A l’occasion de son passage à Paris pour un concert organisé par Call Me Femcee, la rappeuse roumaine ENERGIA, membre de ce collectif et du groupe MUZE, nous a raconté son parcours et son expérience de rappeuse en Roumanie, ses collaborations et ses motivations.
D’où vient ce nom “ENERGIA” ?
ENERGIA est un jeu de mot autour de mon prénom, Gia. C’est une amie du lycée qui s’est un jour amusée à m’appeler ainsi et j’ai tout de suite bien aimé. Quand j’ai eu à choisir un nom pour mon projet musical, je n’aurais pas pu imaginer utiliser autre chose qu’ENERGIA.
À un niveau plus profond, l’énergie joue un rôle majeur, pas seulement dans ma musique, mais dans toutes les sphères de ma vie. J’évolue grâce à mes échanges avec les gens, que je sois en train de réfléchir à une chanson, à un concert ou juste dans mon écriture. Je transporte cette énergie partout où je vais, quoi que je fasse.
Quand et comment as-tu commencé à rapper ?
J’ai toujours écrit de la poésie et de la prose aussi loin que je m’en souvienne, mais l’idée d’écrire du rap est venue de façon assez inattendue dans ma vie en 2011.
Un ami à moi rappait de temps en temps et m’a dit que je devrais essayer de composer des morceaux de rap. Comme j’aimais la musique et tout ce qui touche aux mots, j’ai suivi son conseil et j’ai été surprise de constater que le résultat n’était pas si mal – pour une débutante du moins. J’adore la façon dont ça fonctionne, ce qui me fait continuer la musique depuis.
Fin 2011, j’ai proposé ma première chanson et mon premier clip, puis une série de collaborations et de projets de mixtapes audiovisuelles. Vous connaissez la suite.
Que signifie pour toi le fait d’être rappeuse ?
Dans mon cas, je ne me considère pas comme une vraie rappeuse. Pour moi, un·e rappeur·euse est quelqu’un·e qui sait mélanger une maîtrise approfondie des paroles et de la technique d’élocution avec des sonorités spécifiques. Mis à part le fait que mes paroles et mon flow n’en soient pas franchement au niveau de la complexité requise par le rap, mes morceaux sont aussi souvent inspirés de bien d’autres styles musicaux.
Mais comme ça me plaît de m’exprimer à travers la musique, pour moi, le but est de créer une connexion d’âme à âme avec la personne qui m’écoute, et d’offrir une expérience riche dans laquelle elle peut se perdre quand elle en a le plus besoin.
Comment décrirais-tu ta musique ?
En un mot : éclectique.
J’aime me plonger dans les styles les plus fous et me plier aux règles qui séparent généralement les genres. Par exemple, le concert le plus récent que j’ai donné à Paris, pour Call Me Femcee le 11 mai dernier, incluait trap, batterie et basse, rap classique, grime, R & B et dubstep. Tu me verras toujours en train de jouer avec différents sons, c’est pourquoi on peut s’attendre à une surprise à chaque nouveau projet.
Pourquoi choisis-tu de mélanger l’anglais et le roumain dans certaines de tes chansons ?
La chanson « C8H11NO2 » était une expérimentation évidente, étant donné que je suis bilingue – je suis née en Roumanie, mais j’ai grandi aux États-Unis. Je voulais que ce soit une expérience inhabituelle et amusante pour l’auditeur·trice, qu’iel soit roumain·e ou de n’importe où dans le monde.
J’ai eu pour projet de réaliser un album entier avec des chansons mélangeant ces deux langues, mais après avoir eu des retours, je me suis dit que ça pouvait être trop confus pour les auditeurs·trices.
Dans tous les cas, C8H11NO2 est l’un de mes projets préférés. Ça m’a permis de sortie de ma zone de confort à tous points de vue : du son très club à la vidéo musicale que j’ai créée et coréalisée.
À quoi ressemble la scène rap en Roumanie ? Et quelle place les rappeuses y occupent-elles ?
Par rapport à la France ou aux États-Unis, la scène rap en Roumanie est très petite. Le rap est arrivé ici dans les années 90, mais c’est toujours vraiment perçu comme un phénomène underground. Cependant, grâce à la montée d’Internet, des médias sociaux et autres, nous avons désormais une scène rap assez riche et diversifiée.
