Un an après l’EP Les Mains Bleues, Illustre sort le clip Vautour, extrait de son premier album prévu pour septembre prochain. La rappeuse clermontoise nous parle de ce projet, d’identité de genre et de sa nouvelle manière de travailler.
Nous t’avons rencontrée pour la première fois en 2018. Que s’est-il passé pour toi depuis ?
J’ai rencontré les premières personnes qui m’ont encadrée, Yacé (manager/booker) et Lowerz (DJ). Ce début d’année est décisif car je viens de signer avec le label indépendant X-Ray.
Comment définirais-tu la musique que tu fais aujourd’hui ?
Il y a vraiment deux facettes de ma musique, à la fois émotionnelle et poétique, elle peut aussi se définir virulente à tenter un rap ego-trip, voir engagé, incisif et ferme dans les valeurs que je défends.
Je crois que cela représente vraiment deux côtés de ma personnalité, il y a une sorte de complémentarité, une dualité permanente dans mon propre sujet à être.
Ton premier album ILLE sortira en septembre prochain. Que signifie ce titre ILLE ?
ILLE est un pronom utilisé pour définir la non-binarité. Dans ce premier album, il était important pour moi de marquer une césure avec mon projet précédent. Je souhaite arriver avec un univers musical qui me ressemble et dont les thématiques me correspondent. L’identité de genre en fait partie, c’est encore très peu évoqué dans la musique, et encore moins dans le rap français actuel. J’espère arriver à toucher une partie de ma génération en restant fidèle et au plus proche de ce que je suis.
Que peux-tu nous dire sur ce projet ? À quoi devons-nous nous attendre ?
J’ai envie d’émaner une nouvelle énergie, de transmettre un vrai message. J’ai beaucoup réfléchi à ce que je voulais donner, en sachant que ce projet allait représenter quelque chose d’important, et qu’il aurait un impact réel vis-à-vis des moyens que l’on met en place. En cela, j’ai préféré répondre avec un processus de création plus contrôlé. Je pense long terme, pour créer une œuvre globale. Ce projet sera la première pierre de l’édifice. J’ai cherché à étendre mes capacités en sortant de ma zone de confort pour expérimenter de nouvelles choses, et je crois en cette nouvelle identité.
Tu sembles être autant à l’aise sur des prods « old school » que des sonorités plus actuelles. Comment travailles-tu ton flow ?
J’apprends beaucoup en écoutant les autres. Notamment du rap en langue étrangère pour analyser la forme et ne plus me concentrer uniquement sur le fond. Je teste plusieurs choses, je réécris. Je laisse quelques jours passer, j’envoie mes maquettes, mon équipe me fait des retours, je retravaille dessus. Je choisis une personne pour chaque chose que je veux apprendre. Pour cet album, mon manager m’a fait rencontrer quelqu’un pour comprendre et améliorer le groove. J’ai aussi commencé à prendre des cours avec un professeur de chant. J’essaye de travailler avec d’autres artistes, de voir des concerts, j’alimente constamment mon cerveau par des connaissances que je juge utile pour l’évolution de mon projet. Je ne me mets jamais de barrières. Quand je veux faire quelque chose et que je n’y arrive pas la première fois, je ne baisse pas le niveau de difficulté, mais je travaille plus. C’est un état d’esprit.
Comment écris-tu tes morceaux ? Est-ce que tu as des techniques ou des rituels particuliers ?
Il y a plusieurs étapes à la création. Dans un premier temps, je reçois la prod et je vois si j’ai un bon feeling avec. Si c’est le cas, je commence à faire une top line, du yaourt pour jauger le potentiel. Ensuite je peux commencer à écrire. Maintenant j’ai tendance à commencer par le refrain pour qu’il y ait un thème/une ambiance globale et pour ne pas m’éparpiller partout, car j’ai encore du mal à canaliser toutes mes pensées. J’ai beaucoup d’imagination, d’idées, et il m’est parfois difficile d’arriver à tout structurer, mais ça vient petit à petit.
Je fais des vocalises, des exercices de souffle et d’articulation. Tous les jours, je lis mes objectifs, je me suis fait un mantra. Je me conditionne pour aller là où j’ai envie, c’est un peu comme une quête de sens, cheminer vers ce qui nous est de plus essentiel et mettre tout son possible pour atteindre ses objectifs. Cette année, j’ai beaucoup été portée par le développement personnel.
Les rappeuses semblent de plus en plus visibles sur la scène hip hop française. As-tu cette impression également ? Si oui, qu’est-ce que cela t’inspire ?
Oui, je remarque qu’il y a de plus en plus de figures féminines dans le rap, je constate qu’il y a aussi plus de médias, comme les pages Instagram de freestyles dans lesquelles les filles peuvent s’identifier. Il y a également des groupes/ateliers créés spécialement pour mettre en valeur et mettre à profit les qualités d’expression de chacune d’entre elles. Je trouve qu’il y a un élan très positif et que les choses arrivent avec le temps. J’imagine qu’il va y avoir une vague de filles dans le milieu hip hop, comme aux États-Unis, et qu’une fois qu’il y aura cet effet de masse, on n’aura plus à défendre le genre à travers notre art.
Te définis-tu comme féministe ? Si oui, comment définirais-tu ton propre féminisme ?
Je me considère féministe. Je pense qu’il n’y a rien à dire de plus que le fait qu’un genre n’a pas à définir une position. Je souhaite le respect pour tou(te)s et vis-à-vis de tou(te)s. J’attends profondément le moment où l’on arrêtera de nous demander ce que cela fait d’être une fille dans la société actuelle, car j’ai vraiment l’impression qu’on crée la différence rien qu’en posant la question. Je souhaite banaliser pour démontrer qu’on est là, on s’impose, on fait le taf, acceptez-nous.
Est-ce que tu vis du rap aujourd’hui ? Si non, est-ce que c’est un objectif ?
Je suis en train de faire mon intermittence, je devrais normalement en vivre cette année. C’est une réelle fierté… Un objectif presque atteint, mais heureusement on ne s’arrête pas là, on continue de faire grandir les choses.
Quels sont tes projets post-confinement ?
Nous allons tourner quelques clips pour la promo de l’album et essayer de rattraper la tournée qui était prévue, reporter les dates. Nous avions également des temps de résidence qu’il nous est nécessaire de réaliser pour l’avancée de notre projet scénique.
Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?
Malgré l’avancé super positive de la condition de la femme dans le rap game, je trouve que Madame Rap est encore nécessaire. Tout d’abord, pour la fraîcheur que le média ramène, car il y a sans arrêt de la nouveauté artistique, tant dans l’actualité que dans les modes de pensée de chacune. Madame Rap est un véritable haut-parleur. J’en parle autour de moi régulièrement car c’est une grande base de données et que les artistes sont traitées à leur juste valeur, sans les détourner, pour rester aux plus proches de ce qu’elles sont.
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© Julien Mignot