A l’occasion du festival Intersections, Madame Rap a rencontré la rappeuse K’s Khaldi La Madâme. L’artiste, originaire de Saint-Etienne, nous a parlé de militantisme, de son parcours dans le rap et de son projet d’EP.
D’où vient le nom « K’s Khaldi ? La Madâme » ?
Je m’appelle Lisa Sekhria, du coup si tu enlèves l’accent ça fait « Lisa s’écria ». Je fais le petit jeu de mot « Lisa s’écria, qu’est-ce qu’elle dit la madame ? ».
Mon blase est constitué de mon nom de famille, qui est d’origine algérienne, Khaldi et K’s pour cassos. Ça donne le jeu de mot « qu’est-ce qu’elle dit ». La Madâme, c’est « La » pour la note de musique, « Mad » pour la folie, et « Âme ». Je pose un point d’interrogation derrière La Madâme pour questionner le genre, et aussi pour contrer le phénomène de « miss » ou « mademoiselle ». Aujourd’hui, on est toutes des Madames, pas besoin d’identifier les femmes mariées et celles qui ne le sont pas.
Te considères-tu comme rappeuse ?
Je me considère comme rappeuse. Pour moi, le rap n’est pas une musique anodine, et si tu viens d’un certain milieu, tu ne peux pas passer à côté. J’ai l’impression que ce n’est pas nous qui choisissons le rap, c’est le rap qui nous choisit, plus ou moins.
Je pense qu’avant d’être des rappeur·se·s, on est d’abord des conteur·euse·s. J’ai toujours aimé raconter ou écrire des histoires et des poèmes. J’ai toujours entendu du rap aussi, et j’ai toujours aimé chanter. Je suis née dans la mixité et dans un environnement musical, d’ouvriers prolos immigrés ; on aime la musique, ça fait partie de notre culture.
Tu définis le rap comme une « auto-thérapie à usage collectif », qu’est-ce que cela signifie ?
Le rap pour moi, c’est une musique de revendication, de représentation, de prolo, une musique intersectionnelle, qui porte des messages forts, lourds et véridiques. À mon sens, le rap, c’est juste le reflet de la société, avec des mots crus.
Je pense que pour plein d’artistes, ça part des tripes. On est d’abord dans notre bulle. Il me semble que ça empêche beaucoup de monde de péter un câble en fait ! On vit, on entend, on subit, mais à qui on raconte ? Qui est là pour nous entendre, pour nous aider ? À part notre page blanche ? On est notre propre psychologue en quelque sorte, donc le rap c’est une auto-thérapie. Si tu as la chance de pouvoir retranscrire et partager ce que tu écris, et bien ça devient une auto-thérapie à usage collectif. C’est vraiment comme ça que je perçois le hip hop.
Tu tournes beaucoup dans des scènes en non-mixité choisie, militantes, queer, pourquoi est-ce important pour toi d’aller vers ce genre d’évènements ?
C’est important parce qu’on n’est pas visibilisé. Moi, je défends les minorités de genre, sociales, culturelles, et j’en fais partie. J’essaye d’être à ma place et de combattre les choses comme je peux. Ces espaces, c’est important parce que tu y es plus entendue.
Au quotidien, on est toujours dans la pédagogie. Je pense que si on fait des scènes comme ça c’est parce qu’ici, les gens savent de quoi on parle. Tout le monde n’a pas la force de s’atteler à faire de la pédagogie, moi je pense que je suis apte. D’ailleurs, je n’ai pas envie de toucher que le milieu queer ou militant. J’ai envie que mon militantisme et mes messages touchent tout le monde. Mais c’est quand même bien d’être sur une scène et de se sentir safe. Ces moments, c’est en accord avec ce que je vis, en accord avec le public, et avec ce que je revendique.
Qu’est ce qui t’a motivé à participer au festival Intersections ?
