Tu animes planète rap depuis près de vingt ans. Combien de rappeuses as-tu reçu dans ton émission ?
En fait, très peu. Il y a eu évidemment Diam’s, qui a tout révolutionné. J’ai envie de dire que c’est la meilleure des rappeurs. Après, plus récemment, il y a eu des gens comme Sianna ou Ladea qui sont passées, mais c’est vrai que si tu fais le ratio mecs nanas, il est assez limité.
Tu as réalisé et produit deux documentaires sur Diam’s. Pourquoi t’inspire-t-elle autant ?
J’ai une relation très particulière avec elle parce qu’on s’est connu il y a longtemps et elle m’a fait confiance donc j’ai pu la suivre pendant l’enregistrement de « Dans ma bulle ». Diam’s, j’ai toujours senti le fait qu’elle avait envie de battre tout le monde, il y avait un esprit compétitif très acharné chez elle. J’aimerais bien la voir rapper encore, lire ses textes, l’écouter, mais elle a choisi une vie où elle se sent mieux, c’est son choix et je respecte ce choix.
Quelles sont tes rappeuses préférées ?
Il y avait Saliha, Sté, que j’aimais beaucoup et qui était incroyable, Lady Laistee qui est quelqu’un que j’aime beaucoup aussi. Sianna est quelqu’un d’important, j’espère qu’elle va percer vraiment avec de beaux albums et de beaux titres. Je guette aussi une nana qui vient du Nord qui s’appelle Emma (Emotrip Records).
Tu travailles souvent avec des femmes (Sarah Lelouch, Audrey Chauveau ou Aline Afanoukoé). Hasard de la vie ou choix délibéré ?
Ce n’est ni un choix, ni un le hasard de la vie. Tu sais, c’est comme les religions ou les cultures. Peu importe, ta couleur, ta religion, ou le fait que tu sois une meuf ou un mec, c’est les personnes qui comptent. Ce qu’elles peuvent nous apporter, ce qu’on peut faire ensemble qui va faire qu’à un moment on va pouvoir avancer sur des choses. C’est ça pour moi le plus important.
Selon toi, pourquoi voit-on aussi peu de rappeuses dans les médias en France ?
La réalité, dans le milieu du rap, c’est que tu as quand même très peu de nanas qui percent parce que tu as aussi très peu de nanans qui rappent. C’est comme la boxe. La boxe c’est quand même un sport très masculin, il y a des nanas qui boxent mais il y en a quand même très peu. Le rap c’est pareil.
Je pense qu’il y a aussi peut-être, c’est mon avis et ma déduction, des filles qui se disent « bon on arrive dans un milieu qui est très masculin donc comment faire pour se démarquer ? Comment faire pour un moment pour être différente ou différent des autres ? » Mais il faut essayer de les pousser si elles ont du talent.
En quoi la situation est-elle différente aux Etats-Unis ?
En France, c’est différent. Aux Etats-Unis, tu as des Missy Elliott ou des Da Brat et quand tu vois les textes de ses filles, je pense qu’en France on n’est pas arrivé à ce niveau. Peut-être que c’est tant mieux d’ailleurs, sur la façon de parler de la condition féminine et de le raconter dans des textes. On n’a pas ça en France, parce que la culture est différente, l’écriture est différente. Peut-être aussi que les filles se disent « je préfère chanter, ou je préfère d’ailleurs ne pas exister en tant qu’artiste ». C’est un milieu qui est dur et compliqué. En tout cas les filles vous avez toute votre place, venez, on vous attend !
Le hip hop est perçu comme sexiste et homophobe. Qu’en penses-tu ?
Evidemment. Le rap est quand même un courant et un reflet de notre société, alors pourquoi est-ce qu’à un moment il n’y a pas autant de filles qui rappent ? Et pourquoi en politique il n’y a pas ça aussi ? Combien il y a de filles dans l’hémicycle ? (27% de femmes à l’Assemblée nationale) Vraiment ? Je pense qu’il y a un vrai problème aussi là-dessus. Il y a un problème de représentativité du sexe féminin dans la société en général. Pourquoi les filles gagnent moins que les mecs ? Ce sont de vraies questions.
Que faudrait-il faire pour changer ça ?
Il y a cinquante ou soixante ans, les femmes ne votaient pas ici en France (les femmes ont eu le droit de vote en 1944). Donc ça va se faire naturellement, il faut peut-être encore une ou deux générations et petit à petit ça se mettra en place. Je juge vraiment sur le talent, dans la partie que je connais, qui est le rap et la musique. Peu importe que tu sois un mec ou une nana, si tu as du talent, tu perceras.
Un conseil à donner aux jeunes rappeuses ?
Foncez les filles, foncez ! N’ayez pas peur. Même s’il y a beaucoup de mecs, vous pouvez les détrôner.
Retrouvez Fred Musa sur Twitter et sur Skyrock entre 9h et midi et sur Planete Rap entre 20h et 21h.