Zamaera est l’une des premières rappeuses reconnues en Malaisie et a inspiré toute une génération de femcees dans son pays. L’artiste nous parle de son parcours dans le hip hop, de son féminisme et de ses projets post-confinement.
Quand et comment as-tu découvert le hip hop ?
Mes premiers souvenirs de hip hop remontent au début des années 2000. Mes parents étaient des fervents amateurs de musique et mon père gravait tout le temps des CDs avec une vaste palette de différents genres musicaux. Juste après le classique d’Aerosmith I Donʼt Want To Miss A Thing, la piste 4 était Get Your Freak On de Missy Elliott. On chantait ensemble en famille pendant les longs trajets en voiture et tout le monde connaissait les paroles par cœur.
Mais bizarrement, entre 2002 et 2015, je n’avais pas vraiment conscience d’écouter du hip hop. J’imaginais encore moins que ce serait le genre de musique que je ferais plus tard. J’écoutais la radio et j’ai grandi au moment de l’expansion d’internet ce qui fait que j’ai mémorisé beaucoup de chansons qui me parlaient d’un point de vue sonore.
C’est seulement en 2016 que j’ai commencé à combiner mon amour pour la poésie avec mon amour du rythme et à analyser les paroles en profondeur, ce qui a déclenché une véritable curiosité pour la culture hip hop.
Quel·le·s artistes écoutais-tu quand tu étais-petite ?
Waouh, j’écoutais tellement d’artistes ! Je me souviens que j’adorais Céline Dion et Britney Spears, mais aussi des groupes comme Queen, Police, Aerosmith… Presqu’aucun artiste hip hop, à part Missy Elliott, mais à partir de l’âge de 17 ans, j’écoutais les plus grands, 2Pac, Nas, Lauryn Hill, Eminem. J’avais l’impression que leurs paroles étaient totalement en phase avec mes propres expériences personnelles.
Est-ce que tu as pris des cours de musique ?
Des cours de piano classique jusqu’au CM1 et un peu de guitare de manière autodidacte grâce à YouTube et Ultimate Guitar.
J’ai pris mes premiers cours de chant mi 2017 quand j’ai été signée par un programme de développement d’artistes et ça m’a beaucoup aidée pour les performances live. Je n’avais jamais songé à prendre des cours de chant, parce que je pensais avoir un bon niveau, mais j’avais tort haha.
La meilleure forme d’investissement est celle que tu fais pour toi. J’aurais aimé prendre des cours de chant plus jeune mais j’ai fait comme je pouvais avec ce que j’avais.
Comment as-tu commencé à rapper ?
J’ai participé à un cypher organisé par Red Bull en décembre 2016 et je crois que j’étais la seule rappeuse parmi les 50 participants. J’ai fini deuxième et je crois que c’est ce qui m’a poussé en dehors de ma zone de confort et m’a incité à explorer le rap comme une forme d’art.
J’ai signé avec un label hip hop local en tant que chanteuse pendant quelque temps, mais j’étais constamment exposée au rap. Je ne m’y intéressais pas plus que ça mais ça m’a gagné petit à petit. Les changements de flows, les cadences, les jeux de mots et surtout le message. Ensuite, j’ai enregistré mon premier single Helly Kelly, qui m’a offert de nouvelles opportunités et m’a permis de me forger un nom en tant que rappeuse.
En quoi le fait que tu finisses deuxième à ce cypher Redbull a t’il eu un impact sur ta carrière ?
Ça a fortement impacté ma carrière parce qu’il n’y avait pas de rappeuse connue en Malaisie à l’époque. Le fait d’être la seule femme dans un océan d’hommes, dont certains étaient des rappeurs de battles expérimentés ou des artistes renommés dans l’industrie, a surpris beaucoup de gens. Tout le monde m’attendait au tournant. Tout le monde voulait voir ce que j’allais faire ensuite.
Quand j’ai sorti Helly Kelly, tout a explosé (dans le bon sens du terme). On m’a proposé des dates et des contrats avec des maisons de disques, mais pour moi, le plus important est que ça a permis l’émergence de rappeuses en Malaisie.
Ton titre Wanita rend hommage aux femmes malaisiennes modernes. Te définis-tu comme féministe ? Si oui, comment définirais-tu ton propre féminisme ?
