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Billie Brelok : « J’essaye de fabriquer féministe »

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Madame Rap a rencontré Billie Brelok lors de la sortie du premier volet de son nouvel EP « Gare de l’Ouest ». L’occasion de parler avec la rappeuse de Nanterre de ses nouvelles collaborations, de son statut d’artiste indépendante, de colonialisme et de féminisme. 

Quand et comment as-tu découvert le hip hop ? 

Je me suis mise à écouter du rap presque indépendamment de ma volonté. C’est une histoire d’époque et d’endroit. Quand je suis arrivée au collège, le rap passait à la radio, il y avait des clips à la télé, c’est ce qu’on chantait tous dans la cour de récré. Je crois que le premier disque de rap français que j’ai eu est « Les Tentations » de Passi. C’est une espèce de bande-son de mon collège. Je trouve qu’à l’époque il y avait pas mal de bon rap commercial. Je ne dis pas ça dans le sens où aujourd’hui le rap commercial serait mauvais, juste je connais moins le rap commercial d’aujourd’hui.

Comment as-tu commencé à rapper ?

Nanterre est une ville où il y a toujours eu du rap. A chaque fois qu’il y avait une fête de la musique ou une fête de quartier, il y avait tout le temps des rappeurs du coin. Ce rap que j’appelle « rap proximal » est concret et je crois que c’est ça qui donne envie de rapper. En plus de ça, vers le lycée, j’ai rencontré la FATSK (Fatskool), une équipe de graffeurs qui faisaient aussi du rap, même si aujourd’hui ils sont essentiellement actifs dans le graffiti et la peinture. Je passais des soirées avec des potes qui étaient tout le temps en train de rapper, du coup ça m’a aussi donné envie.

Il y avait des rappeuses aussi ?

Je me souviens qu’il y avait deux filles dans une équipe qui s’appelait Recta Music à Nanterre, Une qui s’appelait Iklam et l’autre Dounia, elles n’avaient rien à envier aux autres kickeurs et je me souviens que leurs prise de mic étaient fortement saluées.

La Vipère vient aussi de vers chez nous. On ne va pas se mentir, la proposition était largement masculine, mais ce n’était pas le désert non plus.  

Tu viens de sortir le premier volet du double EP « Gare de l’Ouest ».  Pourquoi avoir eu envie de sortir ce projet en deux temps ?

Pour prendre le temps justement. Pouvoir gagner un peu d’argent avec le premier va m’aider à finir le deuxième. Comme je suis complètement dans l’indé, ça prend du temps. Je ne savais pas vraiment quel format allait prendre ce projet. Ce n’était pas réfléchi comme un album, c’est juste un regroupement de morceaux et d’envies textuelles ou de collaborations. En deux wagons ça me semblait pas mal. Du coup, tout va tellement vite aujourd’hui, quand tu sors 8 titres, c’est oublié en deux jours donc si tu en sors 25, tu es encore plus déprimé. Je préfère prendre le temps, laisser une chance aux morceaux d’exister et de circuler, et voir si les gens arrivent à tomber dessus.

Avec qui as-tu travaillé sur cet EP ? 

Avec Didaï, encore et toujours, avec qui j’avais travaillé sur le premier projet. Je travaille aussi avec un DJ qui s’appelle High C. Contrairement au premier projet, on a intégré la guitare (Dan Amozig) et la basse (Gaye Sidibé) dans la création et c’était cool pour moi de voir le processus d’enregistrement avec des musiciens. Sinon, j’avais super envie de tafer avec Crown et Gemo DGZ. Crown est un beatmaker qu’on ne présente plus, du collectif Grim Reaperz, c’est un pote qui m’a fait découvrir Crown, on a fait pas mal d’aprèm à kicker ses prods, donc grand plaisir de pouvoir collaborer avec lui . Gemo est un mec du coin de chez moi aussi, archi polyvalent, qui fait du graffiti, de la musique, c’est un multi-coutellier de l’underground, Guillaume Dekerle est le tout premier DJ avec qui j’ai travaillé sur scène. On a bossé sur ce morceau il y a super longtemps, et on a fini par l’achever.

Et côté visuel c’est Fériel Naoura qui a réalisé la cover avec les contributions de luxe des graffeurs/muralistes Poné, La Main Gauche et JoBer dans l’habillage.

Être en indé, c’est choisi ou subi ? 

J’ai cherché à travailler avec des partenaires sur ce projet, mais on dirait qu’un label veut avant tout s’assurer qu’il ne met pas d’argent pour rien. Les gens que j’ai rencontrés dans un premier temps m’ont quasiment exclusivement parlé de followers. J’avais l’impression que le contenu artistique était plutôt très secondaire. Mais pour l’instant, je suis contente de la collab avec iM, le label digital suisse chez qui on vient de sortir le volet 1 de Gare de l’Ouest. Ils ont été hyper réactifs et très encourageants sur le projet, du coup je sors les deux volets chez eux.

J’ai recommencé une collaboration avec une structure de booking, Well Done Productions. On est en train de remonter une petite tournée autour du nouveau projet. Parce que moi ce qui m’intéresse le plus, ce sont les concerts. Ce qui me fait le plus kiffer, c’est la scène.

Ton dernier projet « L’embarras du choix » est sorti en 2014. Que s’est-il passé pour toi durant ces quatre années ?   

On a fait beaucoup de concerts après. Il y a eu le coup de pouce du Printemps de Bourges qui a permis de mettre en avant le projet. On a eu la chance de tourner en France, un peu en Europe et même en Amérique Latine. Ce qui était super cool. Après ça, je me suis mise à fabriquer la suite. Je suis assez lente dans la création, je prends vraiment le temps. Parallèlement à ça, j’ai fait des ateliers d’écriture, et quelques jobs pour l’intermittence. J’étais un peu en vadrouille aussi, et j’ai pris du temps avec mi gente.

Comment écris-tu ? As-tu des rituels ou des techniques particulières ?

Je n’ai aucune recette. Ça peut être une prod qui me lance sur une thématique, un sujet sur lequel j’ai envie d’écrire depuis longtemps… Ce qui est sûr, c’est que je tire au maximum sur la corde du temps, comme un élastique, le plus possible, et que ça finit souvent par se régler dans l’urgence. En fait j’ai besoin de me repasser mes textes plusieurs fois pour être sûre que c’est bien comme ça que je voulais dire ça. Si je doute, ma mémoire refuse d’imprimer.

Dans le titre « Plaisance », tu évoques les touristes colonialistes qui consomment les pays qu’ils visitent et perpétuent une forme d’appropriation culturelle. Pourquoi as-tu eu envie d’aborder cette question ?  

Le deuxième couplet est complètement vrai. J’ai eu l’occasion d’aller en Thaïlande. On m’avait dit que les gens avaient un sens incroyable de l’accueil et c’est vrai, mais parfois, souvent même, « le paradis trône assis sur l’enfer ». Je suis d’origine péruvienne et le Pérou est aussi un pays qui déclenche toute une fascination exotique autour de la question du tourisme. Ça crée in situ des conséquences qui mettent en relief les inégalités entre touristes et Péruviens.

Par exemple, il y a tout un tas de sites archéologiques qui sont plus connus des étrangers que des Péruviens eux-mêmes. Des sites historiques ou naturels, dont l’existence est plus que menacée, voir déjà condamnée, sous le poids du tourisme de masse, alors que la priorité est que tous les Péruviens puissent avoir accès à leurs histoires et géographies, et qu’il y a de nombreux efforts de lutte et de résistance pour ça. Ma double culture fait que je me suis déjà retrouvé du côté du touriste, et c’est très malaisant. Tout comme quand je tombe sur des pièces archéologiques de Pachacamac dans la collection permanente du musée du Quai Branly, alors que Pachacamac a son musée. Et que j’aimerais bien savoir quel bracelet de Clovis ou quelle céramique la France a cédé aux musées nationaux de Lima ou de Cuzco ?

Selon moi, il y a dans la façon de regarder le monde et de voyager aujourd’hui des mécanismes trop proches de nos antécédents coloniaux (même si dire cette phrase est bien schizophrénique pour certains d’entre nous). Comme si le monde demeurait un grand terrain de jeux, une galerie de papillons, un arboretum des curiosités.  Ça explicite qu’on n’a pas les mêmes choix.  Je trouve que la question de la colonisation n’est pas claire encore en France. Il faut trouver tous les moyens pour qu’on en parle plus.

Hors du milieu hip hop, quels sont les clichés sexistes que l’on te renvoie le plus souvent en tant que rappeuse ?    

Je crois que c’est très difficile de traverser cette vie sans être victime de sexisme. En tout cas, j’espère que celles qui y échappent ont conscience qu’elles sont l’exception qui confirme la règle. Et je ne suis pas cette exception.

En tant que rappeuse, ce sont des clichés du style « ah bon, tu es rappeuse ? Il n’y en a pas beaucoup« , ou alors « tu rappes bien pour une fille« . En plus quand c’est une meuf qui te le dit, c’est chaud ! Mais c’est plus touriste que sexiste, ça ne gagne pas mon moral. J’essaie de trouver comment ne pas me retrouver confrontée à ces réflexions-là.

De la part des journalistes, je constate une méconnaissance abyssale. Et sereinement en plus. Ça m’est arrivé d’avoir des interviews où je sentais qu’on cherchait une ambassadrice d’un discours qui n’était pas le mien, pas celui de mes références, et où esquiver ça relevait de décevoir l’interviewer(euse).

Qui sont les femmes qui t’ont inspirée ? (dans la musique ou autre…)

Je suis nulle en name dropping en général. Et je pense qu’on est plus le fruit d’une foule que de quelques têtes. Mais je dirais que cette question me fait penser aux femmes de la vraie vie, dans la mienne c’est Margnia, Mimouna, Laura, Rosa, Lolita y Luzecita, et plein d’autres, de la mono, aux tantes, aux grandes sœurs de tes copines… tous ces ruisseaux qui font le fleuve que tu deviens.

Mais sinon je pourrais citer Mercedes Sosa, Lucha Reyes, Lauryn Hill ou Casey, et au fond à leur façon Scully, Cléôpatre, ou Christine Aaron et tellement d’autres, qui donnent toutes à voir comment ça peut aussi se passer.

Te définis-tu comme féministe ? 

 Je pense qu’on est plus ce qu’on fait que ce qu’on dit. Donc j’essaye de « faire » et d’avancer féministe, de fabriquer féministe. Tu peux dire que tu es féministe, mais depuis le petit pixel de ton existence, ce n’est pas facile de refuser tous les rapports de domination. On va dire que j’aspire à pouvoir mériter le titre. Je vois ça comme une course de fond. J’essaie de ne pas malmener le mot, parce qu’il l’est déjà beaucoup.

Je trouve ça bien quand le féminisme est pluriel. Il y a des féminismes desquels je me sens proche et sympathisante et d’autres avec lesquels je ne roulerai jamais. Je ne les destitue pas de se dire féministes pour autant. Pour moi, la diversité des féminismes est déjà une avancée pour la considération des femmes dans la société, la possibilité d’être multiples, d’être en désaccord contribue à rompre l’idée d’une définition unique du féminin. Et il existe parmi cette multitude d’options, des courants auxquels je m’oppose frontalement.

Avec toutes les années d’arabophobie et d’islamophobie qu’on se mange en France, je trouve qu’il y a eu des usages très critiquables d’un certain féminisme qui parle des femmes musulmanes comme une espèce de dernière marche de la liberté et de l’indépendance. Je me souviens qu’on a beaucoup exigé des musulmanes et musulmans de se distinguer, haut et fort, de ci, de ça… Pas tellement aux féministes. Je suis donc une féministe qui se distingue et condamne sans détour cette attitude raciste et ce féminisme opportuniste.

Je n’aime pas du tout le féminisme quand il donne des leçons et qu’il exclut certaines femmes de son combat. Moi, on m’a transmis l’idée qui dit qu’un coup porté à une femme, c’est un coup porté à toutes les autres. J’ai l’impression que le féminisme est comme un cadeau que ma mère m’a offert, je crois que c’est pour ça que je suis aussi très précautionneuse avec ça.

Quels sont tes projets à venir ? 

J’ai quelques dates prévues à la rentrée entre autre à Nantes le 2 septembre, Nanterre, Annonay et une release party à Paris fin novembre pour la sortie du double EP, et d’autres dates à venir, et quelques ateliers aussi qui se mettent en place.

Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ? 

Sans aucun dénigrement, ça me donne l’impression qu’une journaliste parle aux journalistes et que ça permet une traduction pour des gens qui n’ont aucune accessibilité à ce milieu-là. Ça, je trouve que c’est utile et positif pour toutes les rappeuses et les rappeurs en général. Après, je ne consulte pas assez et je devrais le faire davantage parce que ça m’arrive qu’on me parle de rappeuses qu’on a pu écouter ou découvrir sur Madame Rap.

Retrouvez Billie Brelok sur Facebook et Bandcamp

© Reda Dare

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