Née à Dakar et basée à Montréal, Sarahmée est active depuis plus de dix ans sur la scène hip hop québécoise. La rappeuse nous a parlé de son second album Irréversible, de son processus d’écriture, de la place des femmes dans le rap et de féminisme.
Quand et comment as-tu découvert le hip hop ?
J’ai découvert le hip hop par mon cousin, quand j’avais 9 ou 10 ans. Il me donnait des cassettes de rappeurs de New York où il y avait une chanson par face. Il m’a fait découvrir les Fugees, Lucy Pearl, Nas et tout le rap de la côte Est. C’est vraiment là que je suis tombée dans la soupe.
Quels sont les rappeuses/eurs que tu écoutais en grandissant ?
Quand j’avais 11-12 ans, j’étais à fond dans le rap. J’écoutais tout ce qui se faisait dans les années 1990, Nèg’Marrons, Doc Gynéco, NTM, IAM, ce rap assez hardcore mais aussi MC Solaar, (son album Prose Combat) et Passy. Après avoir découvert le hip hop par le rap américain, j’étais très rap français.
Tu as sorti en avril l’album Irréversible, qui est très dansant et empowering. Dirais-tu que c’est un album féministe ?
Je pense qu’Irréversible a un côté féministe parce que déjà quand on est une femme, qu’on le veuille ou non, on a ce petit truc féministe en nous, que ce soit assumé ou pas. J’avais des choses à dire qui me brûlaient, je les ai dites, c’est sorti comme ça. Je ne m’attendais pas à ce que les gens le voient si féministe, mais oui, c’est un album qui donne de la force aux femmes et qui m’a fait du bien en l’écrivant. J’avais besoin de cette force-là. J’ai dix ans de carrière et j’ai fait pas mal de choses avant que les gens commencent à découvrir ma musique.
Je pense qu’on est dans une époque où il est important que les femmes se mettent en valeur, en avant, se supportent, et qu’on se dise qu’on est capable de tout parce que tout est possible. C’est juste que parfois on manque de modèles féminins.
Comment composes-tu tes morceaux ?
Pour le premier album, je recevais des beats de producteurs. J’écrivais chez moi et j’allais enregistrer mais je n’étais pas trop fan du studio.
Pour Irréversible, dès 2017, j’ai commencé à beaucoup travailler toute seule, sans mon ingénieur du son. Ça fait une dizaine d’années que je suis autonome sur le logiciel Cubase. L’idée était d’être seule pour travailler les flows et l’écriture. J’avais les maquettes du duo TenAm, qui a produit tout l’album. J’écoutais les instrus et j’avais le micro à côté de l’ordinateur. Je n’ai pas écrit sur papier. J’écrivais des top lines, des mélodies et je construisais le texte des chansons. J’ai enregistré seule devant mon ordinateur, phrase par phrase.
C’est une nouvelle façon de travailler et ça me permet de développer le flow et la technique, j’adore.
As-tu des rituels d’écriture ?
Je commence toujours par la mélodie. Si c’est le refrain dans l’instru qui m’accroche tout de suite, je fais des top lines et des mélodies, je marmonne un air. Pareil pour les couplets. Je fais beaucoup de « play » et « stop » et j’écoute beaucoup la prod. Une fois que la chanson est faite, je peaufine le texte et travaille les métaphores, les figures de style, les punchlines.
Quelle place occupent les rappeuses sur la scène rap à Montréal ?
Les rappeuses occupent de plus en plus de place sur la scène québécoise, ça fait du bien. Dans les dernières années, il y a eu beaucoup de nouvelles venues et je me compte dedans. Les gens commencent à comprendre que, fille ou garçon, ça ne change pas le talent, la performance et les punchlines. C’est le talent qui doit être au centre, et non le genre.
Mais il y encore des choses à faire parce que tout n’est pas gagné, comme partout. En tout cas, je suis contente de faire partie de cette vague-là et de faire changer les esprits parce qu’on a besoin de diversité.
En ce moment, le rap au Québec est de plus en plus diversifié que ce soit en genres ou en styles et c’est important. Ce n’est pas parce que nous sommes des filles qui faisons du rap que nous faisons toutes le même style de rap.
Quelles sont les femmes qui t’inspirent ?
Diam’s avait une fougue et une énergie que j’ai toujours admirées, un énorme talent et une persévérance qui lui ont donné raison puisqu’elle a tout dominé. Malgré tout ce qu’on lui a dit tout au long de son parcours, elle est restée elle-même. Dans la même veine, il y a Lauryn Hill, Alicia Keys et Pink, qui sont des filles que j’écoute depuis que je suis ado et que je continue d’écouter et de suivre parce que ce sont des modèles. Elles ne se sont pas laissé emporter par tout ce business, cette culture très pop, très sexualisée des femmes et des femmes noires aussi. Ce sont des filles qui m’ont toujours fortement inspirée et dans lesquelles je me reconnais.
Te définis-tu comme féministe ? Pourquoi ?
Je dirais que je suis féministe, oui. C’est quelque chose que j’ai découvert avec l’expérience et la maturité. J’essaie vraiment de défier tous les stéréotypes que je vis en tant que femme noire dans le rap et de les faire tomber par mon travail, ma performance, mon intelligence et les messages dans mes chansons. Ça fait partie de ma mission, si j’en ai une sur cette Terre. Je sais que je représente différentes choses pour différentes personnes dans le monde. Si ma musique marche et me permet de voyager et de faire des choses bien autour de moi, c’est le but. Et si ça peut inspirer d’autres jeunes femmes, ma mission sera accomplie.
Il y a encore beaucoup de stéréotypes, et pas seulement dans la musique, mais aussi dans le cinéma, les entreprises… Je pense qu’il ne faut pas négliger l’intelligence des femmes et malheureusement, on aime bien nous cantonner à certains rôles. Et moi, je ne rentre pas dans tous ces codes et je ne vais pas rentrer dans les leurs non plus.
Quels sont tes projets à venir ? Bientôt une tournée en Europe ou en France ?
Je termine tranquillement la tournée estivale de tous les festivals au Québec. Je sors un clip très bientôt dans les prochains jours et d’autres cet automne. Je serai à Bruxelles le 10 octobre pour le Festival Francofaune en première partie de Lord Gasmique et je vais passer quelques jours à Paris. Le but est de m’exporter dans la francophonie. J’étais à Paris au mois d’avril avec Chilla dans Planète Rap et j’espère revenir en France mais aussi en Afrique. Donc très bientôt, si tout va bien !
Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?
Je connaissais Madame Rap, mais je suis vraiment allée voir le site hier. Je vous donne la force pour continuer. Il faut un média important qui mette la lumière sur ces rappeuses et ces artistes féminines. C’est très bien aussi que ce soit international. Je pense que toutes les rappeuses, où qu’elles soient dans le monde, vivent les mêmes challenges.
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