Oui, je me considère complètement comme féministe. Depuis que je suis petite, j’ai toujours défendu l’égalité dans tout ce que j’ai fait, ce qui à mon sens a été un élément clé pour mener ma carrière dans une industrie dominée par les hommes.
Je n’ai jamais laissé personne me prendre de haut à cause de mon genre et le fait que je fasse du rap a permis à l’industrie d’ouvrir les yeux sur la nécessité de réserver le même traitement et le même respect aux femmes et aux hommes. Pas seulement dans le hip hop, mais aussi en termes de droits économiques et sociaux. Surtout quand on passe le même nombre d’heures à travailler et qu’on a les mêmes compétences, si ce n’est plus.
Je dis ce que je veux dans ma musique et je ne me conforme à aucune limite posée par la société. On pose tous nos propres limites et on se définit soi-même.
Wanita est une super chanson, pas seulement pour les femmes, mais aussi pour que les hommes regardent les figures féminines de leur vie, que ce soit leur sœur, mère, fille, tante, grand-mère, et puissent s’identifier aux rôles qu’elles ont joués pour nous. Comprendre comment leur amour et leur empathie nous ont construits et comment, sans les femmes, la vie ne serait pas aussi haute en couleur.
Si quelqu’un veut découvrir ta musique, quel morceau lui conseillerais-tu d’écouter en premier ?
Je dirais Helly Kelly. Je crois que ce morceau me définit en tant qu’artiste. C’est punchline sur punchline, avec beaucoup de jeux de mots et de variations de flows. En plus, c’est très énergique avec des cuivres aux sonorités grime, un bon pattern de batterie, et le tout dans un clip fait maison avec zéro budget et tourné dans mon quartier !
Les rappeuses semblent très actives sur la scène hip hop malaisienne. Est-ce le cas ? Comment sont-elles perçues ?
Depuis deux ans, le nombre de rappeuses sur la scène hip hop malaisienne a indéniablement augmenté. Ici, le hip hop est bien accueilli par le grand public et pour la plupart, les gens sont enthousiastes quand ils voient plus de femmes rapper, ce qui me fait super plaisir.
Quelles sont les femmes qui t’inspirent ?
Ma mère et ma grand-mère sont des femmes que j’admire. J’ai eu l’immense chance de grandir avec elles, comme figures constantes de pouvoir, d’apprendre de leur parcours et de m’imprégner de leur force. C’est assez dingue d’écouter les histoires de ma grand-mère, qui, dans les années 1950, marchait presque dix kilomètres chaque jour pour aller travailler comme couturière et invitait ensuite toute sa famille au cinéma.
Et ma mère, mon dieu ma mère, elle est surhumaine. Il y a des jours où je me suis sentie complétement dépassée par l’industrie de la musique, et certaines choses m’ont ralentie, mentalement et émotionnellement. Alors, je regardais ma mère et voyais qu’elle avait déjà fait son footing de cinq kilomètres, son chi qong matinal, qu’elle était allée au supermarché, était revenue et avait cuisiné cinq plats en deux heures tout en continuant d’être le pilier de la famille. Ça m’a juste donné envie de m’accrocher et de persévérer chaque jour.
Aussi Beyonce et J-Lo, même si je ne les ai jamais rencontrées. J’admire le fait qu’elles soient arrivées là où elles sont aujourd’hui. J’aspire à avoir autant de discipline et de succès qu’elles.
Quels sont tes projets à venir ?
Je poste toujours du contenu sur mes réseaux, surtout des freestyles d’une minute parce que c’est un standard qui marche bien, mais actuellement, avec la pandémie de coronavirus, mes projets de singles et de EPs sont en suspens. Une fois que le confinement sera levé, je vais sortir de nouvelles chansons. Dont certaines avec des featurings d’artistes incroyables de toute l’Asie !
Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?
Je trouve que cette plateforme est géniale pour découvrir de nouvelles rappeuses, il y en a tellement dans le monde entier !! Ça me fait plaisir de savoir que nous sommes plus connectées que nous le pensons.
Retrouvez Zamaera sur Facebook, Instagram, YouTube et Twitter.