Madame rap a rencontré la rappeuse Eléa Force du groupe Blu Jaylah, sélectionné pour représenter la région Rhône-Alpes-Auvergne à la finale du Buzz Booster à Marseille le 18 mai. La MC, l’une des deux femmes sur les 10 nommé·e·s, nous a parlé de sa vision de la musique, de son expérience dans ce milieu, et des projets en cours de son groupe.
Te considères-tu comme rappeuse ?
C’est difficile de se mettre soi-même une étiquette. Je me considère plus comme quelqu’un qui écrit des textes que comme « rappeuse » ou « chanteuse », même si en général mes textes sont plutôt rappés. Il y a le flow du rap, les rimes, le rythme, les instrus qui vont avec, mais tout dépend de ce qu’on entend par «rappeuse » !
Je vois plutôt le rap comme un moyen d’exprimer ce qu’il se passe dans ma tête et c’est ce qui me plaît. Le texte est la pièce centrale du puzzle, et son rythme permet de raconter un millier de choses dans un temps très court. C’est le style parfait pour s’exprimer par le texte !
Le rap c’est hyper vaste, et c’est pour ça qu’on essaye de proposer quelque chose d’un peu différent avec Blu Jaylah aussi. Ça reste du hip hop, mais à notre façon.
Quand et comment as-tu commencé à rapper ?
J’ai découvert le hip hop assez tardivement. Avant, j’écoutais plutôt du métal, du rapcore avec des groupes comme Rage Against The Machine, Limp Bizkit, Hed Pe ; d’ailleurs je faisais plutôt du rock avec mon tout premier groupe. Je n’aimais pas trop le rap avant. C’est plutôt marrant quand j’y pense mais je n’y connaissais rien finalement. J’entendais juste les trucs qui passaient à la radio, et ça ne m’attirait pas du tout.
Un jour, on m’a fait écouter la rappeuse Keny Arkana et ça m’a mis une claque parce que je ne connaissais pas du tout cet esprit dans le hip hop : des textes super bien écrits, poétiques, violents aussi, pleins de sens. Je me suis rendu compte, par rapport à ce que je faisais dans mon premier groupe, que je voulais mettre le texte encore plus en avant. En fait je kiffe écrire, vraiment ; peu importe le style d’instru derrière, c’est ce que j’aime le plus !
Comment en es-tu venue à former le groupe Blu Jaylah ?
Ça s’est fait assez naturellement. Mon premier groupe était en train de se dissoudre et j’avais envie de commencer autre chose, de repartir à zéro en montant un nouveau projet. J’ai rencontré un beatmaker qui m’a envoyé quelques instrus et tout est parti de là. Il y a eu pas mal de mouvement depuis !
À la base, je partais sur un projet solo, puis j’ai rencontré les gars à l’ENM de Villeurbanne (69) où nous avons tous fait nos études. On est passé par plusieurs configurations, en duo, trio, mais là on a trouvé la bonne formule avec l’arrivée de Zach (aux machines) dans le projet depuis septembre. On a beaucoup cogité par rapport au live parce que c’est pas simple de mêler de la prod avec des instruments comme le violoncelle et le saxo, et avec du rap en plus. Mais on est content·e·s parce qu’on est en train de trouver notre équilibre, c’est notre pâte et notre force !
Comment t’y prends-tu pour composer ?
Je compose souvent l’instru et le texte en parallèle. Le son m’inspire un flow, une intention, parfois un thème. Parfois c’est le contraire, j’ai une phrase en tête et j’arrange le beat en fonction. J’avance en mêlant le texte et la musique jusqu’à la fin du titre, puis j’y reviens, modifie des trucs, des détails. L’idée c’est de pouvoir écouter l’instru sans le texte, et qu’elle raconte la même chose.
Dans Blu Jaylah on construit les morceaux ensemble : je ramène un bout d’instru et un texte, on arrange ensemble, chacun·e propose des idées, c’est comme ça qu’on avance.
Vous avez été sélectionné·e·s pour représenter la région Rhône-Alpes-Auvergne à la finale du BuzzBooster à Marseille. Comment en êtes-vous venu·e·s à participer au concours ?
C’est assez marrant cette histoire, on ne pensait pas du tout arriver jusqu’à la finale en s’inscrivant. Pour être honnête, ça partait plutôt d’une petite blague, on voulait juste tenter ce genre de tremplin avec un profil un peu atypique et voir ce qu’il se passerait. Du coup, on se retrouve à Marseille pour représenter notre région lors de la finale nationale ! On sort un peu du cadre, je crois qu’on est le premier groupe avec des musiciens sur scène, hors DJ. C’est sûrement ce qui nous a amené jusque-là ! La formation est originale pour ce genre de tremplin très hip hop et ça permet de montrer quelque chose de différent. On va y aller comme on est, défendre notre musique et voir ce qu’il se passe.
Qu’attends-tu de ce concours ?
Ça va nous permettre de rencontrer pas mal de monde, d’avoir les retours de pros du milieu hip hop, et ça nous apporte beaucoup de motivation surtout. En tout cas, le fait d’arriver là-bas avec ce type de formation, c’est déjà une victoire pour nous, donc on est super content·e·s de ça.
Quels sont vos autres projets en ce moment ?
On travaille actuellement sur notre premier EP qui sortira fin 2019. L’année a été bien chargée ! On a bossé la nouvelle formation en résidence, en studio et en live, ça nous prend beaucoup de temps mais on a enfin trouvé la bonne formule. On a hâte, parce que depuis sa création le projet n’a pas arrêté d’évoluer, et là on pourra enfin présenter aux gens quelque chose de concret et qui nous ressemble vraiment. On va continuer à défendre nos titres en live et on verra par la suite, mais que du positif en tout cas !
Quelle est ta position par rapport aux féminismes ?
C’est une question qui revient très souvent et à laquelle je n’ai pas vraiment de réponse. Je me considère comme féministe dans le sens où il faut que les choses évoluent. Je n’ai pas la définition du féminisme ; les inégalités hommes/femmes existent depuis la nuit des temps, et même si certaines choses bougent, ça restera encore ancré un bon bout de temps dans l’inconscient collectif.
Par exemple, si tu arrives en tant que nana dans un milieu masculin comme le hip hop, tu vas toujours tomber sur ce genre de question en interview. C’est dommage, parce qu’au lieu de parler de ton projet, tu parles plus de ta position de femme dans la musique, alors que ce n’est pas ça que tu défends forcément quand tu décides de faire de la musique. Je ne me suis pas dit « tiens je vais rapper parce que je veux lutter contre les inégalités hommes/femmes ». Je voulais juste faire de la musique ! Je pense que c’est en faisant ce qu’on a à faire et sans se poser la question de la légitimité que ça peut faire avancer les choses justement. Si tu es convaincue, tu seras convaincante. Et la question ne se posera pas.
Que penses-tu de Madame Rap ?
La démarche est vraiment cool ! Ça permet de découvrir les actrices du rap français et c’est super important qu’elles soient mises en lumière.
En revanche, je pense qu’il faut veiller à ne pas restreindre la parole des rappeuses à des questions féministes. La question de la place des femmes dans le rap, c’est un truc qu’on te sort tout le temps quand tu es rappeuse. Il ne faut pas que ce soit la seule parole que l’on va donner aux meufs. Si on est là, ce n’est pas parce qu’on est des meufs, mais parce qu’on a des projets à défendre.
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Propos recueillis par Maëlis Delorme.