Né à San Francisco, passé par Milan et aujourd’hui basé à Berlin, le duo de rap Drowning Dog and Malatesta (DDM) est actif depuis 2005. La rappeuse californienne Drowning Dog et le DJ et producteur Malatesta, originaire de Glasgow, sont des pionniers de la scène internationale du rap radical et utilisent leur musique et le combat anarchiste pour raconter les histoires de personnes silenciées. Ils nous parlent de leur dernier album Gen Pop et de leur réalité d’artistes indépendants et militants.
Vous rappelez-vous quand et comment vous avez découvert la culture hip hop pour la première fois ?
Drowning Dog : Non, je ne m’en souviens pas. Ça a toujours été là, comme la bande-son de la vie. Mais je pourrais probablement dire la même chose de la country, du blues, du jazz… Dans ma famille, c’était toujours là.
Malatesta : Je faisais du breakdance à l’école, à Glasgow à l’époque, mais j’ai commencé à m’y intéresser davantage quand j’ai déménagé à San Francisco. À l’époque, les quartiers étaient animés par le son du gangsta rap et des live hip hop.
Je suis rapidement devenu accro au fait de fouiller dans tous les magasins de disques branchés de San Francisco, New York et Londres.
Comment avez–vous commencé à rapper et à mixer ?
DD : À la fin des années 90 et au début des années 2000. J’étais barmaid à l’époque, et j’ai économisé de l’argent pour acheter du matériel de musique. J’ai commencé à tâtonner avec des boîtes à rythmes et des séquenceurs, une basse d’occasion et un clavier cassé.
J’écrivais des petits poèmes ou des coups de gueule, des trucs du genre « spoken word ». J’ai ensuite acheté un enregistreur 8 pistes d’occasion et j’ai commencé à enregistrer et à explorer. Depuis, je n’ai jamais arrêté. Le temps passe vite !
M : Au milieu des années 90, j’avais une bonne collection de disques même si je n’avais pas une situation très stable. J’ai déménagé à Londres et des amis qui organisaient une soirée m’ont demandé de jouer un set de ma collection de hip hop américain.
Je suis ensuite retourné à San Francisco où mon ami Tony m’a acheté deux technics et une table de mixage Vestax. À partir de là, j’ai joué dans divers bars et petits clubs de San Francisco.
Comment vous êtes-vous rencontrés et avez-vous décidé de travailler ensemble ?
DD : On vivait dans le même quartier de San Francisco, le tristement célèbre T.L. (Tenderloin). On traînait avec des gens qui avaient le même état d’esprit et on fréquentait le même magasin de disques, Amoeba Music.
Malatesta a commencé à faire des compilations éclectiques de CDs et de vinyles et à les sortir. Il m’a demandé si je voulais en faire partie. J’ai dit « putain grave » – et il a toujours eu la meilleure herbe : )
M : On s’est rencontré à T.L. À l’époque, j’organisais des concerts et des sorties folles avec des amis qui vivaient dans le même immeuble que nous, que l’on appelait The Complex.
On produisait tous de la musique individuellement, mais à un moment donné, DD, un autre poète talentueux et moi avons commencé à écrire ensemble. On a alors planifié une tournée européenne en envoyant des courriers, des emails et peut-être même via MySpace.
Quelques jours avant la tournée, notre ami a quitté le projet pour des raisons personnelles, et DD a donc dû apprendre et réécrire toutes les paroles.
Votre album Gen Pop mélange beaucoup d’influences différentes, dont de l’électro et du punk. Comment pensez-vous avoir évolué musicalement depuis vos débuts en 2005 ?
DD : Je me soucie plus de la qualité du son aujourd’hui que lorsque j’ai commencé.
M : On s’est amélioré par rapport à nos débuts, et la technique a beaucoup changé depuis. DD va maintenant beaucoup plus loin dans les paroles et a des flows plus variés sur Gen Pop. Les producteurs et les rappeurs de Milan ont eu une grande influence sur nous, et c’est évidemment la même chose depuis que nous sommes à Berlin.
Mais notre mixeur, coproducteur et ami Tristan Mazire des studios La Fugitive à Paris a aussi eu une énorme influence sur nos derniers albums.
Quel est votre processus créatif ?
