Lors du festival Intersections à Marseille, Madame Rap a rencontré la rappeuse lilloise Miyokard, qui nous a parlé de son collectif Queer Of Color Vibe, de ses convictions et de ses futurs projets.
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je suis Miyokard, je vais avoir 33 ans cette année. J’ai habité longtemps à Lille, c’est un peu devenu ma ville. En ce moment, je suis une formation de technicienne son et lumière.
A côté de ça, j’essaye de continuer à écrire. C’est mon activité principale et ça me plait bien donc je me concentre plutôt là-dessus pour l’instant.
Quelle est l’origine de ton nom « Miyokard » ?
C’est une référence au nord, à Lille. Ça vient de mon prénom, Mia. Quand on le dit avec un accent du nord ça fait « Miyo». Je trouvais ça marrant. À un moment donné, j’ai eu envie de trouver un blase et d’utiliser ce truc. J’ai pensé à « Miyokard » parce que « myocarde », c’est le muscle du cœur. Je trouvais que ça sonnait bien.
Quand et comment as-tu commencé à rapper ?
Je rappe depuis longtemps dans ma chambre. Le rap, c’est la musique que j’écoutais déjà petite. Je passais pas mal de temps à enregistrer des cassettes de radios, il y avait une émission qui passait de super sons. Ils ne disaient pas toujours le nom donc pour ne rien louper j’attendais impatiemment, j’étais prête avec ma cassette. Une fois que j’avais les cassettes, je les écoutais en boucle dans mon baladeur, je réécrivais les paroles et je m’entraînais à les rapper.
A la base, je kiffe plus la musicalité. Dans le rap, je m’accroche vachement au beat, alors le texte était secondaire. J’ai commencé vraiment à écrire quand je me suis mise à faire des instrus, à la MAO. Et comme je faisais des instrus, j’avais envie de poser dessus pour voir ce que ça pourrait donner.
Au début, tu écris pour toi sur la situation du monde, tu écris de la poésie, etc. Mais à un moment donné, il y a un trop-plein de ces écrits et tu as envie d’exprimer ça autrement. La musique, c’est quelque chose que je fais depuis jeune, j’ai commencé avec le piano. Amener le texte là-dessus, ça donne une autre dimension, ça fait du bien pour soi, c’est un peu thérapeutique.
L’année dernière, j’ai décidé de faire ça un peu plus sérieusement, d’une manière plus engagée aussi.
Te considères-tu comme rappeuse ?
J’aime bien dire que je me considère comme rappeuse parce que j’ai mon blase. Je pense qu’on a besoin d’un personnage pour mettre à distance qui l’on est, et être plus juste dans l’intensité qu’on fait passer, notamment sur scène.
Pourquoi penses-tu en être venue au rap ?
Je pense que c’est la densité du texte qui fait que je préfère ce médium-là. Dans le rap, tu écris, et en quantité. Quand on fait des chansons, pour moi ce qui compte, c’est plutôt les mélodies et comment on travaille la dimension instrumentale. Le texte vient surtout améliorer cette mélodie, donc les paroles sont un peu plus réduites et elles n’ont pas la même importance. Tandis que le rap, on balance du texte.
Aussi, pour moi le rap c’est une musique de revendication, comme des manifestes, mais version audio. Dans l’idée, ça mobilise la foule et ça peut la conduire à une prise de conscience et même à des actions. Le rap, je vois ça vraiment comme quelque chose qui met en mouvement. Dans ma manière d’aborder ce côté revendicatif, j’écris surtout sur mon rapport émotionnel à des situations politiques, des discriminations que je peux vivre, que la communauté dans laquelle je suis peut vivre.
Tu as fondé le collectif Queer Of Color Vibe, de quoi s’agit-il exactement ?
