Catégories Interviews

Valore : « J’adore la tête que font les gens quand je leur dis que je suis une rappeuse »

Publié le

Sur ta page Facebook, tu te décris comme “un cactus vert vif qui apporte de la couleur à une toile de sable aride”. Qu’est ce que cela signifie ?

Ca vient de l’un de mes poèmes, la suite dit : « viens à moi et trouve du réconfort, ressens la musique et regarde les étoiles. Donne du sens à une chanson ». Le cactus a beaucoup de significations différentes. C’est une métaphore pour dire que je n’ai pas vraiment ma place. Je suis une étrange plante grasse dans les marais de Savannah en Géorgie. Je dénote et apporte de la couleur à la vie. C’est aussi un cactus gonflable dénommé Pedro. Le cactus symbolise le bonheur. Les gens adorent Pedro, j’ai remarqué qu’il les aidait à se relaxer, danser et à se lâcher. J’ai eu environ huit cactus gonflables différents. Certains sont morts à des festivals de musique ou après une tournée. Les plus vieux se trouvent sur mon mur et ont été dédicacés par des amis ou sont recouverts de stickers « I like » de groupes géniaux. Chaque nouveau Pedro est comme un nouveau chapitre de ma vie.

Tu es étudiante en sciences de gestion à l’Université d’Armstrong à Savannah en Géorgie et tu travailles dans un restaurant. Comment trouves-tu le temps de faire de la musique ?

Je fais de la promo, je cherche des dates et j’envoie des mails pendant mes pauses au travail ou à la fac. C’est du non-stop. Je joue avec des super musiciens en ville ou des gens que je rencontre. J’ai toujours un djembé et un saxophone dans ma voiture. Bien que je sois stressée par ma quantité de travail, la musique et la scène me permettent de garder la tête sur les épaules. Je m’assure également de ne pas forcer ma musique. J’écris et j’enregistre quand je sens l’inspiration arriver. Le fait d’avoir mon studio dans ma cave arc-en-ciel (mon salon) est pratique parce que je peux enregistrer très facilement et rapidement quand je le souhaite. J’ai enregistré « Shakespearean Rap » de Lizard Girl un jour entre deux cours, ça m’a pris environ une heure. Je fais seulement une ou deux prises pour mes couplets.

Tu mélanges du spoken word, du funk et du hip hop alternatif. A quels artistes t’identifies-tu le plus ?

Kate Tempest est mon idole et une déesse aux textes impénitents et sans filtre. J’aimerais l’épouser un jour. Son travail te pousse à t’observer de l’extérieur et de l’intérieur. Je m’identifie aussi beaucoup à Janis Joplin. Des gens m’ont dit récemment que je lui ressemblais quand mes cheveux sont décoiffés et que je suis au micro sur scène, alors je me suis mise à faire des recherches sur sa vie. Elle voulait juste que les gens dansent et se lâchent, et lors d’une performance, a demandé à l’audience de la rejoindre. Je comprends très bien ça parce que parfois j’ai l’impression de regarder un champ de zombies peu engageant qui me snapchatte. Je veux que les gens dansent.

Sur ton dernier EP “Lizard Girl” tu as travaillé avec 10 autres artistes. Peux tu nous raconter comment s’est déroulé ce projet collaboratif ?

Obamabo a joué un rôle énorme dans cet EP, il a produit 5/6 des beats, a mixé et masterisé le tout. Vinay Arora (mon DJ) a produit “Acne Scars” dans laquelle il a développé le beat à partir de la piste de ma voix. Pour le design, je me suis rapprochée de tous mes artistes visuels préférés et leur ai demandé de me représenter sous forme de lézard.

C’est la seule  indication que je leur ai donnée et c’était génial de voir comment chacun l’a interprétée de manière différente. Chibu m’a fait des GIFs et des badges, Pavonine Packaging m’a fait des cassettes, Naomi Weiner a réalisé la pochette, Apple Xenos la typographie et les posters, Toss et Shibby Pictures les vidéos et Ottpopart les effets graphiques. J’ai payé tous ceux qui souhaitaient être rémunérés, car c’est très important pour moi. Je veux indemniser les artistes pour leur travail. Je considère cela comme un investissement important. Je crois au fait que les gens puissent gagner de l’argent avec leur art et prospèrent.

Quelle est l’histoire du titre et du clip de “Reptilian Funk” ?