DD : J’ai beaucoup de carnets dans lesquels j’écris tout le temps des idées. Parfois, j’ai déjà un concept et je cherche le bon beat. Et parfois, c’est le beat qui m’inspire les mots ou les sentiments… La lutte des femmes de la classe ouvrière a toujours été l’un de mes sujets de prédilection.
M : Je prends le temps de faire des beats quand je ne suis pas en tournée et parfois DD en choisit un qui l’inspire.
Quelle est la chanson dont vous êtes les plus fiers à ce jour ?
DD : Ne me demandez pas de choisir entre mes bébés : ) Ça dépend vraiment du jour. Probablement celle qui n’a pas encore été écrite.
M : En ce moment, pour moi, c’est « I Was In It » de Gen Pop, car c’est un peu une autobiographie de notre vie. Bien qu’elle soit lente et morose, j’adore quand le beat démarre. J’aime aussi beaucoup « Necessary Illusions » et « Swingin’ Back ».
En tant que pionniers de la scène internationale du rap radical, que pensez-vous des différents genres de rap actuels?
DD : Explorez tous les sons. Ne rappez pas sur vos couplets préenregistrés, racontez votre propre histoire. Créez une ambiance.
M : Il n’y a pas beaucoup d’authenticité en ce moment. On a l’impression que c’est recyclé ou un peu rétro, avec de grosses productions convenues. Bien sûr, la culture n’est pas morte car il y a toujours des pépites d’originalité qui réussissent à percer malgré le climat de malaise dans la société.
Vous considérez-vous comme des activistes ?
DD : Non, pas vraiment, même si on a fait partie de différents groupes et projets au fil des ans. Parce qu’on pense qu’il est vital que les gens se réunissent en collectifs pour répondre à leurs besoins.
M : Pas vraiment, mais je crois que la classe ouvrière peut organiser l’économie bien mieux que la manière dont on le fait aujourd’hui. On a toujours essayé de créer des projets musicaux collectifs dans différents pays, comme alternative au business de la musique.
Je suis convaincu que l’anarchisme est la voie à suivre ! Si c’est de l’activisme, alors je suis un activiste.
En 2022, nous avons interviewé la rappeuse grecque Sara ATH qui nous a dit avoir été déçue par le sexisme et la misogynie qu’elle a rencontrés dans les mouvements anarchistes, antifascistes et anticapitalistes. Qu’en penses-vous ?
DD : Eh bien, c’est un grand sujet. Je dirais que le monde est comme ça. Le sexisme est partout et nous avons tous beaucoup de choses à désapprendre à de nombreux niveaux.
M : Je pense que c’est moins le cas dans ces endroits que dans la société dans son ensemble, mais il est évident que c’est aussi parfois présent dans ces milieux.
Êtes–vous toujours en lien avec d’autres rappeurs·euses militant·es ?
DDM : Oui, avec beaucoup. Sur l’album Gen Pop, on a des morceaux avec Anela Jahmena et Tsidi Bang Bang, anciennement de Soundz Of The South. On est en contact avec leur groupe depuis l’époque de San Francisco.
Quels sont, selon vous, les principaux avantages et inconvénients dans le fait d’être des artistes indépendants ?
DD : L’avantage : faire moins de compromis dans ce que je dis et ce que je fais. Les inconvénients : jongler constamment avec l’argent. D’une manière générale, je dirais que le plus gros inconvénient est la lutte liée au fait de venir d’un milieu ouvrier.
Dans le monde de l' »art », on est entouré d’artistes de classe moyenne (qui touchent des héritages, achètent des maisons…). Parce que la plupart des gens de la classe ouvrière ne peuvent pas se permettre de faire ce métier très longtemps, c’est pour ça que, dans la musique, on n’entend jamais le point de vue de la classe ouvrière, surtout aux États-Unis.
L’Europe est un peu différente avec ses « filets de sécurité » et les aides à la culture, mais les choses changent rapidement.
M : Il faut de l’argent et du temps pour avoir le temps et l’espace de créer de la musique de qualité. Ne parlons même pas des différentes barrières et du « réseautage ».
Quels sont vos projets à venir ?
DD : Faire des concerts et de la musique.
M : Nous espérons faire autant de concerts que possible en Europe et aux États-Unis, voire dans le monde entier.
Que pouvons-nous vous souhaiter ?
DDM : Merci Madame Rap de nous avoir contactés et d’avoir pris le temps de nous écouter ! Respect pour ce que vous faites !
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© Hugo Ferrer