D’origine anglaise, algérienne et française et basée à Berlin, Sorah rappe et chante en anglais, en français et en allemand. Alors qu’elle vient de sortir le titre « Fighters » avec la·e productrice·e queer allemand·e Spoke, l’artiste de 23 ans nous parle de ses débuts dans le rap pendant le premier confinement 2020, de sa collaboration avec Intare et de son projet de EP.
Tu es née en Angleterre, as vécu en France et vis aujourd’hui à Berlin. Pourquoi t’es tu installée dans cette ville ?
Je suis née en Angleterre à Stockport, une ville située à la périphérie de Manchester. J’ai grandi là-bas jusqu’à l’âge de 9 ans environ, puis je suis partie dans le sud-ouest de la France où j’ai vécu jusqu’à l’âge de 15 ans. J’ai ensuite déménagé en banlieue parisienne (93) pour finir mon lycée. Ma mère est anglaise et mon père est algérien, il a quitté son pays dans les années 90 pour une vie meilleure vu la situation politique et économique difficile dans son pays. Du coup, une moitié de ma famille est en Angleterre et l’autre en Algérie.
J’ai grandi dans l’islam mais ma mère est catholique. J’ai beaucoup déménagé en grandissant et je n’ai jamais vraiment su où était ma maison. J’ai décidé de venir à Berlin il y a presque 4 ans pour travailler et étudier. Je devais rester qu’un an à la base mais ça m’a plu alors je suis restée plus longtemps. Aujourd’hui, je travaille avec des jeunes, je fais des jobs de ménage et je bosse dans un bar tout en essayant de terminer mes études à côté de la musique.
Quand et comment as-tu découvert la culture hip hop et le rap ?
J’ai grandi sans vraiment avoir le droit d’écouter beaucoup de musique. Mon père a constamment essayé de me protéger de l’industrie musicale. Je n’ai jamais appris d’instruments non plus, mais j’adorais danser et chanter lorsque j’étais seule dans ma chambre.
Mais ma mère, qui est encore aujourd’hui une rebelle dans l’âme, écoutait beaucoup de musique avec nous et nous faisait danser et chanter avec elle. Elle passait toujours des artistes disco, funk et pop très libérateurs comme Michael Jackson ou ABBA et Queen ou Amy Winehouse.
Quand j’ai eu 12 ans, mes parents se sont séparés et peu de temps après, j’ai eu un lecteur MP3 et j’ai commencé à télécharger plein de sons et à écouter ce que je voulais dans mes oreilles. Je me suis soudainement sentie plus comprise, surtout grâce au hip hop.
J’écoutais des rappeurs français engagés comme Keny Arkana, IAM, Sexion d’Assaut ou Kery James. J’ai également écouté Eminem très souvent, malgré ses paroles sexistes, j’avais l’impression de pouvoir m’identifier à ses histoires et à la colère qui transparaissait dans ses chansons. Lauryn Hill et les Fugees sont m’ont aussi amené à aimer le mélange entre le rap et le chant. Depuis, le hip hop est devenu une grosse partie de ma vie et un jour je me suis lancée moi-même !
Depuis quand rappes-tu ? Qu’est-ce qui t’a décidé à te lancer ?
Je rappe depuis que le premier confinement de mars 2020. Avant ça, j’avais commencé à faire de la musique lors de « jam sessions » dans ma colocation qui était comme une petite communauté musicale de gauche. Je chantais beaucoup pendant les sessions, que ce soit dans notre salon ou dans la rue. Les autres avaient leurs instruments comme la basse, la guitare, la batterie ou le saxophone, et moi, j’avais ma voix. J’ai tendance à chanter dans un style de blues, soul ou jazz.
J’ai ensuite décidé d’aller à des sessions de jam plus grandes dans des bars ou boîtes comme au Greenhouse, au Badehaus ou simplement dans des salles de répétition avec des amis avec lesquels j’aimais jammer. Les rappeurs étaient souvent là et nous nous complétions bien. Ils rappaient, je chantais et c’était un combo incroyable.
