Madame Rap a rencontré la rappeuse Lora Yeniche à Metz (Moselle), à une trentaine de minutes de son fief, Yutz. L’artiste nous a parlé de ses origines, de la place des femmes dans le rap et de son futur album en préparation.
Quand et comment as-tu commencé à rapper ?
J’ai commencé à rapper il y a deux ans. Avant, je chantais, j’aimais vraiment ça. J’ai écrit mon premier texte à l’âge de 11 ans, mais je me suis vraiment mise à l’écriture à l’âge de 16 ans. Un jour, j’ai rappé devant ma sœur pour rigoler. On était dans le salon, on mettait des instrus et je l’ai gentiment clashée sur son physique pour rigoler, et j’ai vu qu’elle kiffait ! Elle m’a dit : « Mais ça déchire, tu sais rapper ! » Je suis montée dans ma chambre, j’ai écrit un texte, et c’est là que j’ai vraiment commencé le rap.
Quels artistes écoutais-tu quand tu étais plus jeune ?
Diams’, Ministère AMER, la FF, IAM, la Scred Connexion. C’est vrai que je n’ai pas écouté beaucoup de rap américain parce que quand j’ai grandi, on avait déjà le rap français. On n’avait pas besoin d’aller écouter du rap américain pour trouver les flows, donc je n’ai pas eu cette curiosité. Mais j’ai écouté beaucoup de rap français à l’ancienne.
Et aujourd’hui ?
J’aime beaucoup Fianso, je trouve que c’est quelqu’un d’actif, qui envoie la pêche. Damso, pour son écriture. C’est vrai qu’il dit beaucoup de choses très crues, mais quand on va en profondeur et qu’on analyse l’écriture, ça tue.
En quoi tes origines messine et Yeniche influencent-elles ta musique ?
Je suis née ici, en Lorraine, dans le 57, à Metz. Il y a plein de choses à voir et à faire ici même si les gens disent souvent le contraire ! Du coup, c’est très important pour moi de représenter la Lorraine et surtout mes origines.
Le fait que je sois Yeniche est très important pour moi. Les gens ont beaucoup de sales préjugés sur les gens du voyage et les Yeniches. Il faut que je montre aussi qu’on est là, qu’on représente, et qu’on n’est pas plus bêtes que les autres. J’écris mes textes, j’ai été à l’école, j’ai un master, je fais du rap et je suis Yeniche. C’est ça que je veux crier aux gens.
Souvent, dans les reportages à la télé, on nous fait passer pour des arriérés du genre « la fille se marie à 16 ans, elle a arrêté l’école, elle ne fait rien, elle n’a pas le droit de bouger, elle fait le ménage… » Mais ce n’est pas vrai. C’est juste qu’on a nos valeurs et notre culture comme n’importe qui mais on évolue avec le monde.
Je n’ai jamais vécu en caravane, contrairement à mes grands-parents qui vivaient en Allemagne et sont venus en France à cause de la guerre. A cause des inondations, ils ne pouvaient plus rester dans leur caravane à chevaux et ils ont été mis en appartement. J’ai grandi avec des Noirs, des Blancs et des Arabes autour de moi, mais j’ai gardé ma culture et c’est ce que je suis. C’est pour ça que c’est important que ça ressorte.
Quels sont les préjugés anti-Yeniches que tu rencontres le plus souvent ?
Dans notre famille, toutes les femmes portent des boucles d’oreille depuis longtemps. Ce n’est pas parce que quelqu’un en porte qu’il est Yeniche mais ça fait partie de notre identité. Et ça se voit. Du coup, quand on va dans un magasin, on se fait tout le temps suivre, c’est horrible.
Alors qu’une fois, il y avait une dame très bien qui a bipé parce qu’elle avait volé une paire des chaussettes. Moi, si je suis à côté, on va me suivre, alors que j’ai des sous dans ma poche et que je n’ai pas besoin de voler. Tant que je ne crève pas de faim, je ne volerai pas. C’est ça les principaux préjugés, sur le vol.
