Rappeuse grecque d’origine égyptienne, Sara ATH a grandi à Athènes et au Caire et vit désormais à Berlin depuis deux ans. L’artiste nous parle de son expérience militante au sein de mouvements anarchistes, antifascistes et anticapitalistes, de son féminisme, de son rap « politique et biographique » et de son nouvel album Amazons of the Concrete.
Tu viens d’Athènes mais tu as grandi dans une famille égyptienne, avec un père musulman (qui a été une figure majeure de la domination masculine tout au long de ta vie) et une mère chrétienne. Peux-tu expliquer l’impact de ce parcours sur ton envie de faire de la musique ?
Je pense que les différentes expériences qui m’ont défini en tant que personne ont influencé ma façon de faire de la musique. Donc c’est aussi le cas de cette expérience en particulier, qui je relate dans le titre « Στέκω Γυναίκα ». Cependant, bien que ce soit ma propre histoire, des situations similaires d’oppression des femmes peuvent se retrouver dans des familles régies par la domination patriarcale.
Quels artistes as-tu écouté en grandissant ?
J’ai certainement été influencée par de nombreux genres musicaux différents, en particulier venant des deux cultures dans lesquelles j’ai grandies. Je ne peux pas faire de réelle distinction entre les artistes et les genres musicaux spécifiques. Je pense que ce ne serait pas juste.
Tu dis que le hip hop féministe est ce qui t’a fait découvrir la culture hip hop. Qu’entends-tu par « hip hop féministe » ?
En fait, je n’ai pas exactement dit ça. Je pense que par le passé, j’ai déclaré en interview que le rap féministe était la raison qui m’avait fait me lancer dans le rap. À l’époque où j’ai commencé, il n’y avait aucune MC en Grèce qui avait des paroles explicitement féministes et je suis très heureuse et fière d’avoir contribué à ouvrir la voie dans cette direction.
Tu as rejoint des mouvements anarchistes, antifascistes et anticapitalistes quand tu étais plus jeune, mais tu as été déçue par le sexisme et la misogynie que tu y as rencontrés. Comment le rap t-a-t ’il aidé à traverser tout ça ?
Question intéressante… J’ai toujours trouvé que les préoccupations que je soulevais et les critiques que je faisais, en particulier sur les questions de genre et féministes, que ce soit dans un contexte social plus large ou dans le mouvement lui-même, n’étaient pas faciles à exprimer dans les cercles dans lesquels je militais.
Ainsi, le rap a été mon outil et mon exutoire, me permettant d’ouvrir ces questions et de dire ce que je pense en public. Sans être prise au piège dans les processus politiques, et dans un contexte où, à ce moment-là, l’espace nécessaire ne m’était pas donné.
Comment décrirais-tu ta musique ?
Je fais du rap politique avec beaucoup de références biographiques. Dans mes morceaux, je décris mes expériences ou mes positions politiques. Musicalement, j’aime beaucoup le rap old school, mais j’aime aussi les nouveaux éléments qui ont été introduits dans cette musique, comme les sons électroniques, et son évolution.
En tant qu’individu, je trouve que l’expérimentation est un défi et j’aime beaucoup essayer de nouvelles choses. Par exemple, des beats de drill. Je n’aime pas particulièrement avoir un résultat prédéterminé, je préfère la diversité dans ma musique. Dernièrement, dans ce contexte d’expérimentation, j’ai même flirté un peu avec le reggaeton et les beats africains.
Ta musique et ta vie sont étroitement liées. Te vois-tu comme une militante qui fait de la musique ou une artiste qui fait de la politique ? Ou les deux ?
D’abord, je dirais que la musique fait aussi partie de mon activité politique. Au fil des ans, en émigrant à Berlin et en essayant de trouver ma place ici et d’entrer en contact avec la vie politique de la ville et du pays, les frontières entre ces catégories se sont estompées et m’a parfois amené à faire les deux.
Pourquoi as-tu quitté la Grèce pour t’installer à Berlin et qu’en as-tu retiré en tant qu’artiste ?
Je suis une immigrée économique. Je suis venue à Berlin parce que je devais travailler, comme beaucoup de mes camarades grecs. Surtout avec la situation en Grèce ces dernières années, il est devenu nécessaire pour de nombreuses personnes de partir à l’étranger pour pouvoir gagner leur vie.
Pour le rap, être dans un autre pays rend très difficile le fait de faire passer les messages que tu voudrais faire passer. Donc, le défi était d’y parvenir. Surtout venant de Grèce, où la scène anti-commerciale est beaucoup plus importante et fait partie du mouvement. J’ai réalisé que la scène ici était plus « underground » et j’ai eu des difficultés à décider où je voulais me situer et ce que je voulais défendre.
D’un autre côté, j’ai pris contact avec des personnes de la scène rap politique en Allemagne, avec qui j’ai travaillé pour certaines. Je suis très contente de voir que je peux m’entendre avec elles et, par la collaboration et la synergie, emmener les choses dans la direction que je souhaite. Donc, je dirais que je suis optimiste quant à la direction que je vais prendre à l’avenir.
Tu viens de sortir l’album Amazons of the Concrete. Peux-vous nous dire comment et avec qui tu as travaillé sur ce projet ?
L’album s’appelle Amazons of the Concrete et est sorti chez BocaRecords. J’ai travaillé dessus en grande partie avec Paul de Krav Boca, mais plusieurs autres personnes ont aussi contribué à son élaboration.
Il y a 4 chansons avec Aeon, Krav Boca, Ratur et MC Josh. Les beats sont signés Zero, Nosfer, Critical, Amatomic, Krav Boca et Kindred. Les enregistrements ont été réalisés par Spoke au Slomo Studio à Berlin et le mix/mastering a été fait par Incognito au Pineline Studio à Athènes.
L’univers est un peu sombre et mélancolique avec des influences old school, mais aussi des sonorités plus nouvelles, de la drill et de l’électro.
À quoi ressemble la scène rap pour les femmes et les LGBT+ en Grèce en ce moment ?
De nos jours, la scène est beaucoup plus conviviale. On peut y voir beaucoup de femmes et de personnes LGBTQIA+ et je m’en réjouis. Mais j’ai peur que l’industrie s’approprie, avec la montée de #MeToo et conformément à ses tendances capitalistes, la musique produite par ces artistes. Il est important de rappeler que le rap politique n’est pas seulement une occasion de faire la fête, mais porte aussi une dimension plus sociale. Bien sûr, c’est sympa de s’amuser, mais ce n’est pas tout.
Des artistes à nous recommander ?
J’ai le plaisir et l’honneur de faire partie du collectif PowerRap Girlz, qui comprend de nombreuses femmes et personnes queer et je vous recommande fortement d’aller écouter. Plus précisément Aeon, Rrrraaapp Skandalo, Luba Luft, Lini, m0stra, karoshi, Δαιμόνιο, Laru et iou.
Comment définirais-tu ton propre féminisme ?
Je le décrirais comme queer et intersectionnel, questionnant l’hétéronormativité, tout en englobant la politique identitaire, la tentative de créer des espaces plus safe et le classisme. De plus, et sans aucun doute, je crois aux féminismes radicaux issus des classes populaires et de leurs luttes. En même temps, comme on peut l’imaginer compte tenu de mes origines, je suis particulièrement intéressée par une approche BIPOC.
As-tu d’autres projets à venir en plus de ton nouvel album ?
Je prépare une chanson avec Refpolk pour son nouvel album, et le clip de « Wo Kommst Du Her » avec MC Josh va bientôt sortir. Je suis aussi en discussion pour d’autres collaborations dont vous entendrez parler bientôt.
Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer ou améliorer ?
C’est très important de faire l’effort de rassembler et mettre en valeur les MCs qui ne sont pas des hommes cis et en particulier, comme le fait Madame Rap, de mettre l’accent sur la scène queer. La visibilité de ces artistes est très importante, et ça me fait très plaisir qu’il y ait des gens qui portent des projets comme celui-ci.