Rencontre avec Milly Parkeur, rappeuse togolaise afroféministe de 20 ans, qui vient de sortir un titre pour dénoncer le problème des grossesses non désirées.
Quand et comment as-tu découvert le hip hop et qu’est ce qui t’a donné envie de te mettre à rapper ?
J’ai découvert le rap en 2002 avec la sortie de « Temps mort » de Booba. A l’époque, c’est mon grand frère qui l’écoutait en boucle ! Pour ce qui m’as donné envie de rapper Je ne saurais dire ce qui m’a donné envie de rapper parce que ce n’est pas parti d’une simple envie mais d’un appel, un peu comme les prêtres quoi ! Quand Dieu t’appelle, tu comprends qu’il est temps de le suivre. C’était pareil avec le rap ! Ce qui est chouette avec le rap, c’est que ça permet de s’exprimer, de jouer avec les mots, c’est de la poésie moderne !
Quelles sont tes modèles féminins dans le hip hop et tes sources d’inspiration ? Pourquoi ?
Je n’en ai pas tellement, vu que je n’écoute pas exclusivement du hip hop. Mais j’aime beaucoup Lauryn Hill. Dans un autre style, j’aime bien ce que fait Nicki Minaj et sa façon de s’affirmer.
Mes sources d’inspirations sont plutôt personnelles … D’abord moi, mon vécu (à 20 ans on pourrait bien en douter ! ), mon quotidien et surtout mon entourage ! Bref, j’écris sur la société dans laquelle je vis.
Tu viens de sortir le clip « Toi et moi contre le monde » qui parle du problème des grossesses non désirées. Pourquoi as-tu voulu aborder ce sujet ?
Malheureusement, le problème des grossesses précoces chez les jeunes filles, notamment à l’école, est assez répandu au Togo et une grossesse à 16 ans détruit la vie. Même dans le cas où la jeune fille garderait l’enfant avec le soutien de sa famille et de celle du père de l’enfant, elle serait obligée d’arrêter l’école pendant un an au minimum. Dans la plupart des cas, elles arrêtent l’école définitivement alors que les hommes poursuivent leurs études sans problèmes.
Au Togo, ce n’est pas comme en France l’avortement est interdit. Quand des jeunes filles désespérées décident d’avorter, elles font des mélanges de médicaments dangereux ou de « recettes » traditionnelles. Perdre ses jambes, comme je le dis dans la chanson, est peu probable, mais il n’est pas rare d’y perdre la vie tout court…
Il faut donc résoudre le problème avant qu’on en arrive à une grossesse. Les contraceptifs ne sont pas faciles d’accès ici (plutôt chers aussi), l’éducation sexuelle est assez limitée et de manière générale, les femmes ont du mal à imposer le préservatif.
C’est pour toutes ces raisons que j’ai voulu aborder ce sujet. Bien sûr, un titre ne peut pas tout changer, mais si en m’écoutant certaines jeunes filles décident de penser à elles en premier ou certains garçons réfléchissent aux conséquences de leurs actes, j’aurais déjà tout gagné !
Quels messages souhaites-tu véhiculer à travers ta musique ?
J’écris avant tout pour que les jeunes comme moi se reconnaissent dans mes textes. Je ne cherche pas à faire passer un message à chaque fois, tout dépend de « l’inspi ». La musique sert aussi à distraire. Donc je parle de mon vécu, de nos vécus, du vécu des gens qui m’entourent et si ça donne fait réfléchir quelques-un.e.s, tant mieux ! Sinon, l’important c’est qu’elles/ils « bougent la tête » en rythme !
A quoi ressemble la scène rap féminine au Togo ? Comment les rappeuses sont-elles perçues ?
En fait, l’expression « rap féminin » m’indispose assez. Elle montre bien à quoi ressemble la scène rap : les hommes font du rap et les femmes font du « rap féminin !
La scène rap est en pleine expansion chez nous avec l’avènement de nombreux rappeurs, hommes comme femmes. La difficulté c’est que ce qui marche en ce moment c’est la « trap », les bits qui font danser. Le public veut bouger ! Les rappeur/ses comme moi qui essayent de faire passer le texte avant tout cherchent l’équilibre entre le message et le « commercial ». Sinon il faut dire qu’au Togo, on n’a pas vraiment d’industrie musicale en tant que telle. Personnellement, j’ai la chance d’être soutenue par un petit label, Africa Real Music Industry, lancé par un réalisateur togolais (ETSE Edem Prudencio). Ici, on ne vend pas d’albums physiques et encore moins de vinyles ! Le seul moyen de se financer un peu est la scène, mais les cachets ne sont pas vraiment conséquents. Tout cela fait qu’on a du mal à espérer vivre de notre art. Et ce qui fait un peu le « buzz », c’est les paroles sexuellement explicites, la provoc…
Donc quand tu es une fille, il en faut bien « une ». A l’affiche de scènes qui réunissent une trentaine d’artistes, on compte les femmes sur les doigts de la main (pas seulement les rappeuses). Le rap reste considéré comme un domaine exclusivement masculin donc ce n’est pas facile de s’imposer, mais on se bat ! Je communique beaucoup sur le fait que le rap n’est pas forcément une musique de voyous. C’est la mauvaise réputation de ce style de musique qui empêche aussi les filles de se lancer. Après, j’entends souvent dire « Milly, elle rappe plus que « (nom d’un rappeur homme) ». Les rappeurs restent la référence.
Te définis-tu comme féministe ? Pourquoi ?
Oui ! Afroféministe ! Pour tout ce dont on parle depuis tout à l’heure, pour qu’un jour chaque petite fille africaine puisse avoir la chance de devenir qui elle veut dans la vie ! Je suis une femme, je suis africaine et j’en suis fière. Je ne vois pas pourquoi je devrais me limiter.
Qu’écoutes-tu en ce moment ? D’autres artistes togolaises à nous conseiller ?
J’écoute pas mal de choses, pas seulement du hip hop. Par exemple, le nouvel EP de Jok’air (« Big Daddy Jok »), Blacko puis j’adore le son de Vianney (« T’es pas là »), Julio Iglesias (« Je n’ai pas changé ») Miriam Makeba et Nat King Cole (« Unforgettable »). C’est ma playlist du moment !
En ce qui concerne les Togolaises on est peu nombreuses donc je peux vous citer toutes mes consoeurs : Chelsea, Myra, Aurly Shiaki, Flash Marley, Ayamey et Joëlle. Je crois que je n’ai oublié personne ! Mais au-delà des rappeuses j’apprécie vraiment Kézita qui fait du reggae et Adjoa Sika qui a une voix sublime !
Quels sont tes projets à venir ?
Je suis en studio et j’écris beaucoup. Je prépare la sortie d’un EP de huit titres. Je prends le temps de bien bosser, donc je ne peux pas vous donner la date pour le moment !
Que penses-tu de Madame Rap ? Qu’est ce qui devrait être changé ou amélioré ?
Alors je connais Madame Rap depuis peu de temps mais j’ai vraiment aimé l’initiative et l’espace de visibilité que ça donne aux rappeuses ! J’ai bien aimé l’article que vous avez écrit pour le 8 mars pour Cheek Magazine qui montre qu’on peut faire du rap sans être irrespectueux envers les femmes. Vous faites ce que j’essaye de faire à mon échelle, casser les clichés qui collent au hip hop. Mais surtout je voulais vous dire un grand merci de me laisser l’opportunité de m’y exprimer. Continuez de faire ce que vous faites et de nous dénicher même à des milliers de kilomètres !