C’est dans cette communauté que j’ai rencontré celui que j’appellerais mon âme sœur et « partner in crime » Intare, avec qui j’ai fait mon premier album et avec qui je me produis souvent en concert.
Comment est né le projet Sorah & Intare ?
Avec Itare, on a vécu ensemble dans la même coloc où nous avons fait de la musique ensemble. On est devenu amis très vite et nous avons même eu une relation amoureuse très intense ! Lorsque je me suis mise à rapper, c’était comme une évidence qu’on voulait collaborer et faire ça à deux. Il m’a encouragée à commencer à rapper et a toujours insisté sur le fait que j’étais douée pour cela. Lui rappait depuis quelques années déjà. Alors j’ai décidé de tenter le coup.
J’ai commencé à écrire mes propres chansons dont les premières étaient « New Day », « Can You Feel It » et ensuite « Fists High ». Plus tard est venu « Black Lives Matter » qui est sorti en juin 2020 avant l’album. C’était notre petit succès. Chacune de ces chansons est maintenant sur notre album Frontlines qui est sorti en novembre 2020.
Intare et moi avons fait cet album tous seuls à la maison. Il a fait les beats lui-même et a mixé chaque morceau. Il a aussi quelques-unes de ses propres chansons et nous avons 3 chansons en featuring. Un de nos amis a fait la couverture de l’album et un autre ami a filmé nos clips vidéo pour YouTube. Nous étions très fiers de notre chef-d’œuvre, surtout parce qu’il a vu le jour six mois seulement après que j’ai commencé à vraiment rapper.
J’ai simplement senti que c’était ce que j’étais censée faire et j’ai trouvé un moyen incroyable de m’exprimer au monde et de faire sortir toutes mes émotions à travers la musique. Je me sens profondément bénie pour cela.
Où en est ce projet aujourd’hui ?
Ça fait quelques mois que nous ne faisons plus de musique ou de concert ensemble mais je pense qu’on rejouera sûrement bientôt et qu’on enregistrera de nouveaux sons qui n’attendent que ça !
Comment définirais-tu ta musique et ton univers artistique ?
Mon son varie beaucoup en fonction de mes humeurs. Il va des vibes hip hop old school avec des refrains soul jusqu’au grime et drill en double time, ce qui révèle plus de rap « dans ta face ». Parfois, j’anime des open mic lors de soirées drum n bass. J’essaie d’explorer ce style musical dans mes prochains sons avec le UK grime et la drill.
L’important, c’est que j’essaie de toujours transmettre un message politique fort : antiraciste, contre le patriarcat, la pauvreté et toutes formes d’oppressions. J’écris sur mes expériences en tant que femme issue d’un milieu plutôt pauvre dans une société sexiste et aujourd’hui en tant que rappeuse femme dans un milieu typiquement dominé par les hommes.
Je veux donner aux personnes qui m’écoutent un peu de ma badass attitude pour qu’ils n’aient pas honte de leur corps, de leur apparence, de leurs émotions ou de leurs pensées et d’essayer autant que possible d’être qui ils ou elles veulent être, de défendre leurs droits et de ne pas accepter que qui que ce soit leur marche dessus (ma chanson « Fists High » reflète cela par exemple).
Certaines de nos chansons sont plus sombres ou plus tristes, d’autres en mode gros flex, d’autres sont pleines d’espoir et de courage, en gros c’est le miroir de ce qui se passe à l’intérieur.
Tu rappes en anglais, en français et en allemand. Comment choisis-tu la langue dans laquelle tu écris ?
En général, j’écris plutôt en anglais. Vu que j’habite à Berlin, tous mes concerts ont eu lieu ici pour le moment. Je fais en sorte que le contenu de mes textes soit compris le plus possible par le plus de monde possible et pour ça, l’anglais est le mieux.
Jusqu’à présent, mon allemand n’était pas assez bon pour que je me lance mais dernièrement, j’ai commencé à écrire mes premiers textes en allemand et ça va être du lourd !
J’adore écrire en français aussi, j’essaie de le faire de plus en plus! Ça dépend vraiment de mon humeur. Parfois, ça sort comme ça sort et je ne réfléchis pas trop à quelle langue je vais utiliser. Intare ajoute de l’allemand à nos chansons et à nos concerts et sons enregistrés, ce qui les rend encore plus accessibles à un public germanophone.
Tu viens de sortir les titres « Fighters » et « Grosse déchaîne » avec la·e productrice·eur queer berlinoise Spoke. Comment vous êtes-vous rencontrées et avez-vous décidé de collaborer ?
Je faisais un concert avec Intare contre la fermeture du squat Liebig34 à Berlin. Spoke est venue me parler après le show pour me dire qu’iel aimait vraiment ce que je fais et qu’iel voudrait collaborer avec moi sur sa mixtape 100 % faite par des femmes et queers avec d’autres rappeurs.euses ! J’étais tout de suite hyper enthousiaste et je suis super heureuse de travailler avec Spoke, on fait une très bonne équipe !
Tu as aussi sorti en octobre le morceau « Double Check » avec la·e rappeuse·eur non-binaire berlinois·e Alice Dee. En quoi est-ce important pour toi de collaborer avec des femmes et des personnes queer ou non-binaires ?
Pour moi, c’est super important qu’on se fasse notre place sur la scène du hiphop qui est beaucoup trop dominée par les hommes, par un sexisme dégoûtant, une instrumentalisation des femmes, de l’homophobie et j’en passe. C’est très difficile de se faire une place et il faudra se battre pour l’avoir, comme beaucoup d’entre nous le font de plus en plus ces dernières années. Et puis on ne va pas mentir, mais le POWER et la vibe de collaborer entre femmes et queers est juste tellement magique et motivante !
À quoi ressemble la scène des rappeuses à Berlin ?
Elle émerge en force !
Te définis-tu comme féministe ? Si oui, comment définirais-tu ton propre féminisme ?
Oui je me définis comme féministe révolutionnaire ! Je suis de celles qui croient dans l’auto-organisation des femmes et queers sans travailler avec les institutions capitalistes de l’État qui créent, maintiennent et profitent du système patriarcal. Je ne crois pas qu’on ait besoin de quelques miettes en plus pour qu’on ferme nos gueules ou bien de plus de PDG femmes ou politiciennes. Cela ne m’intéresse pas car les femmes bourgeoises oppressent d’autres femmes à leur tour. Je pense que si on veut en finir avec le système patriarcal, raciste, homophobe, et impérialiste, il nous faut nous organiser pour mettre fin au système capitaliste tel qu’il existe aujourd’hui !
Quels sont tes projets à venir ?
Mon projet, c’est de continuer déterminée comme jamais à rapper et chanter le message que j’ai à faire passer et faire kiffer tout le monde sur ma musique. Je veux améliorer mes skills, mon flow et ma voix, je veux collaborer avec encore d’autres artistes et partir en tournée dans plein de pays haha !
Je vais sûrement faire un EP dans les mois à venir avec Mal Élevé, un rappeur berlinois franco-allemand et j’ai super hâte. Pour l’instant, j’essaie de me concentrer sur mon premier EP que je compte sortir en fin 2022 qui sera très prometteur avec un mélange intéressant de styles !
Avec le corona, malheureusement, c’est difficile de programmer des concerts et de se projeter à ce niveau-là, mais du coup, je compte me concentrer davantage sur la production de textes, d’idées et de musique ! Je vais également continuer à travailler avec des jeunes en difficulté avec qui je rappe, chante et danse pour leur donner de la force et qu’ils m’en donnent aussi !
Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?
Je vous adore et je suis contente que des pages comme vous existent pour soutenir les rappeuses du monde entier et nous permettre de nous connecter entre nous !