C’est un collectif qui date de l’année dernière. Nous avons monté le projet avec Neka Groove suite à des discussions que l’on avait eues sur la visibilité des personnes queer et racisées dans le milieu de la musique. L’idée, c’est de créer des espaces de rassemblement, des lieux et des moments pour pouvoir partager des galères, des expériences, penser nos relations avec des lieux de musique, apporter des solutions. Le projet, c’est à la fois de proposer des temps, comme des concerts, où les gens peuvent monter sur scène, avoir une rémunération et une visibilité, et aussi des moments de résidence en non-mixité queer racisée.
Une première soirée a eu lieu au printemps 2018 à Toulouse. Ensuite, on a voulu mettre en place d’autres événements et ça a été un peu galère. Finalement ça allait bien avec notre constat qui est qu’il est difficile de monter des projets comme celui-ci. Pour l’instant, on n’a pas pu proposer autre chose, aussi en raison de nos projets personnels.
Il y a plein d’autres personnes qui proposent des initiatives comme celles-ci. On ne fait pas les mêmes choses, mais c’est chouette qu’il y ait ces réseaux-là. C’est cet objectif que l’on défend avec Queer Of Color Vibe : essayer de créer une communauté, un réseau de personnes queer-racisées qui font de la musique ou de la technique.
Tu as participé au Festival Intersections. En quoi est-ce important pour toi d’évoluer dans des espaces en non-mixité, militants ?
Je pense que c’est une étape un peu incontournable si l’on a envie de pouvoir exprimer vraiment ce qu’on ressent et de pouvoir être soi-même. Tu as toujours besoin qu’il y ait des personnes qui te comprennent, qui ne te posent pas sans arrêt des questions, de ne pas avoir sans arrêt à t’expliquer. Être compris directement ça fait du bien. Je pense que ce sont des espaces essentiels dans la construction de soi, dans la valorisation et la confiance. C’est important pour moi de trouver un écho parmi le public, parce que lorsque j’écris, je m’adresse à un certain public. Il y a bien sûr plein de manières d’amener la chose et d’en parler avec d’autres publics qui ne sont pas concernés, mais moi ça m’importe qu’on se fasse du bien en premier lieu, et que je me fasse du bien à moi aussi !
Quels sont tes projets en ce moment ?
Pour l’instant, j’essaye d’enregistrer des textes que j’ai écrits l’année passée. Déjà, j’aimerais apprendre les techniques d’enregistrement et puis trouver le matos nécessaire pour enregistrer correctement. J’en suis là. Ça me plait bien et ça me donne envie de voir à quoi ça peut ressembler si je m’en donne les moyens.
J’ai aussi envie de faire des scènes, partager les trucs que j’ai écrits, avoir des retours. C’est ce qui me fait kiffer !
À l’avenir, j’aimerais bien continuer de travailler avec des personnes racisées, des personnes queer, des meufs, pour avoir quelque chose de continu dans mes différents projets.
Te définis-tu comme féministe ?
Oui, mais il plusieurs types de féminismes. Il y a beaucoup de gens qui se disent féministes avec lesquels je ne suis pas du tout d’accord. C’est toujours compliqué de demander duquel on parle. Et c’est aussi difficile de cocher des cases, de dire je suis telle féministe. Je pense qu’il faut faire attention avec le mot « féminisme », qu’on utilise un peu vite parfois. Pour moi, en tout cas, c’est plus complexe que « femmes et hommes égaux ».
Je crois que mes problématiques sont multiples. J’ai envie de m’intéresser à ce qui me concerne, à ce que je peux saisir, à ce que je peux comprendre.
Que penses-tu de Madame Rap ?
Je trouve ça super cool, parce qu’on peut découvrir plein de rappeuses et c’est chouette ! Il y a vraiment différents univers qui sont mis en avant, et tout est traité au même niveau. On avance toutes, tout le monde est là ! J’aime bien cette absence de hiérarchie, c’est un truc qui me plaît bien dans Madame Rap ; l’absence de hiérarchie tant au niveau connu/pas connu qu’au niveau national/international.
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Propos recueillis par Maëlis Delorme.