Catégories Interviews

Muthoni Drummer Queen : « Au Kenya, il n’y pas assez d’infrastructures pour les rappeuses »

Publié le

En décembre dernier, Muthoni Drummer Queen enflammait la scène des Transmusicales de Rennes. Après quatre albums, la rappeuse kenyane prépare aujourd’hui une tournée estivale (avec beaucoup de dates en France) et un nouveau projet prévu pour la fin de l’année. Avant de reprendre la route, l’artiste basée à Nairobi nous a parlé de sa reconnaissance internationale croissante, de féminisme et des femmes qui l’ont inspirée. 

Quand et comment as-tu découvert le hip hop ?

À la radio quand j’étais petite, entre 1994 et 1996. Mais je m’y suis vraiment intéressée en 2012 quand j’ai vu un documentaire sur A Tribe Called Quest.  

Comment as-tu commencé à rapper ?

Un peu par hasard. J’avais écrit un poème et en 2009, quand on enregistrait mon premier album Human Condition, le producteur m’a incité à le rapper. C’est comme ça que je me suis mise au rap.

Comment décrirais-tu ta musique ?

Je dirais que c’est un mélange de hip hop et de chant, quelque part entre le reggae dancehall et la soul.

Tu travailles avec les deux beatmakers suisses Jean “Hook”Geissbuhler et Greg “GR!” Escoffey depuis 2013. Comment vous êtes-vous rencontrés et comment travaillez-vous ensemble ?

Je les ai rencontrés par le biais de l’un de mes amis, DJ Cortega. Il est suisse et était de passage à Nairobi à l’époque. Il m’a fait écouter leur son et ça m’a plu, et il leur a fait écouter mes morceaux et ça leur a plu aussi. Ensuite, il m’a emmené en Suisse pour que je les rencontre et qu’on se retrouve en studio. J’ai aimé leur manière de travailler et leur mélodies puissantes avec une vraie vibe hip hop.

On a essayé de travailler à distance, en s’envoyant des titres par internet, mais ce n’était pas aussi productif que quand on se voyait physiquement. On a donc organisé une session de travail de plusieurs mois à Nairobi pour travailler sur le nouvel album.

En septembre 2018, tu as sorti le single “Elevate”, extrait de ton quatrième album SHE, qui rend hommage à Nairobi. Quelle est ta relation à celle ville ?

Nairobi, c’est ma maison. Elle a toujours été centrale pour comprendre qui j’étais et ce qu’il était possible de faire. Je crois que j’ai toujours Nairobi en tête quand j’écris. J’essaie toujours de mettre en lumière la créativité de cette ville.

Comment as-tu réussi à toucher un public international ? 

Je crois que ça vient principalement du fait que je collabore avec une équipe suisse. En 2011, j’ai sorti un EP intitulé Welcome to the Disco grâce à une campagne de financement participatif et j’ai fait des concerts aux Pays-Bas et en Suède, ce qui a déjà planté quelques graines.

Aujourd’hui, on a un distributeur et un label français, Yotonka, qui a fait beaucoup pour me faire connaître dans les médias. Aussi, la bande originale du film Rafiki (Wanuri Kahiu, 2018) m’a permis de toucher un public plus large.

Tu as fondé deux festivals musicaux au Kenya. Peux-tu nous en dire plus sur ces projets ?

Ces deux festivals, Africa Nouveau et Blankets & Wine, visent à créer un espace de créativité et aider des artistes africains indépendants à entrer directement en relation avec le public et l’industrie musicale. C’est une sorte d’alternative à une infrastructure audiovisuelle.

L’album SHE célèbre les femmes, avec des titres comme “Suzie Noma”qui parle d’empowerment et de sororité, “Lover” qui évoque la sexualité des femmes ou “Caged Bird”, qui fait référence au célère poème du même nom de Maya Angelou. Pourquoi penses-tu qu’il soit important de rendre hommage aux femmes ?

Je pense que nous vivons dans un monde d’hommes et que le point de vue des femmes est souvent nié, incompris, dévalorisé ou sous-représenté. Les sacrifices et les efforts inhérents aux luttes des femmes ont souvent été ignorés. Je me suis dit que ce serait bien de leur donner une voix.

Mais, pour être honnête, je n’ai pas fait SHE délibérément. Je ne suis pas allée en studio en me disant : « je vais faire un album qui parle des femmes ». C’est juste venu naturellement. On a composé des chansons et après quelques titres, on s’est rendu compte que ces chansons étaient plus que de simples chansons, mais de vraies histoires de femmes, avec des personnages bien vivants et des représentations de véritables individus.

Est-ce que les rappeuses ont des difficultés à trouver un public au Kenya ?

