Active sur la scène hip hop depuis plus de 20 ans, Loréa officie d’abord avec le groupe 1 Bario 5 S’pry dans les années 1990 avant de se lancer en solo en 2007. Après une pause, elle s’oriente vers l’animation d’ateliers d’écriture rap et le coaching scénique. Aujourd’hui, la rappeuse lance RAPMAKERS, un dispositif complet de formations en ligne pour les rappeuses·eurs. L’occasion de présenter ce projet, revenir sur son parcours et parler rap et féminisme !
Comment et quand as-tu découvert la culture hip hop ?
J’ai découvert le hip hop en 1984, j’avais 6 ans. La même année, j’ai vu le film Break Street 84 qui raconte les prémices de la culture hip hop aux États-Unis, notamment au travers de la danse. Ce film m’a énormément parlée et marquée. Puis, j’ai rencontré un moniteur de colo qui m’a fait découvrir un album de Jungle Brothers. Cela a été un coup de foudre ! En revenant de colo, j’ai demandé à mon père de m’emmener à la médiathèque de Sarcelles (j’habitais dans le coin à l’époque), afin d’emprunter les albums de De La Soul et Monie Love dont on m’avait parlé. Je les ai écoutés en boucle.
Enfin, cette même année, est arrivée comme un ovni à la télévision, (tous les dimanche après-midi sur TF1 !!), l’émission H.I.P H.O.P de Sidney. On y voyait du graf, des DjJ, des danseurs et des rappeurs. J’ai tout de suite adhéré à cette culture ! Avec ma mère et ma sœur, on poussait la table du salon pour reproduire les pas de breakdance et pour s’essayer au rap ! Et là j’ai compris que mon avenir était là.
De plus, j’étais fascinée par la philosophie positive que le hip hop véhiculait, et Sidney faisait la promotion du « Peace, Love, Unity, and Havin’ fun » d’Afrika Bambaataa (Zulu Nation). J’appréciais particulièrement que l’on voit de jeunes Noirs talentueux et avec un esprit positif à la télé, moi qui connaissais le racisme dans le village où j’habitais, même en tant que métisse. Je rêvais de devenir Zulu à mon tour… (ce qui finit par arriver 30 ans plus tard !)
Tu as commencé le rap à l’âge de 15 ans. Quel a été le déclic ?
En fait, depuis mes 6 ans justement, j’écrivais pas mal de poèmes et de textes en prose. Puis, arrivée au collège vers 11-12 ans, j’ai monté mon premier groupe de rap avec un pote. Les « MMC » (Mini-Mc), c’était tout pourri mais on s’amusait bien !
Ce qui m’a donné envie de rapper, c’est justement le fait d’être tombée amoureuse du rap et de la culture hip hop en 1984, et que j’ai toujours eu envie d’en faire. J’en écoutais tout le temps autant français (des compils Rapattitude, à IAM, NTM en passant par Solaar ou Assassin) qu’américain (Pete Rock et CL Smooth, Gang Starr, Public Enemy, Big Daddy Kane …) Et puis il y avait ces toutes premières rappeuses, Queen Latifah, Monie Love ou encore B-Love, Lady Laistee pour les Françaises, qui me faisaient dire que les femmes aussi avaient entièrement leur place dans le rap, et cela m’encourageait énormément. Elles m’ont clairement donné de la force et montré la voie.
Est-ce que tu avais déjà envie d’en vivre ou est-ce que c’était plus un « hobby » ?
C’est plus tard, en arrivant au lycée, qu’un ami m’a présenté Séar, avec qui j’ai fait partie du groupe 1 Bario 5 S’pry. Quand l’aventure d’1 Bario a démarré, je devais avoir 15 ans. On n’a jamais pensé faire du rap pour de l’argent, à l’époque le rap n’était pas synonyme de « billets » comme aujourd’hui. Ce qui nous importait, c’était d’être talentueux dans notre art et de délivrer un message. Cette passion me prenait beaucoup de temps car je passais tous mes week-ends, ou mon temps après les cours, en répèt dans le garage de Séar à Sarcelles.
Que t’a apporté ton expérience avec 1 Bario 5 S’pry ?
L’aventure 1 Bario était exceptionnelle ! J’ai pu rencontrer mes idoles : Fabe, la Scred Connexion, K-Reen, DJ Cut Killer, Dj Logilo et bien d’autres artistes avec qui on a travaillé, fait des featurings et partagé des scènes, alors que je les écoutais en boucle chez moi ! Notre succès s’est fait assez rapidement ce qui nous galvanisait. On a appris beaucoup, que ce soit pour la scène ou en studio. On a appris à se professionnaliser tout en kiffant. C’était vraiment une très belle époque dont je garde de supers souvenirs.