Comme partout dans le monde, la popularité de la trap ne cesse de croître. Néanmoins, nous avons de nombreux MC « classiques » qui ont maintenu leurs fans au fil des ans. Selon tes goûts, il y aura probablement au moins quelques rappeur·euse·s roumain·e·s que tu pourras apprécier.
Si la scène rap roumaine globale est petite, je te laisse imaginer ce qu’il en est des rappeuses. Bien que nous ne soyons que quelques-unes – y compris mon équipe, MUZE, le seul groupe de rappeuses du pays – je suis vraiment contente de voir de plus en plus de filles émerger au cours de ces deux ou trois dernières années.
J’ai hâte de voir ce que le futur réserve aux rappeuses roumaines. Dans tous les cas, je les soutiendrai.
Que penses-tu de la situation actuelle des femmes en Roumanie ?
Malheureusement, d’innombrables femmes en Roumanie vivent des expériences horribles. Ici, les violences domestiques ne sont toujours pas prises aussi sérieusement qu’elles devraient l’être, pas plus que d’autres problèmes majeurs tels que le viol ou le harcèlement.
En même temps, je crois vraiment que les Roumaines sont, doucement mais sûrement, en train de trouver leurs voie. Même si elles risquent d’être qualifiées de « féministes folles » par des individus aux mentalités dépassées, les femmes commencent à prendre position pour l’égalité et la sécurité.
Tu es membre du collectif Call Me Femcee, comment l’as-tu rejoint ? Et pourquoi est-ce important pour toi d’en faire partie ?
En 2014, le fondateur et directeur de Call Me Femcee, Gauthier, m’a contactée en ligne et m’a invité à faire partie du projet en tant que représentante de la Roumanie. Je ne pouvais pas croire ce que je lisais dans son message d’invitation, et j’attends toujours à moitié que quelqu’un me réveille et me dise que tout cela n’était un rêve.
Call me Femcee est un des projets qui me tient le plus à cœur pour bien des raisons. Cela représente tout ce que j’estime et ce que je représente même à un niveau personnel : connexion profonde, échange culturel, partage de musiques et d’expériences, et soutien de la communauté mondiale des rappeuses avec cette plateforme alimentée par l’unité, l’amour et les ondes positives.
Je pense que le projet tient une place inestimable dans la culture hip hop à travers le monde. Je suis impatiente de partager tout ce que l’on a à proposer pour l’avenir de Call Me Femcee.
Tu définis-tu comme féministe ? Si oui, dans quel type de féminisme te reconnais-tu le plus ?
Je suis résolument féministe, mais féministe au sens véritable d’égalité. Je crois fermement que chaque personne devrait avoir le droit à l’éducation, au respect, à la santé et aux opportunités, sans distinction de sexe, de culture, de race ou de condition socio-économique.
La suprématie ou la domination, qu’elle soit masculine ou féminine, c’est quelque chose que je ne supporte pas. Je crois que la seule façon de guérir les cicatrices que nous avons laissées au cours de l’histoire est de choisir l’amour, l’acceptation et le respect mutuel, et de laisser la haine, l’intolérance et la mégalomanie dans le passé.
Quels sont tes projets à venir ?
Ce qui me motive le plus en ce moment, c’est le nouveau clip sur lequel je travaille pour mon équipe MUZE, que nous sortirons très bientôt. La chanson et la vidéo sont ouf, mais je n’entrerai pas dans les détails pour ne pas gâcher la surprise !
Nous avons joué la chanson lors de quelques concerts et les retours étaient supers jusqu’à présent. Je suis impatiente que vous entendiez et voyiez le résultat final !
Connaissais-tu Madame Rap ? Qu’en penses-tu ?
J’avais entendu parler de Madame Rap par le biais de Call Me Femcee et je trouve le projet génial ! Il offre aux artistes femmes une plateforme médiatique indispensable pour partager leur musique et leurs idées. J’aime aussi le fait que vous ayez du contenu aussi bien en français qu’en anglais pour pouvoir toucher un public plus large.
Retrouvez ENERGIA sur Facebook, Instagram, YouTube et Soundcloud.
Ses projets collectifs : MUZE, Call Me Femcee, TR1B et Fetele cu care cânt.
Propos recueillis par Maëlis Delorme.