Absolument. L’industrie musicale est toujours dominée par les hommes. D’un point de vue du public, les concerts hip hop ont lieu dans des endroits difficilement accessibles pour les femmes. Il n’y a pas assez de femmes à des postes de pouvoir dans le hip hop et il n’y a pas vraiment de label qui soutienne les rappeuses. Pourtant, on trouve un grand nombre de rappeuses incroyables au Kenya, mais il n’y pas assez d’infrastructures pour les artistes, surtout pour les rappeurs, et encore moins pour les rappeuses.

Tu dis que tu es féministe depuis que le mot existe. Dans quel type de féminisme te reconnais-tu le plus ?   

J’ai passé peu de temps à étudier les différents courants de pensée féministes et j’ai un peu honte de ça. Mais depuis toujours, je pense que les filles et les garçons sont égaux et que les individus doivent s’améliorer et prendre conscience du fait que la société définit les rôles et les possibilités des femmes et des hommes. La religion, la politique et les gouvernements renforcent cette idée de ce que les femmes peuvent et ont le droit de faire.

Même sans connaître les termes exacts propres aux courants féministes, ce sont des choses que je soutiens : comprendre la racine des inégalités, ce qui les crée et les renforce. Une grande partie du féminisme consiste à déconstruire le patriarcat et à apprendre comment remplacer ces idées par de nouvelles idées. Je me revendique féministe parce que fondamentalement, je suis capable de voir que le patriarcat et le capitalisme causent des inégalités. J’essaie de me remettre en cause en réfléchissant autrement que comme la société me l’a appris.

En France, on a l’impression que hip hop et féminisme sont incompatibles. Est-ce que tu es d’accord avec cette idée ?

Oui, je peux tout à fait le comprendre. La représentation des femmes dans le hip hop est l’une des choses avec lesquelles je continue d’être en désaccord. Je reconnais que le hip hop peut être misogyne et patriarcal et que ce n’est pas un terrain de jeu équitable pour les femmes et les hommes.

Ça me fait me questionner sur plein de choses, par exemple sur le fait que les femmes soient représentées comme des strip-teaseuses dans les clips. Mais si on prend le clip de Rihanna « Pour It Up », le fait qu’elle se mette en scène en tant que strip-teaseuse n’est pas fait pour satisfaire le regard masculin, c’est juste Rihanna. Cette représentation visuelle est très ancrée dans le hip hop, mais j’ai aussi conscience du pouvoir qu’ont les femmes sur leur corps, leur image et leur implication. Parce qu’en même temps, le hip hop est un outil. C’est un moyen de communication et d’expression artistique.

Qui sont les femmes qui t’inspirent ? 

A un niveau personnel, ma mère. Plus je prends conscience de ce qu’elle a fait pour nous, plus je lui suis reconnaissante. Elle a toujours travaillé et aussi rempli les rôles traditionnellement attendus de la mère et la femme au foyer. En l’observant, je suis reconnaissante qu’elle ait pu tout faire en même temps. Et parce qu’elle a pu tout faire, je m’en sens capable aussi.

Au niveau de la société, Dr. Wangari Maathai. Ce qu’elle a fait pour le Kenya est vraiment impressionnant. Juste parce qu’elle a trouvé quelque chose en quoi elle croyait, elle a construit sa vie sur cette croyance et ses idéaux font évoluer la société.

Au niveau africain, Winnie Mandela et Graça Machel. Winnie Mandela parce qu’elle n’a jamais cessé de se battre et incarne l’âme de la révolution sud-africaine. Graça Machel parce qu’elle symbolise la grâce et l’intelligence. Elle a un point de vue vraiment intéressant. C’est une aînée africaine qui a réussi à faire entendre sa voix à travers tout le continent et bien au-delà.

Et ensuite Beyonce, comme tout le monde ! Parce que Beyonce.

Aussi Missy Elliott et Lauryn Hill (et plus tard M.I.A.), qui m’ont offert un modèle de femmes artistes auquel je pouvais m’identifier.

Est-ce que tu écoutes des rappeuses actuelles ?

Oui, j’adore les rappeuses actuelles. J’aime beaucoup Young M.A.. Je trouve que Nicki Minaj est inégalée et une rappeuse hors pair. Lady Leshurr est vraiment cool aussi.

Quels sont tes projets à venir ?

D’abord, je me prépare à partir quatre mois en tournée cet été. Ensuite, on vient juste de finir d’enregistrer un grand nombre de titres. On a fait une sélection et décidé lesquels garder pour notre prochain projet. On doit envoyer tout ça au mix et normalement l’album devrait sortir au début du quatrième trimestre de cette année.

Rendez-vous en France ?

Oui, on a plein de dates en France ! Au moins 20 !

Retrouvez Muthoni Drummer Queen sur son siteFacebookYouTubeSoundcloudTwitter, Instagram et en tournée.

Muthoni Drummer Queen sera en concert à Paris au Badaboum le 21 mai prochain

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *