Madame Rap a rencontré Waka et Paulo de RAP’Elles, « groupe ouvert aux meufs et aux trans », qui partage son amour du rap sur la toile et organise des soirées pour célébrer des artistes hip hop invisibilisé.e.s.
Comment et quand est né le projet RAP’Elles ?
Waka : RAP’Elles a pour but est de réunir des savoirs, des connaissances, des expériences sur la musique en général et le rap en particulier. La création de cet espace part d’un postulat : les meufs et les trans sont invisibles sur la scène du rap et des musiques (populaires), invisibilisé.e.s par une société patriarcale qui associe la musique au masculin. Le but est de nous rendre visibles, en nous appropriant les codes du rap et de la musique. Ici, on veut mettre en lumière l’arrière-plan qui est majoritaire tout en étant minoritaire dans les médias classiques et l’espace public. Le projet est né de discussions, on était trois à la base et l’idée d’un espace a été émis par Paulo, qui aussi trouvé le nom d’ailleurs.
Paulo : A la base, le projet était d’échanger de la musique, des musiques populaires, surtout du rap. Personnellement, j’écoute du rap depuis très longtemps et c’est en montant le groupe Facebook que j’ai découvert énormément d’artistes femmes/trans. On s’est dit que ça nous manquait et puis on a voulu monter un groupe. On a commencé à réunir des gens et on a fait des concerts. Du coup le groupe Facebook s’est aussi exporté IRL !
Quelles actions menez-vous ?
W : Les actions qu’on mène sont des concerts et open mics, on a pour objectif de faire des ateliers mais nous n’avons pas encore de lieu.
P : Pour l’instant, nous n’avons pas fait les ateliers qu’on voulait, mais on a comme projet de continuer à faire des open mics plutôt réguliers. Le truc, c’est qu’il fait un peu froid pour les faire dehors et comme on a pas vraiment de salle, c’est un peu en stand by pour l’instant. Par contre, nous avons un projet de mixtape de reprises de chansons auquel on participe avec des copines.
En France, les rappeuses demeurent peu visibles dans les médias grand public. Pourquoi d’après vous ?
W : La France est très patriarcale ceci explique souvent cela dans le milieu artistique. Les femmes ou toutes les autres minorités sont en général invisibles. Malheureusement, la musique n’y échappe pas non plus.
P : Comme partout, dans la musique et ailleurs, les femmes, les trans, les minorités sont invisbilisées. C’est aussi le cas dans le rap. Le problème c’est la visibilisation. Comme dit Waka le problème c’est le sexisme, comme partout.
Comment expliquez-vous le succès de Diam’s et l’absence de MCs aussi populaires depuis ?
W : Je pense que dans toute domination il faut une exception pour dire : « regardez si elle y est arrivée c’est possible ». C’est dans la majorité des corps de métiers, évidement sauf les métiers connotés féminins. Comme les riches mettent en concurrence les pauvres. Les hommes font pareil avec les femmes. Il en y a qui méritent leur attention et d’autre non, et on a toujours tendance à nous voir à travers leur regard, pour différentes raisons. C’est aussi une question matérielle parce que souvent c’est eux qui ont les contacts. Quand pour être présente sur la scène, tu dois te battre c’est dur. Par exemple pour les mecs, il y a une concurrence de 1/10, pour les meufs, ce sera 1/20. Pour moi, en tant que femme noire goudou qui subit en plus de la misogynoire/homophobie je devrais me battre encore plus c’est du 1/30 et ainsi de suite…
P : Je suis complètement d’accord avec Waka. Il y a toujours besoin d’une exception qui confirme la règle. Si vous dites que la société est transphobe on va vous dire, « ah ben non y a eu Thomas dans Secret Story et un film sur une femme trans ». Mais la concurrence achève tout. Pour être une exception il faut se battre longtemps, et contre beaucoup de personnes. Moi perso, j’ai beaucoup aimé Diam’s, j’écoute toujours certaines de ses chansons maintenant, ce qui me chagrine le plus c’est qu’elle soit souvent présentée comme une rappeuse nulle et commerciale alors que selon moi elle avait un bon flow et parlait de choses dont on n’entendait pas parler souvent : les violences conjugales, la solidarité féminine etc. Mais elle n’est jamais présentée comme une bonne rappeuse, et c’est aussi une des conséquences du sexisme. On pardonne pleins de choses à Booba, mais Diam’s on ne lui a rien laissé passer.
Le hip hop est perçu comme la musique la plus sexiste et le plus homophobe. Qu’en pensez-vous ?
W : C’est un problème de société le sexisme et l’homophobie. On nous demande toujours de nous justifier, nous les minorités, par rapport à des attentats ou autres. C’est un rapport de domination. On nous force à nous percevoir à travers le regard du dominant. Le blanc ne se perçoit pas donc il ne peut pas être selon lui raciste, homophobe, sexiste, capitaliste… Donc si ce n’est pas lui, ce sont les autres, donc les minorités. Mais la réalité est toute autre. Il faut penser aux traites négrières, également appelées traite des Nègres ou traite des Noirs, à l’esclavage, dont ont été victimes, par millions, les populations de l’Afrique de l’Ouest, l’Afrique centrale et l’Afrique australe durant plusieurs siècles. En plus, c’est seulement dans les années 1980 que l’homosexualité n’a plus été considérée comme une maladie mentale. Enfin en France, tous les 3 jours une femme meurt sur les coups de son mari, petit-ami, ex… Oui le rap est homophobe, sexiste… mais pas plus que les autres.
