’origine malgache, je suis née en France. Passionnée de danse, j’aimerais contribuer au développement de ce milieu. J’ai intégré l’association afin d’acquérir de l’expérience dans le milieu culturel sur des projets tel qu’URBN festival.”

Natasha est chargée de la vie associative et prend soin de la coordination du travail en lien avec nos nombreux bénévoles.

Comment le festival a-t-il été accueilli lors de la première édition ?

La première édition du festival URBN n’a pas seulement animé la vie culturelle des universités, elle a rassemblé des personnes de tous horizons. On a décompté plus de 500 spectateurs et 20 partenaires autour de 82 artistes, dont une majorité d’étudiants. Organisé en partenariat avec des associations et des établissements culturels, URBN a été soutenu par plusieurs institutions telles que le Centre culturel de Taïwan à Paris, le Bureau français de Taipei, le Crous de Paris et l’Université de la Sorbonne Nouvelle, parmi d’autres.

Quelques temps forts de la première édition :

La soirée open mic UBRN Party a permis à plus de 40 artistes (étudiants et non étudiants) de se produire sur scène. 3 prix sponsorisés par des partenaires étaient à gagner. Ils ont permis à trois jeunes artistes de participer à des showcases, d’enregistrer en studio ou de passer à la radio.

URBN Battle, nous a permis d’accueillir 41 danseurs en compétition devant un public de plus de 200 personnes. Organisée en partenariat avec OBS Battle et Team SKIP, soutenue par le Centre Culturel Taïwanais à Paris et le Ministère de la Culture de Taiwan, cette compétition ouverte à tous les étudiants a été une très belle vitrine du talent et du potentiel des étudiants danseurs français.

En plus de tout ça, le festival a initié à son tour son lot de rencontres, de nouvelles inspirations et d’initiatives. Suite à notre collaboration avec Paname by Mic et Hip Hop District, nos deux partenaires ont par exemple développé ensemble un nouveau concept URBN Fusion (@U.Fusion75).

Nous avons eu de très bons retours de la part du public et des étudiants participants. La découverte de nouveaux artistes a fortement été appréciée. La demande pour une seconde édition a été très forte.

Quels obstacles rencontrez-vous avec ce projet ?

L’an dernier, le Covida été un de nos plus grands obstacles. Les dates de la première édition ont été repoussées à de nombreuses reprises.

Cette année, nos obstacles ne sont pas si différents. La conception et conduite d’un tel projet prend énormément de temps.On se retrouve très souvent confrontées au manque de temps face à la grandeur de nos ambitions.

Un autre de nos obstacles serait le financement. Il est très difficile de convaincre des financeurs de nous suivre dans un tel projet avec une seule édition à notre actif. On doit constamment faire et refaire ses preuves.

Heureusement, les difficultés que nous avons rencontrées n’ont pas impacté significativement l’expérience des festivaliers.

D’après vous, pourquoi est-il important de programmer des rappeuses ?

Pour notre part, ce choix est logique et en alignement avec nos valeurs et nos objectifs en termes de parité. Il y a tellement de femmes talentueuses et nous voulons leur donner de la visibilité, elles le méritent !

Les rappeuses sont encore aujourd’hui trop invisibilisées dans notre communauté. Elles sont automatiquement mises en concurrence les unes avec les autres. Résultat ? Seule une petite poignée d’artistes féminines rap ont l’opportunité de briller (selon les tendances du moment).

Avant même de rejoindre la concurrence dans les charts rap, un premier tri est effectué parmi les femmes. C’est comme si toutes ne pouvaient pas briller en même temps, il y a pourtant de la place pour tout le monde …

On en revient au festival idéal et c’est ce qui nous a poussé à programmé entre autre Bry’O, Pearly et Saturnz sur notre open mic URBN Party (le 21/04 à La Place) ou encore Nayra sur le concert URBN SOUNDS (le 22/04 à La Place).Nous espérons que plus de rappeuses participeront à l’open mic URBN Party et viendront nous partager leur vibes pendant URBN FESTIVAL.

Avez-vous l’impression que la parité/les mentalités évoluent depuis ces dernières années, notamment depuis #MeToo ?

On ne le perçoit pas forcément au quotidien parce que les mentalités changent dans notre entourage mais les études sur le sujet semblent indiquer que notre génération est de plus en plus misogyne. Une grosse inquiétude !