Tu officies en solo depuis 2007 et mènes également différentes actions culturelles, dont du coaching d’artistes. Qu’est ce qui t’a donné envie de passer de l’autre côté de la scène ?
Après la séparation du groupe en 2000, j’ai attendu 3-4 ans avant de me remettre au rap. J’avais tellement donné que j’avais besoin de cette cassure. Cependant, on continuait à me solliciter de part et d’autre pour faire des feats, des morceaux, des scènes à droite à gauche. Et en 2004, j’ai fini par accepter une proposition. C’est cette année qu’est sorti mon titre Tant d’idées reçues en featuring avec le grand Yaniss Odua.
J’ai ensuite longuement travaillé pour me reconstituer un répertoire de morceaux, pour peaufiner mon écriture, mon flow, et me reconstituer une équipe (des beatmakers, un DJ, un backeur) et j’ai fait pas mal de scènes. Le travail avec cette équipe a été une véritable formation pour moi ! Tous ces artistes m’ont coachée, conseillée, accompagnée, donné des techniques pour l’écriture, le rappin’, le mental … Cela m’a rendu plus forte, alors j’ai entrepris de sortir plusieurs projets. Et j’ai commencé à travailler sur un maxi, puis sur mon album.
Pour financer mes projets, j’avais besoin d’argent, et on m’a proposé d’animer des ateliers écriture rap. J’ai été séduite par cette idée. C’était à la Maison du Hip Hop en 2008 et avec la directrice des lieux Nathalie Barraux, on s’est tout de suite adorées et on ne s’est plus jamais lâchées ! Les ateliers ont énormément de succès et j’y donne donc des cours toutes les semaines depuis 12 ans !
Depuis, j’ai fait des ateliers dans des dizaines d’endroits pour des structures différentes. Des assos, des foyers, des écoles, des structures jeunesses, des SMAC… Et enfin, ces dernières années, constatant que la transmission était l’endroit où je me sentais le mieux et avec l’enthousiasme et la reconnaissance de mon travail par mes élèves, j’ai décidé de me lancer pour développer franchement cette activité.
Aussi, les artistes amateurs que je suis me sollicitent de plus en plus pour du coaching individuel. Il y a 2 ans, j’ai repris des études dans le domaine de l’industrie du disque et du spectacle vivant, ce qui était très complémentaire avec mon expérience et mon activité. Je suis à présent diplômée et chargée de production en musiques actuelles.
En plus du coaching artistique que je propose, (écriture de textes coaching scénique et coaching studio), j’accompagne également les artistes dans le développement de leur projet musical et la professionnalisation.
Tu viens de lancer RAPMAKERS. En quoi consiste ce projet ?
Ces derniers temps, je commençais à être pas mal sollicitée pour faire des ateliers un peu partout en France et même jusqu’au Canada ! Mais depuis que je me suis retrouvée seule après le décès de mon compagnon et père de mon fils, il y a bientôt 3 ans, puis celui de ma mère, je suis peu mobile car j’élève mon fils seule. Je reçois également des messages de personnes qui sont en province et qui me disent souhaiter suivre mes cours, mais la distance est problématique.
Alors, j’ai réfléchi à un moyen de rendre accessible mes ateliers, ma méthodologie, ma pédagogie, pour tous, et avec la possibilité de suivre les cours d’où qu’on soit et à son rythme. C’est ainsi qu’est née l’idée de créer un programme de rap en ligne. De plus, les formations en ligne sont vraiment dans l’air du temps, personnellement j’en ai suivi pas mal sur des sujets différents et je trouve ça très qualitatif et très pratique.
La formation RAPMAKERS est donc une formation en ligne qui s’adresse à tous les artistes amateurs de rap qui veulent développer leurs compétences en écriture et en rappin’. Mais cette formation s’adresse aussi aux débutants. Sous forme de plus de 30 vidéos explicatives, j’y aborde les chapitres de :
- l’écriture : comment trouver l’inspi, trouver ses idées, développer son thème, structurer son texte ;
- les techniques de rimes : comment avoir des rimes percutantes, faire de bonnes punchlines (avec la participation du rappeur Sinik !!) ;
- la rythmique et les fondamentaux : apprendre à compter les temps et les mesures, comprendre le beat d’une instru, caler son texte avec le rythme ;
- le flow : comment trouver son style de flow, avoir des flows différents, créer des mélodies ;
- et le mental : travail sur la confiance en soi et le charisme.
