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Drinu : « J’ai choisi de ne pas me censurer ou censurer ma sexualité »

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Rappeur queer polonais, Drinu s’est fait connaître en 2021 avec son album PROJEKT GEJ x RAP. Présenté par les médias comme le premier MC gay de Pologne, l’artiste nous explique pourquoi cette formulation est réductrice et pourquoi il affectionne peu les étiquettes. Drinu nous raconte également sa passion pour la country et Lil’ Kim, son processus de création, et ses projets.

Peux-tu te présenter brièvement ? Qui es-tu? D’où viens-tu ? Comment t’identifies-tu et quels pronoms devons-nous utiliser ?…

Mes amis m’appellent Jędrzej, à l’étranger on m’appelle Andrew, et dans la musique, Drinu. On m’a donné ce surnom dans l’un de mes endroits préférés sur la planète – une île charmante que j’ai visitée pour la première fois il y a des années et que j’ai surnommée Paradiso.

Je suis né à Parczew, une petite ville dans l’est de la Pologne. Je ne m’en souviens pas du tout, car mes parents ont immédiatement déménagé à Lublin (également dans l’est de la Pologne). Pour mes études, j’ai déménagé à Varsovie, où j’ai passé près de dix ans.

Je m’identifie comme un homme gay. Néanmoins, pour être honnête avec vous, je ne suis pas un grand fan des étiquettes et du besoin qu’ont les gens de se définir avec autant de précision, même si je sais c’est politiquement incorrect de dire ça.

Quand et comment as-tu commencé à rapper ? 

Le rap est né de ma passion pour l’écriture et du fait que j’étais attiré par la musique hip hop depuis le début de mon adolescence. Un jour, j’ai commencé à écrire un poème et j’ai essayé de le rapper sur un beat gratuit que j’avais trouvé sur Internet.

Au début, je rappais sur un radiocassette et j’enregistrais avec mon téléphone. Puis, je me suis procuré un micro et j’ai improvisé un studio dans ma cuisine. Et c’est comme ça que j’ai commencé à concocter de la musique. J’ai plongé dans l’inconnu, pas à pas, jusqu’à la fin de la vingtaine.

Comment décrirais-tu ta musique et ton identité artistique ?

En plus du hip hop, j’ai toujours aimé la musique country. Dans les deux genres, une chose compte avant tout : la vérité. Je dis ma vérité sur des rythmes essentiellement boombap, ceux qui sont les plus enracinés en moi.

La musique n’a jamais été un moyen de construire une carrière ou d’obtenir du succès, de l’argent, ou honnêtement – même le sentiment d’accomplissement.   D’une manière ou d’une autre, j’ai eu tout cela avant même d’oser écrire mes premières mesures. Il s’agit avant tout d’être fidèle à ce que je suis et à ce que je veux partager avec le monde.

Quel est ton processus de création ? Comment écris-tu ou choisis-tu tes beats ? As-tu des thèmes préférés ou des routines? …

Mon premier single « Tacy sami » (« Égaux ») a commencé comme un poème. Mais c’était comme une aventure d’un soir, ça ne s’est pas toujours passé comme ça par la suite. Le plus souvent, je trouve un beat qui me parle, une partie du refrain ou quelques phrases me viennent à l’esprit. Ensuite, cela m’amène à une thématique et le plaisir continue.

Je pense que j’ai parfois besoin d’un peu plus de discipline dans ce que je fais. J’ai des beats frais mais classiques sur mon disque dur, qui attendent que je les prenne en main. Mais que dire ? En général, ça me parle tout de suite ou pas du tout.

Quelle est la chanson dont tu es le plus fier à ce jour et pourquoi ?

Ma réponse nécessite un peu de contexte. Mon petit bijou personnel est « Bądźmy sobą » (« Soyons nous-mêmes »), qui contient un couplet de Gonix, une rappeuse, productrice et autrice-compositrice polonaise extrêmement talentueuse.

Vers 2020, j’étais déjà fan d’elle depuis sept ou huit ans. J’ai composé une chanson intitulée « Nie rusz mnie » qui attendent (« Ne me touchez pas ») pour contribuer, aussi bruyamment et énergiquement que possible, à la grève des femmes en Pologne. Je l’ai enregistrée dans ma cuisine, je l’ai mixée moi-même, et mon petit ami de l’époque (mon fiancé aujourd’hui) en a fait une reprise que nous avons mise en ligne sur YouTube.

J’ai contacté Gonix pour la tenir informée et partager mon ressenti. Sa réaction a été incroyable et ça m’a poussé à lui demander de participer à l’une de mes chansons. Elle m’a dit : « si je le sens, je le ferai. » Et elle l’a fait. Je n’arrive toujours pas à y croire, mais c’est la chanson dont je suis le plus fier.

Et la suivante, « Tacy sami », produite par St. Elmo, un artiste très doué basé à Varsovie qui me fait toujours sentir à l’aise en studio.

Les médias te présentent souvent comme « le premier rappeur gay de Pologne ». Que penses-tu de cette expression ?

Nous sommes en 2023, et c’est sûr que c’est une formulation croustillante pour les médias polonais. Et cela en dit long sur la Pologne, non ? Je ne vais pas mentir, j’ai intitulé mon album PROJEKT GEJ X RAP non pas pour avoir du poids, mais pour provoquer certaines personnes, pour les bousculer un peu. Comme une petite aiguille plantée dans un ballon de baudruche.