P : Dire seulement « le rap est sexiste », c’est faire oublier tout le sexisme de la société. Oui le rap est sexiste, mais pas plus que les autres musiques. Il n’y a pas beaucoup de grandes cheffes d’orchestre classiques valorisées par tout le monde. Il n’y a pas beaucoup de grandes réalisatrices etc. En plus, dire que seul le rap est sexiste permet de libérer une parole raciste et classiste. C’est plus facile de dire que les jeunes racisés des quartiers sont sexistes que de faire condamner DSK. Ca donne bonne conscience et ça justifie des politiques racistes. Personne ne va aller dire que la chanson française est toujours condescendante, raciste et sexiste, par contre quand on invite des rappeurs à venir sur les plateaux, c’est toujours pour leur parler de sexisme, de violence, et des quartiers.
Quelles rappeuses nous conseillez-vous d’écouter ? Des classiques incontournables ou des découvertes récentes ?
P : Déjà une copine Safyr Sfer avec qui on a fait des concerts. J’adore ce qu’elle fait, ça va du titre qui te fait sauter partout comme « Griselda » en concert, à des titres magnifiques comme « Le Bec et la Plume ». J’aime beaucoup Sianna et Liza Monet. Pour moi, Liza Monet est géniale, ce n’est pas du rap classique, elle allie la chanson avec des phases rap, ses paroles sont bien déter et j’adore comme elle remet à sa place pas mal de rappeurs en assumant qui elle est et ce qu’elle fait. KT Gorique, je la trouve super cool, et en rap US j’avoue que Reverie est ma chouchoute.
W : Je suis d’accord avec Paulo, je rajouterai juste dans les classique Missy Elliott et EVE. Je suis plutôt tournée vers l’Afrique de l’Ouest et sa scène. J’aime bien Ciana et Tilla qui sont camerounaises et Vicky qui est togolaise.
Quelles sont vos roles models féminins ? Pourquoi ?
P : J’en ai eu et je ne sais pas si j’en ai encore aujourd’hui. Avant, j’aimais beaucoup les femmes militantes, elles me faisaient rêver, mais maintenant j’ai laissé pas mal tomber cette partie de ma vie, donc je dirais que j’ai beaucoup de role models féminins, ça va de rappeuses que j’aime à ma grand-mère.
W : Je rejoins Paulo là-dessus concernant des militantes, je dois avouer que mes modèles sont plus dans ma famille, ma mère et quelques-unes de mes tantes. Ce sont mes seules modèles, parce que je me suis rendue compte assez tardivement de tout ce qu’elles ont surmonté au cours de leur vie et je trouve ça badass.
Vous considérez-vous féministes ? Pourquoi ?
P : Je pense que oui. Mais après, on fait tous des erreurs. Je ne supporte pas les personnes qui se disent féministes et en profitent pour être islamophobes, putophobes, racistes, transphobes… Par contre, le féminisme m’a aidé sur pleins de trucs : envoyer chier les connards, savoir que je valais quelque chose, que je n’étais pas censé m’occuper de tous les malheurs du monde etc. Et surtout à être indulgent envers moi-même.
W : Je suis d’accord avec Paulo, mais je n’arrive toujours pas à me considérer comme féministe. De toute manière, je serais dans ce cas précis afro-féministe. Pour moi, c’est compliqué dans le sens où je tends à l’être et d’un autre côté, j’ai une peur bleue d’être anti-féministe, par mes actes ou mes propos. En bref, je ne sais pas où me situer. Donc oui, j’aspire à être féministe. Mais vu que personne n’est parfait, alors on peut dire que je suis déjà un peu afro-féministe !
Quels sont vos projets à venir ?
P : Organiser un concert cet été, début juillet on pense, organiser des ateliers, finir la mixtape, enregistrer des sons, et continuer les open mics quand il fera plus chaud ! Ca fait beaucoup !
W : Lol. Sans oublier nos emplois du temps chargés !
Que pensez-vous de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?
P : Alors j’ai un peu honte, mais je ne connaissais pas trop. Par contre maintenant que je connais les mixtapes je ne peux plus m’en passer !
W : Je kiffe ce que vous faites, d’ailleurs je ne sais pas si vous êtes plusieurs à gérer ce site mais c’est waouh, bravo ! Je n’y vais pas souvent, mais je suis régulièrement ce que vous postez sur Soundcloud. Et je sur-kiffe, j’essaie de partager le plus possible sur RAP’Elles tout en découvrant de nouveaux artistes et c’est top. Je ne vois pas trop ce que vous pourriez changer, c’est déjà parfait comme ça.
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