L’avantage de cette formation est que l’on peut la suivre de n’importe où, à son rythme. Une fois achetée, le programme est disponible à vie. Il suffit d’un ordinateur ou d’un téléphone et d’une connexion internet. J’ai aussi rajouté plusieurs bonus comme des réductions pour enregistrer en studio ou pour acheter des instrus, grâce à mes partenaires RekYou et 10th records.
Tu es active sur la scène hip hop depuis plus de 20 ans. Quel regard portes-tu sur le rap actuel et notamment sur les rappeuses contemporaines ?
Le rap a énormément évolué depuis ses débuts. Et c’est bien normal car il grandit, s’adapte à une nouvelle génération, à de nouvelles problématiques, à de nouvelles façons de faire et de nouvelles technologies. Moi qui suis une grande amoureuse des textes bien écrits, avec de belles rimes et des messages, je ne cautionne pas tout ce que l’on entend aujourd’hui car je constate que la qualité des textes n’est plus celle de ma génération.
Cependant, le rap actuel est plus mélodique que celui des années 1990 et c’est une bonne chose. J’aime particulièrement les artistes qui parviennent à allier le fond et la forme et certains rappeurs actuels d’aujourd’hui comme Nekfeu, Spri noir ou des plus anciens comme comme Youssoupha ou Kery James s’adaptent très bien à notre époque. Quoi qu’il en soit dans mes ateliers et formations, on aborde la trap autant que le rap plus classique. Il y a également des rappeuses que j’adore comme Billie Brelok, Pumpkin ou la rookie Leys.
En tant que rappeuse, as-tu déjà souffert de sexisme dans et en dehors du mouvement hip hop ?
J’ai souffert du sexisme dans le sens où dès qu’on dit qu’on est une rappeuse, on sent parfois dans le regard de certains hommes que l’on fait du « sous-rap ». Mais dès que la démonstration est faite lors d’un freestyle ou autre, les regards changent vite ! Personnellement, hommes comme femmes reconnaissent mon rap comme étant qualitatif. Mais il est vrai que les filles dans un milieu majoritairement masculin ont souvent cette obligation de devoir prouver qu’elles sont à la hauteur.
Pourtant il n’y a pas de doute à avoir, les rappeuses déchirent au moins autant que les rappeurs, ce n’est pas un art où le genre devrait avoir son importance. Bien écrire et bien rapper a à voir avec le talent, le travail que l’on fournit et la passion qu’on y met. Mais je sais que certaines rappeuses sont « mal accueillies » par le public, majoritairement masculin, lors d’open mics. J’ai autant de rappeurs que de rappeuses dans mes ateliers et heureusement il n’y a jamais aucun sexisme.
Te définis-tu comme féministe ?
Quand j’avais entre 15 et 30 ans, j’étais très féministe. C’est peut-être aussi pour ça que j’ai choisi le rap comme moyen d ‘expression finalement. J’ai toujours été fascinée par les femmes qui excellaient dans des milieux dits « masculins ». L’égalité des sexes étant un sujet qui me tient à cœur.
Par la force des choses et la vie faisant son chemin, je suis moins revendicative et communicante sur le sujet car j’ai d’autres priorités, comme mon fils. Je m’efforce d’être une mère attentive et aimante en priorité surtout après tous les déboires que la vie nous a fait subir ces dernières années. Cela ne m’empêche pas de continuer à avoir des projets et de travailler dur, toujours et encore dans le rap et les musiques urbaines, puisque je suis à la fois artiste activiste et femme entrepreneure.
Quels sont tes projets avec RAPMAKERS et en solo ?
Je me suis mise quelque peu en retrait du côté de mes projets artistiques pour me consacrer à la transmission et au coaching. Je pense que ma place est plus ici aujourd’hui. Il est clair que l’âge y fait pour beaucoup, mais je suis aussi plus épanouie dans ce domaine.
J’ai tout de même sorti un nouveau titre récemment pour le projet du rappeur King Sirocco et je fais de la scène de temps à autre. J’ai quelques nouveaux morceaux que j’ai écrits pour le plaisir et que j’aimerais idéalement enregistrer en studio, mais je ne sais pas quand…
Toutefois, je suis à 300% dans mes ateliers et le coaching que je souhaite continuer à développer. Je vais travailler prochainement sur de nouvelles formations en ligne sur la professionnalisation des artistes qui souhaitent sortir un projet et monétiser leur art et même sur une formation de formateurs pour celles et ceux qui souhaitent animer des ateliers rap. Affaire à suivre…
Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?
Madame Rap est une initiative que je soutiens à 2000%. Elle donne force et courage à toutes les rappeuses, elle les met en valeur, les met en lumière, et c’est très soutenant ! Continuez ce que vous faites et ne changez rien ! Longue vie à Madame Rap !
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