Quand j’étais à l’école, personne ne croyait en moi parce que je venais d’une famille de ferrailleurs, mais au final j’ai mieux réussi que certains gosses de profs. J’en suis fière. Pour moi, c’est une victoire.
Qui sont tes rôles modèles féminins ?
J’adore Edith Piaf. J’aime l’artiste, mais surtout son histoire. Elle est partie de rien, elle était dans la rue et par son talent, elle s’est démerdée et est devenue une grande artiste. Les gens me jugent parce que je viens d’une famille Yeniche, mais justement c’est une force, de partir de là et d’arriver à dépasser les autres.
C’est ça qui rend fière. C’est trop facile de réussir et de faire entendre ta voix quand tu connais des gens, que tu as de l’argent et que tu claques ton oseille. Peut-être que si j’avais de l’argent, je ferais la même chose, mais je trouve que c’est tellement plus beau d’avoir des souvenirs de galères et à la fin d’avoir une victoire et de se dire « putain, je l’ai eue ». Je trouve que c’est beau.
D’après toi, pourquoi les rappeuses sont-elles si peu visibles dans les médias grand public ?
C’est un milieu d’hommes, il faut dire ce qui est. Je vois qu’il n’y a pas assez de soutien entre femmes. Les rappeurs entre eux se donnent la force ou s’invitent sur des titres, mais j’ai l’impression que les rappeuses ont peur de se retrouver à côté d’une autre rappeuse. Les rappeuses ne se serrent pas assez les coudes entre elles. Les rappeurs font des featuring ensemble, mais si demain je propose un feat à une fille, elle va refuser. Les filles sont trop en concurrence. Chacune a son talent et chacune a ce qu’elle mérite. Si l’une doit réussir, tant mieux pour elle. Si on se serrait les coudes, on nous entendrait.
Quels conseils donnerais-tu à de jeunes rappeuses ?
Il faut se lancer, aller vers les gens et se dire que si on te dit « non », ce n’est pas une barrière. Il faut continuer et ne jamais lâcher parce que ça ne se fait pas du jour au lendemain.
C’est en postant le freestyle « L’apocalypse » sur Facebook que tu t’es fait repérer par Pierre Mafoi, l’ancien manager de Youssoupha…
Je l’ai écrit à l’arrache. J’ai mis une instru, je n’avais même pas prévu de l’écrire et je n’y avais même pas réfléchi. J’ai enfilé un jogging, je ne me suis même pas coiffée, je me suis mise devant un stade, j’ai allumé les phares de ma voiture et j’ai demandé à une copine de venir me filmer. C’est comme ça que Pierre m’a contactée et que je l’ai rencontré. Il ne faut jamais lâcher de toute façon, si le destin veut que tu réussisses, tu réussiras.
Te définis-tu comme féministe ? Pourquoi ?
Je ne me dis pas féministe, je ne suis pas trop dans ce mouvement. Mais je suis très contente quand une femme s’en sort. En faisant du rap, je me positionne quand même. Mais je ne trouve pas que ce soit féministe, je trouve ça juste normal. Je ne me sens pas oppressée par les hommes, je me sens bien et je me sens à l’aise. Mais c’est peut-être parce que je n’ai pas eu à faire à des discriminations que je tiens ce discours. On a les mêmes droits, mais je reste une femme et un homme reste un homme.
Quels sont tes projets à venir ?
Je suis sur un projet d’album avec de gros titres déjà enregistrés. J’essaie de me faire connaître via de petites scènes et les réseaux sociaux. Je travaille sur l’image et j’avance comme ça petit à petit, lentement mais sûrement, ça ne sert à rien de se presser.
Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?
Je trouve que c’est super. Ça a bien évolué depuis le début et ça commence à faire parler. En plus, c’est à l’international. Ce qui est bien c’est que vous allez vers les petites rappeuses comme moi et pas seulement les têtes d’affiches les plus connues. Vous nous permettez de nous exprimer et je trouve ça très bien.
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© Dist de Kaerth