Si Barcelone est réputée pour être l’un des spots européens du street art, la capitale catalane regorge aussi de nombreux talents dans le domaine du rap. Depuis la fin des années 2010, la ville de Gaudi voit émerger un nombre croissant de rappeuses, empruntant tant à l’électro, qu’à la trap, au reggaeton ou à la salsa. Au menu, des textes puissants, festifs, désabusés, féministes ou explicites qui n’ont rien à envier aux rappeurs les plus populaires.
Quelle place pour ces artistes sur la scène locale ? Le public est-il prêt à les accueillir ? Comment faire pour les rendre plus visibles ? Les rappeuses barcelonaises Cardden, Zeidah et Asma Ramirez nous apportent leurs réponses.
Née à Barcelone, Cardden a grandi dans un environnement musical, avec un père mélomane et une mère amatrice de musique romantique. Elle écrit ses premiers textes en 2015, à l’âge de 15 ans, encouragée par un ami de longue date qui fait du rap.
« J’écrivais pour me défouler. La nuit, je retranscrivais tout ce qui m’arrivait ou me passait par la tête. Mes paroles avaient toujours un sens, un message. J’ai alors commencé à chercher des prods sur YouTube, jusqu’au jour où nous avons nous écrit un titre ensemble avec mon ami et que nous l’avons enregistré chez lui. C’était ma première fois derrière le micro, je me souviens que j’étais très excitée et nerveuse. Je n’ai jamais cessé d’écrire depuis, c’est devenu une thérapie. »
Également barcelonaise de naissance, Zeidah a grandi dans le quartier de Pueblo Seco et vit dans la Sagrada Familia depuis quelques années. C’est à l’âge de 17 ans qu’elle découvre l’écriture et s’amuse à relater ses journées au lycée dans des textes.
« C’était en 2004 environ. J’ai fait quelques maquettes sur ordinateur et les ai données à mes amis de l’époque. Quelque temps après, j’ai donné mon premier concert dans une salle qui s’appelle ZooClub. »
En 2008, elle publie deux chansons sur sa page MySpace et sort en 2009 sa première démo enregistrée en studio, Verbal Justice, sur le site HHGroups.
En plus de dix ans, Zeidah a assisté à l’évolution de la scène barcelonaise, devenant plus variée et plus inclusive.
« Je me souviens que quand j’ai commencé, nous étions deux ou trois filles au maximum. Je sais qu’il y en a beaucoup plus aujourd’hui. Je suis ravie de voir des artistes qui rappent depuis très peu de temps et qui réussissent à se faire connaître grâce à leurs réseaux sociaux et leurs clips. »
Cardden observe également une présence accrue de rappeuses sur la scène barcelonaise.
« Les rappeuses deviennent incontournables. Je pense qu’il y a beaucoup de talents inconnus qui mériteraient d’être entendus, mais il y aussi beaucoup d’artistes qui débarquent et qui frappent fort. »
Asma Ramirez, rappeuse chilienne basée à Barcelone qui a commencé à rapper en 2000 « en faisant des street freestyles avec plusieurs rappeurs du quartier », se félicite de ce phénomène :
« il y a de bonnes rappeuses dans toute l’Espagne et à Barcelone, mais je pense que nous devons nous soutenir davantage entre nous. »
Pour Zeidah, cette absence de reconnaissance et de solidarité provient avant tout de l’industrie musicale. Elle déplore une situation qui évolue peu avec le temps :
« j’ai toujours ressenti très peu de soutien et de respect, ou du moins pas le même soutien et le même respect que l’on accorde aux rappeurs (beaucoup moins de rappeuses dans les festivals par exemple.) Actuellement, grâce à quelques femmes qui ont réussi à « viraliser » leur musique, davantage de rappeuses sont programmées. Néanmoins, c’est encore très inégal alors que le public, femmes comme hommes, réclame de plus en plus de rap fait par des femmes. »
Malgré ce constat, Cardden estime ne pas subir de discriminations sexistes de la part de son public.
« Ceux qui ressentent la musique ne la jugent pas. Globalement, l’accueil du public est fantastique, mais il y a toujours de tout. Ce sont généralement des proches, qui aiment interagir et partager avec nous, et des personnes ouvertes qui s’identifient à ce qu’on peut transmettre dans nos chansons.»
Contrairement à Cardden, Zeidah rapporte avoir parfois subi des discriminations sexistes au cours de sa carrière.
« Par exemple, quand je contacte des médias pour annoncer une sortie ou donner une info, ils m’ignorent mais relaient l’actualité de rappeurs hommes les jours suivants. Aussi, je reçois surtout des invitations de festivals ou d’événements féministes, mais reçois toujours peu ou pas de propositions de la part de festivals de rap ou de hip hop généralistes. Certains ingénieurs du son ou artistes ont également essayé de me rabaisser ou de me renier parce que je suis une femme. Enfin, de la part du public, il y a le classique : ‘tu es très douée pour une femme’. »
Selon Asma Ramirez, il existe encore beaucoup d’événements hip hop où le public est quasi exclusivement masculin. Même s’il serait nécessaire d’y inviter plus de femmes, elle considère que les blocages des rappeuses s’avèrent surtout psychologiques.
« Personnellement, je me suis toujours bien fait accepter de la part des hommes et j’ai toujours évolué dans un entourage très masculin. Ils me respectent et savent que je ne joue pas à des jeux. Les rappeuses ne font généralement pas attention aux rappeurs machos. Nous sommes des guerrières et nous pouvons tout affronter. »
Les trois rappeuses entretiennent des liens solides avec d’autres MCs barcelonaises et multiplient les collaborations. Cardden a notamment travaillé avec la rappeuse de 20 ans Kolde843, qu’elle considère « comme (sa) petite sœur », Zeidah avec son amie chanteuse Marga Mbande et Asma Ramirez avec la rappeuse Mackiu.
Zeidah et Asma Ramirez ont également toutes deux participé au cypher « Unity », qui réunit huit rappeuses et chanteuses basées dans la capitale catalane. « À Barcelone on se connaît toutes, on sait qui est qui, ou du moins celles qui sont plus actives », explique Asma Ramirez.
Pendant que Cardden travaille au lancement de sa propre marque de vêtements, elle se donne du temps pour réfléchir à l’orientation artistique qu’elle souhaite prendre dans sa musique :
« je veux continuer à m’améliorer et à collaborer avec de nouveaux artistes et découvrir de nouveaux lieux. Je veux m’ouvrir à de nouveaux genres, jouer avec la diversité des langues et des styles musicaux. Mais pour tout cela, je dois d’abord travailler sur moi, c’est un processus indispensable. »
Pour sa part, Zeidah collabore avec Vagina Prods, boîte de production composée exclusivement de femmes qui réalisent leurs propres clips et offrent la possibilité à d’autres artistes de fabriquer des vidéos ou d’organiser des événements.
« Je voudrais remercier les sites comme le vôtre pour votre travail, toujours nécessaire, en faveur des femmes qui rappent. »
À ce jour, Madame Rap répertorie 104 rappeuses en Espagne.
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