On constate quand même une évolution positive : la libération de la parole. Plus de personnes osent se manifester et prendre la parole. Selon nous, c’est le signe qu’une prise de conscience est engagée. Il faudra encore observer et travailler pour que la parité s’installe naturellement dans la communauté et dans l’intelligence collective. Les mentalités ne changent malheureusement pas en un jour.

Vous définissez-vous comme féministes ? Si oui, comment définiriez-vous votre propre féminisme ?

Nous sommes militantes et féministes. Nous nous tenons aux côtés de celles/ceux qui se battent pour faire valoir leurs droits, nous soutenons les luttes contre les discriminations, les inégalités et les injustices. Nous sommes pour la liberté de la femme et pour l’égalité des sexes.

Nous voudrions qu’une femme puisse faire tout autant voir plus qu’un homme, sans pour autant avoir à se justifier ou se soucier du regard des autres. Nous ne voulons pas être respectées et/ou protégées parce que “femmes”. Indépendamment de notre genre, nous sommes des êtres humains dignes de respect, d’éducation, d’amour.

Notre équipe est 100% féminine (pas forcément par choix d’ailleurs) mais notre expérience nous permet avec le recul d’affirmer que nous souhaitons avant tout être vues et considérées au-delà de notre genre, de nos origines, de nos parcours, ….

Notre idéal : que l’image de la femme dans la société soit élevée au même rang que l’image de l’homme. Les femmes entrepreneurs sont moins nombreuses, le genre ici aussi peut constituer un obstacle quand on choisit ce type de parcours.

Nous ne voulons pas être félicitées en tant que femme entrepreneur, parce que nous avons réussi à dépasser les statistiques… Nous voulons être reconnues en tant qu’entrepreneur-point- barre parce que nos projets sont bénéfiques et fructueux.

Quels sont vos projets à venir ?

Nous voulons donner davantage d’opportunités aux artistes émergents repérés pendant nos événements. Pour ça, nous développons avec Grodash (notre parrain musique) et Kiudee (notre marraine danse), des programmes d’accompagnement pour les artistes (danse et musique) qui auront remporté un prix soit pendant l’Open mic URBN Party (21/04 à La Place), soit pendant URBN Battle (23/04 à Clichy La Garenne).

Nous travaillons aussi dur pour continuer de permettre aux étudiants de gagner en compétences et en expérience sur nos événements. C’est déjà énormément de travail pour les trois pôles de notre agence !

Que peut-on vous souhaiter ?

Une bonne santé, un bon entourage et une future rencontre pour une nouvelle édition plus grande, plus riche, plus conséquente encore !
On en profite d’ailleurs pour lancer un appel : rejoignez nous dans cette aventure, nous accueillons tous les talents !

Que pensez-vous de Madame Rap ? Des choses à changer ou à améliorer ?

Nous aimons, nous soutenons, nous validons à 100% l’initiative !

Le site internet : il a pas mal changé depuis qu’on l’a découvert en 2018, on apprécie énormément son évolution et les contenus (l’identité reste la même mais l’expérience utilisateur est améliorée). D’ailleurs, respect à ce niveau parce que généralement les sites internet dans le milieu ne sont pas des modèles et qu’on y perd souvent en visibilité et en clarté. Ce n’est pas le cas ici, du contenu il y en a tellement mais tout est mis en valeur et l’offre est super claire et lisible.

Merci pour le travail et l’investissement : l’annuaire des rappeuses et le classement par pays – on note que le niveau de recherche et de veille est incroyable ! On sait apprécier la diversification des contenus, on sait le travail que ça demande parce qu’on galère avec ça mais … Juste wow !

La transition : Madame Rap, au-delà du média, se positionne de plus comme un espace ressource et une référence dans son domaine. On en découvre tellement à un seul endroit, quand on irait d’habitude chercher les infos sur des dizaines de sites et de playlists. Merci de dénicher et de mettre en avant tout ça sans chercher à le cacher jalousement !

La mission ne change pas et ça fait encore plus plaisir : vous laissez la parole aux minorités sur un domaine spécifique, vous montrez qu’on est en majorité et vous éduquez ! Les rubriques et les formats choisis sont qualitatifs.

Une amélioration ? Peut-être tester davantage de posts et non de réel pour récapituler des points importants … Mais on pourrait être plus précis là-dessus donc on n’en dira pas plus !

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