De toute façon, je ne me préoccupe pas beaucoup des appellations ou des expressions. Je suis plus que certain qu’il y a eu un tas de rappeurs gays en Pologne avant moi. Qu’ils le disent ou non, c’est une autre histoire.

Le hip hop est souvent considéré comme homophobe. Es-tu d’accord avec cela ? Et pourquoi t’es-tu initialement senti attiré par cette musique ?

Le hip hop n’est pas exempt d’homophobie, de haine envers les femmes ou de masculinité toxique. Il en va de même pour notre société. Dans le hip hop, je vois qu’elle se transforme. Lentement, douloureusement, mais quand même, dans le bon sens. En Pologne, ce n’est peut-être pas encore aussi visible que je le souhaiterais, mais tous les changements ont besoin de temps. Et de voix pour les soutenir.

Quant à mon attirance pour le hip hop, tout a commencé avec Lil’ Kim. Je l’ai découverte avec « Lady Marmalade », puis j’ai plongé dans Hardcore, son premier album. Je n’en revenais pas : quel talent, quel flow, quelle bravoure elle avait et a toujours ! Je me suis ensuite penché sur le catalogue de Biggie, puis sur Junior M.A.F.I.A., et j’ai eu l’impression de découvrir un monde qui m’était inconnu jusqu’alors.

En 2021, tu as sorti ton premier album, PROJEKT GEJ x RAP, qui traite en grande partie d’homosexualité. Comment a-t-il été accueilli par le public polonais ?

C’est justement le problème : il ne s’agit pas de « traiter de l’homosexualité ». C’est une idée que j’ai souvent dû combattre dans les médias polonais. Alors d’accord, j’ai appelé mon album comme ça – et nous sommes en train d’en discuter, n’est-ce pas ? Je plaisante bien sûr, mais comme dans toute plaisanterie, il y a une part de vérité.

PROJEKT GEJ x RAP n’a rien à voir avec l’homosexualité. Il s’agit de moi. Et je suis gay. C’est un album qui parle d’amour, de colère contre la société, de doutes et d’espoirs pour l’avenir. C’est ma vérité. J’ai simplement choisi de ne pas l’édulcorer et de ne pas me censurer ou censurer ma sexualité.

L’accueil qu’il a reçu a dépassé mes attentes. La vague de haine homophobe que j’ai reçue est rapidement devenue insignifiante, car j’ai reçu beaucoup de messages personnels sur Instagram ou par mail. Les gens m’ont dit que je les avais grandi, qu’ils se sentaient représentés, entendus. Je me suis senti fier et j’ai eu l’impression que ça en valait la peine.

C’est ce qui m’a beaucoup manqué quand j’étais enfant ou adolescent. Presque personne n’était ouvertement gay à l’époque en Pologne. Il n’y avait pas une seule chanson d’amour à la radio qui aurait pu suggérer, même de loin, qu’elle parlait d’une histoire entre deux hommes.

Au lieu de cela, nous avions des chanteurs qui sont ouvertement gays aujourd’hui, mais qui adressaient leurs chansons d’amour à des femmes imaginaires, si vous voyez ce que je veux dire (contrairement à l’anglais, le polonais différencie les genres dans la plupart des conjugaisons de verbes…) Quoi qu’il en soit, l’album a joué son rôle à mon sens.

Te considères-tu comme un activiste ?

Personnellement, je connais quelques personnes qui sont de véritables activistes – je n’aspirerais pas à un tel titre. Je fais ce qui est en mon pouvoir pour soutenir les communautés locales, et si je vois quelqu’un qui a besoin d’aide, je lui tends la main.

Mais il existe des héros qui consacrent littéralement la majeure partie de leur vie à se battre pour une cause. Le fait d’être qualifié d’activiste devrait peut-être être un honneur qui leur est réservé.

Es-tu en contact avec d’autres rappeurs·euses queer polonais·es? 

Des rappeurs queers – non. Je n’en ai pas entendu parler. J’ai cependant fait une belle collaboration avec Nick Sinckler, qui est gay, mais qui est surtout un excellent chanteur. Et je suis sincère, il est incroyablement talentueux.

Nous avons remixé une de mes chansons, « Snyyy » (« Rêves »), et il lui a donné un tel coup de fouet que ça vaut le coup de l’écouter. Vous pouvez la trouver sur toutes les plateformes de streaming ou sur YouTube, accompagnée d’une vidéo animée réalisée par Duśka « Zuo » Wacławik.

Maintenant que j’y pense, ce remix figure peut-être sur la liste des titres dont je suis le plus fier avec « Bądźmy sobą ». C’est une ode aux rêves sexuels entre hommes et mon hommage à « Dreams » de Lil’ Kim.

Quels sont tes prochains projets ?

Le nouveau chapitre de ma vie que j’ai entamé récemment va probablement me pousser à me remettre à la musique. Je ne pense pas que je vais faire une folie comme avec mon premier projet et sortir un autre album complet, mais qui sait ! Le temps nous le dira, restez à l’écoute. En attendant, je me consacre à la pâtisserie, qui est une autre de mes passions.

Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer et/ou améliorer ?

J’adore ce que vous faites ! Les efforts que vous déployez, les recherches que vous menez, la visibilité que vous donnez – c’est un véritable trésor dans le monde des médias d’aujourd’hui.

Retrouvez Drinu sur Instagram et YouTube.

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