Tout d’abord, l’énergie de Waka et Paulo et les collaborations que j’ai eues avec elleux. Umoja, leur autre festival où iels m’ont programmé, était l’un de mes meilleurs concerts. Je me suis sentie écoutée, entendue par le public. J’ai trouvé ça vraiment très sincère, très beau ce qu’iels faisaient, ça m’a donné beaucoup de force. Waka et Paulo ont vraiment travaillé d’arrache-pied pour en arriver là ! Ce sont des gens qui me poussent à faire des choses et à croire en moi et ce sont vraiment des ami·e·s au-delà de tout ça.
D’une façon générale, pourquoi penses-tu qu’il y ait si peu de femmes visibles sur la scène rap en France ?
Comme d’habitude, les hommes ont plus de place et de force, ils sont plus en crew, tiennent plus les milieux des labels, comme tous les milieux de toute façon.
Je pense qu’on aura du mal tant qu’on ne se créera pas des espaces et des liens forts entre nous comme ils l’ont fait eux. C’est peut-être un peu triste à dire. Après, on n’est pas non plus contre les hommes et contre leur participation en tant qu’alliés. Il ne faut pas non plus recréer des cases. Il faut trouver le juste milieu.
Quand j’ai commencé le rap, je n’ai pas rappé avec des meufs. Il n’y en avait pas vraiment dans mon entourage. Les meufs ont moins de place dans la société en général, alors comment veux-tu prendre le mic si tu ne prends pas de place déjà dans ta vie ?
Te définis-tu comme féministe ?
Je me considère comme féministe oui c’est sûr, du féminisme racisé. Je soutiens grave l’afro-féminisme, et l’afro-futurisme même. Je me considère comme une artiste militante.
Aussi, de nombreuses femmes ne se disent pas ou ne se revendiquent pas féministes, mais pour moi, le simple fait d’être femme dans un monde patriarcal fait de nous des féministes avérées. Les premières féministes que j’ai connues, ce sont mes grands-mères, mères, tantes, voisines, cousines, amies. Elles n’employaient pas forcement le terme « féministe », mais elles l’étaient par leurs actions, leur existence, leurs combats, leurs sourires et leur beauté, dans un monde peu approprié qui leur laisse peu d’opportunités et de chances !
Peux tu me parler de l’association que tu es en train de créer ?
Je suis en train de créer une association d’actions sociales et culturelles. C’est encore un peu compliqué mais ça s’appelle Bruit2khalKhulture. Ce sera orienté sur le hip hop mais pas seulement, sur les minorités en général.
Quels sont tes projets musicaux en ce moment ?
Je vais bientôt tourner le clip de « DlaV ». J’aimerais trouver les bonnes personnes pour cliper le morceau.
Ensuite, j’aimerais faire mon EP. Il y a des gens qui m’ont réclamé un album, et moi aussi j’aimerais bien faire ça, quelque chose de qualité. Pour l’instant, j’attends d’arranger certaines instrus, voire même d’en faire des nouvelles. Ensuite, je vais lancer le financement participatif.
Je ne veux pas faire un album basique. Comme je peins beaucoup, et que je graffe aussi, j’aimerais collaborer avec plein de graffeuses, des artistes militantes, féministes et queer. En fonction de chaque texte, j’aimerais un visuel fait par une meuf qui se serait inspiré de mon texte. L’idée, c’est que ce soit un peu hybride.
D’une façon générale, j’ai envie de créer essentiellement des collaborations avec des meufs, des féministes, des personnes queer et racisées.
Que penses-tu de Madame Rap ?
Je trouve tip top d’avoir un média qui enfin relaye ces informations ! Je pense que ça ne peut être que bon. A mon avis, c’est en faisant des partenariats, en se visibilisant entre nous que l’on va prendre de la place. Se visibiliser entre eux, c’est ce qu’ils font les pélos depuis la nuit des temps.
Le travail de Madame Rap, le travail des festivals, des rappeuses, des gens qui sont en études dans le genre, tout ça, c’est grâce à ça qu’on va évoluer.
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Propos recueillis par Maëlis Delorme.