Madame Rap a rencontré la rappeuse parisienne Ryaam MC à La Maison du Hip Hop à Belleville pour parler de son parcours depuis son premier projet jusqu’à son dernier clip « La clible », de féminisme, d’islamophobie et des initiatives militantes qui fleurissent face aux différentes oppressions.
Quand et comment as-tu découvert le hip hop ? Et comment as-tu commencé à rapper ?
Quand j’étais jeune, j’ai été bercée par la new jack et le R&B, (SWV, Jodeci, Soul for Real), le rap français est venu après, vers l’âge de 11 ans parce que mes grandes sœurs et mes grands frères en écoutaient. J’adorais la Fonky Family, Lunatic et la Scred Connexion. J’écoutais aussi des rappeuses, comme Diam’s, Princess Aniès, Casey et Keny Arkana. J’ai toujours aimé écrire et j’ai commencé à écrire mes propres textes à l’âge de 15 ans. Dans mon quartier, j’avais une amie qui écrivait un peu et écoutait du rap du coup on se faisait lire nos textes. Au lycée, j’avais aussi deux amis qui rappaient et on faisait des trucs ensemble, mais on n’avait pas vraiment de projet, c’était à l’arrache.
En 2007, tu as lancé une compilation de rappeuses intitulée C’est notre heure. Pourquoi as-tu envie de lancer ce projet ?
C’était mon premier projet, à l’époque de Myspace, du coup c’était facile de contacter des gens d’autres pays. J’ai toujours aimé le rap international et j’avais envie de faire mon premier morceau avec d’autres meufs. La compilation comportait 15 titres avec des rappeuses d’Espagne, Italie, Belgique, Suisse, Mexique… C’était génial. On a fait des radios, quelques scènes et des vidéos.
Ensuite, tu as sorti ton premier projet solo A l’instinct en 2008…
Oui, on avait un studio à Poissy où on pouvait enregistrer gratuitement dans de bonnes conditions. J’ai vraiment eu d’abord une expérience studio avant de faire de la scène. Sur ce projet, j’ai fait un morceau qui s’appelle « Rétorik Urbaine » avec une vingtaine de MCs dont TSR Crew, Sopik, et Gaïden. Après, j’ai sorti One Mic #1, dont l’idée était de fédérer des gens de partout, comme sur C’est notre heure. Ce ne sont que des collaborations et des featurings et ça va du hip hop au reggae. Ensuite, j’ai sorti l’EP de cinq titres Mélomane en 2012, dont le titre « Crise de l’occident » est extrait.
Tu es membre du collectif Keskiya, qui regroupe une dizaine de rappeuses et de rappeurs. Qui a fondé ce collectif et en quoi consiste-t-il ?
Le collectif a été créé en 2014 et rassemblait des rappeurs et des rappeuses, dont certains se fréquentaient déjà. L’idée était d’allier notre engagement sur différentes luttes et notre passion pour le hip hop. Au fil du temps, ça a pris une autre forme. On a commencé à organiser des soirées avec des thématiques en lien avec l’actualité avec des concerts de potes à nous et des interventions.
La première soirée portait sur l’expulsion de La Cantine des Pyrénées. On les a invités dans un bar pour leur donner la parole et qu’ils expliquent leur situation. Les interventions avaient lieu au milieu du concert pour être sûrs que les gens soient là.
La deuxième soirée a eu lieu au Lycée Autogéré de Paris. Suite à la mort de Rémi Fraisse, nous avons décidés d’inviter Amal Bentousi du Collectif Urgence Notre Police Assassine afin de faire une intervention.
La troisième portait sur la Palestine et s’est déroulée à Nanterre, et la dernière était à L’Attiéké à Saint-Denis. C’était au moment de l’anniversaire de la mort de Malcolm X et on avait invité Saïd Bouamama. C’était vraiment cool d’avoir un moment d’échange entre le public et lui.
Aujourd’hui, le collectif n’existe plus trop, mais il reste encore quelques membres actifs. On essaie de monter une association pour pouvoir continuer à faire des soirées avec d’autres collectifs.
Nous faisons cette interview à La Maison du Hip Hop dans le quartier de Belleville à Paris. En quoi ce lieu est-il important pour toi ?
La Maison du Hip Hop est un lieu culturel à Belleville créé par l’association Paris Est Mouv, qui m’a permis de rencontrer des rappeurs/rappeuses dont certains ont fait partie du collectif Keskiya. La MDHH propose des activités gratuites autour de la culture hip hop, surtout le rap, la danse et des ateliers d’écriture, animés par Loréa, rappeuse de l’ancien groupe 1 Bario 5 S’pry. J’ai commencé à venir aux ateliers en 2010. J’avais déjà sorti trois projets mais les ateliers m’ont aidé à rapper devant un public, structurer mes textes et à faire l’expérience de la scène. La première scène que j’ai faite était la restitution de nos travaux de l’année à la salle Olympe de Gouges. Ça a été un déclic.
Es-tu en lien avec d’autres rappeuses ?
Oui, je suis en lien avec Chainyz et Krista qui m’ont accompagnée sur scène en tant backeuses à des périodes différentes, lorsque j’ai sorti One Mic # 2. C’était une belle expérience de jouer à leurs côtés. Aussi Billie Brelok avec qui j’ai partagé des scènes sur des concerts de soutien notamment et enfin Laeti, ex membre du collectif Keskiya, avec qui je continue à faire de la musique aujourd’hui. On a d’ailleurs quelques morceaux en préparation.
Tu as participé au Femcee Fest en 2013. Que retires-tu de cette expérience ?
Le fait de jouer au Femcee Fest m’a permis de rencontrer des rappeuses comme KT Gorique, Miss Terre et Drowning Dog, qui est aussi dans les milieux militants et qui m’a fait jouer en Allemagne il y a deux ans. C’est un festival incroyable que Do a lancé avec d’autres meufs de Saint-Etienne. C’est dommage qu’il ne soit pas plus mis en avant. En plus, c’est fait en auto-gestion, ce qui rend l’initiative encore plus grande. J’adore développer des connexions avec des artistes d’autres horizons.
Il y a deux mois, tu as sorti le clip « La cible », extrait de One Mic#2. Pourquoi le sortir maintenant ?
La cible est le deuxième clip extrait de mon projet One Mic#2, réédité en 2016. J’avais sorti 2 ans plus tôt « Gosses des villes » en featuring avec Chainyz & Irracible. J’avais une idée en tête que j’ai proposé a Leoks et Nathan, ils ont apporté les leurs, puis on a tourné le clip qu’ils ont réalisé entièrement. Le morceau traite de l’islamophobie, du racisme et des bavures policières.
Je n’avais pas envie de mettre en scène des gens en situation d’oppression vu tout ce que je dénonce dans le texte. J’ai voulu prendre le contrepied et montrer des gens qui luttent et s’organisent.
L’idée était d’aller à la rencontre d’associations et de collectifs locaux qui figurent dans le clip, tels que de La Cantine des Pyrénées, Glob’all, qui fait de l’éducation populaire par le sport auprès de jeunes de quartiers, ALCIR, association dans le 20e arrondissement de Paris qui lutte contre l’islamophobie et enfin de la librairie afro féministe Lis Thé Ratures qui a ouvert il y a peu de temps.
Je voulais mettre en lumière toutes ces initiatives sur Paris, et montrer que malgré tout ce qui passe et toutes les oppressions, il y a plein de gens qui font de choses. C’est une réelle force politique à soutenir. C’était très intéressant de rencontrer toutes ces structures.
Parmi les « cibles » que tu cites, tu parles des féministes voilées… Pourquoi penses-tu que les femmes voilées constituent une cible ?
Pour beaucoup de personnes, être voilée et féministe est une contradiction. Alors que c’est totalement faux. Il n’y a pas un féminisme universaliste qui dit comment les femmes doivent être. La plupart des femmes qui portent le voile, c’est par choix. Donc on peut être voilée et militer pour l’égalité entre les hommes et les femmes dans cette société. Pour moi, les femmes musulmanes sont les premières victimes de l’islamophobie. On l’a vu avec l’affaire du burkini, qui revient encore cette année, les agressions de femmes voilées et le mépris qu’on a envers elles. Les médias, les politiques ou autres personnalités, à travers ce qu’ils véhiculent dans leur discours, contribuent pleinement à la montée de l’islamophobie et d’autant plus envers les femmes voilées.
Te définis-tu comme féministe ? Pourquoi ?
Oui. J’ai commencé a m’intéresser au féminisme à travers le livre de Sylvia Serbin Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire. C’est un gros travail de recherche et de transmission qui nous montre que des femmes issues du continent africain ont marqué l’histoire. Il bouscule les représentations qu’on a des femmes africaines, c’est en ça où c’est un livre féministe je pense. S’en sont suivies d’autres lectures plus politiques qu’on m’a conseillées.
Je me suis rendue à quelques conférences sur l’afroféminisme dont une en présence de Lydie Dooh-Bunya, fondatrice du MODEFEN (Mouvement pour la défense des droits de la femme noire), que je ne connaissais pas et qui nous montre du coup que l’afroféminisme remonte déjà à quelques années en France. Le mouvement Nappy a permis à davantage de femmes noires d’avoir confiance en elles et il à été, pour certaines, une porte d’entrée sur l’afroféminisme.
La société patriarcale dans laquelle on vit conduit les gens a militer pour l’égalité hommes/femmes. Je ne milite pas activement mais je suis et respecte le travail de nombreux collectifs et associations (Femmes en Lutte 93, MWASI, ou encore Lallab) qui font bouger les lignes sur la question du féminisme en France.
Que t’inspire la situation politique actuelle ?
C’est de pire en pire. On l’a vu l’année dernière avec la répression des manifestations contre la Loi Travail. Et en même temps, on a vu de plus en plus de gens s’organiser. Maintenant, la répression ne touche plus que les personnes racisées, mais de simples militants. La différence, c’est qu’elles subissent cette répression uniquement pour ce qu’elles sont.
Qu’écoutes-tu en ce moment ?
J’écoute un rappeur qui s’appelle Reef, qui est signé sur le label Orfèvre de Espiiem, il est vraiment bon. J’écoute depuis un moment le TSR Crew, LaCraps, j’aime bien ce type de rap. Aussi October London, signé par Snoop, Little Simz… J’aime aussi beaucoup le grime et ce que font les Anglais, je trouve qu’ils apportent un truc différent. J’ai découvert le grime en 2008 avec la série musicale « Dublapte Drama » diffusée sur MTV Base. C’était en anglais, je ne comprenais pas grand-chose mais leur débit et le style du grime m’a poussé à m’intéresser à ce genre musical.
Quels sont tes projets à venir ?
Je bosse sur un EP et j’ai d’autres dates qui vont arriver.
Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?
C’est un super site. Il y a plein de meufs qui rappent mais qui ne sont pas forcément médiatisées et ça permet de les mettre en lumière. En tout cas, ça m’a fait découvrir des artistes que je ne connaissais pas.