C’était la première fois que je collaborais sur un titre avec Obamado. Il a remixé « Never Comin’ Down » des artistes locaux Miggs Son Daddy & MothaBug produit par Tha Monsta. Je lui ai renvoyé mes voix le jour suivant et nous avons réalisé que nous avions une forme de magie dans notre relation musicale, alors nous avons fait Lizard Girl. J’ai dit à Toss Productions que je voulais faire un clip où je conduisais et rappais.

On a parcouru la ville en voiture avec une caméra sur le capot pendant que Steve regardait les images sur la banquette arrière, derrière Pedro. Tout le temps que je rappais, je me disais que cette caméra hors de prix allait tomber mais ça na pas été le cas. Ma reine chérie Ottpopart a ajouté des effets déformants aux images pour leur donner du caractère. J’adore l’idée que nous soyons tous réunis sur ce projet et j’aime beaucoup le produit fini. Il a ce côté funk psychédélique qui augmente progressivement avec la musique. Tout le monde a fait du super boulot.

En quoi être une femme sur la scène hip hop aujourd’hui est-il difficile ?

J’adore la tête que font les gens quand je leur dis que je suis une rappeuse. La plupart est décontenancée ou impressionnée parce que je ressemble à Marcia Brady (personnage de la série américaine The Brady Bunch interprété par Maureen McCormick). Quand j’ai commencé à rapper, je voulais désespérément qu’on m’accepte comme rappeuse et pas seulement comme artiste de spoken word. Un rappeur m’a dit un jour « Valore, quand est-ce que tu vas balancer des rimes ? » Le fait que mes rimes ne ressemblent pas à du old school ou du hip hop mainstream ne signifie pas qu’elles n’en sont pas. Je savais que mon son était unique et je n’ai pas fait de compromis. Je n’essaie plus vraiment de me faire accepter, je laisse juste mes mots et mes performances parler à ma place. Une fois, un mec m’a dit que les femmes ne savaient pas rapper alors je lui ai balancé un rap qui l’a laissé sans voix. Si tu as confiance en toi et que tu balances des textes crus qui touchent les gens, ils ne se préoccuperont pas de la couleur de ta peau ou de ton genre. Ils écouteront seulement tes rimes.

Te définis-tu comme féministe ? Pourquoi ?

Oui parce que je pense que le genre ne devrait pas définir notre statut dans la société. Nous devons offrir l’égalité des chances à tout le monde.

Qu’écoutes-tu en ce moment ?

SMYLE, le nouvel album de KYLE (du math rock super dansant) Space and Simplicity de Yani Mo (c’est la meilleure rappeuse qui existe en ce moment), Culture Vulture (je danse comme un folle à chacun de leurs concerts) Jungle Pussy (c’est toujours complètement ouf), The Mother Goddess (une sensuelle femcee de Toronto), The Gumps (du swamp punk), Tokalos (toutes les femmes que je préfère en un seul groupe), la liste s’allonge tous les jours. Presque tous les soirs, je vais voir des concerts de groupes de tout le pays qui jouent dans des appartements ou des bars. Je tombe aussi sur des sons cool sur Soundcloud et Bandcamp. Internet est un endroit incroyable, la preuve, tu m’as trouvé dans cet abîme. J’ai écoute le nouvel album de Kendrick Lamar et ça déchire, ça donne à mon âme envie de danser la samba. J’adore son orchestre de sons et son flow si propre avec une flopée de ruptures en rythme.

Quels sont tes projets à venir ?

J’ai commencé le saxophone et je suis sous le charme. Jouer du sax, c’est comme apprivoiser le vent qui souffle en moi et le transformer en tonalités sensuelles. Mon prochain projet mélangera une large palette de mes poèmes avec du sax et des éléments électroniques. J’ai écrit ces poèmes à une période très intime et poignante de ma vie. Je lance également un groupe de folk/punk/rap avec le cool et excentrique Matt Hewitt aka Mustard Shankly. Nous avons déjà 5 titres et allons bientôt commencer les concerts. L’une de nos chansons s’appelle “Covered in Blood” et raconte comment Jésus revient en Ronald McDonald pour nous insulter. Je vais aussi partir en tournée en Europe. Je viens de réserver mon vol et je serai à Paris du 6 août au 1er octobre. Si vous connaissez des lieux cool pour jouer, contactez moi. Collaborons et traînons ensemble.

Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?

Continuez comme ça, j’adore !! C’est génial de présenter des rappeuses qui déchirent. Vous pourriez peut-être ajouter des citations cool de leurs chansons.

Retrouvez Valore sur Soundcloud, Facebook et Bandcamp.