Madame Rap a parlé avec Charlie, chanteuse du groupe Schlaasss, de son nouveau projet CŒUR, de féminisme et de ses covers de Vald et Damso qu’elle remercie de « l’aider à être une femme« .
Quand et comment as-tu découvert le hip hop et plus particulièrement le rap ?
J’ai découvert le rap à l’école primaire je pense. Je ne sais plus vraiment par quel biais. Sans doute à la télé. Je me souviens que ça a été une révélation. Genre, le truc répondait à toutes mes attentes, c’était comme une évidence. A partir de là, je me suis acheté des lunettes de soleil roses fluo et j’ai commencé à prendre des bains en écoutant Coolio.
J’ai écrit mon premier rap vers 6 ans, c’était un clash contre le groupe « Regg’Lyss » et la chanson « Mets de l’huile » . J’étais en mode rap conscient, je les ai clashés direct avec un morceau que j’avais intitulé sobrement « METS-Y PAS de L’Huile ». C’était une sorte d’appel à la responsabilisation et à la prise de conscience (lol). D’ailleurs, le début des paroles, je me souviens ça faisait : « Mets y pas de l’huile mais mets y du cœur, la vie est un truc qu’il faut prendre à cœur… » prophétique !! Et la rime avec le même mot, j’avais déjà une technique de ouf….
Tu es la chanteuse du groupe électro punk Schlaasss. Quels points communs vois-tu entre le punk et le rap ?
On dit qu’on fait du « Rap-Punk » parce qu’il faut bien dire quelque chose. En réalité, je pense que c’est encore un autre truc qu’on fait avec Schlaasss, mais il faut être classé dans des catégories pour avoir sa place dans le « music business » et dans le monde, semble t-il.
Ce qui rassemble ces deux mouvements et qui me touche particulièrement, c’est une forme de rage, de colère, tout le monde répondrait ça je pense. Qu’elle soit politique ou personnelle, la colère est bonne et jouissive lorsqu’elle est exprimée, partagée, célébrée. Ça devient alors un outil de transformation, de libération. Si tu restes avec ta colère, ça te brûle, ou ça brûle les gens autour de toi. Je déteste les poncifs à deux balles qui voudraient que « la violence », « la colère » ce soit « MAL ». C’est une lecture du monde super binaire qui culpabilise les gens et qui conduit à des vraies actes craignos parce qu’on refoule ça et alors là, ça devient vraiment dangereux. La question, c’est de regarder ça, cette énergie, et de se dire : j’en fais quoi ? Le punk et le rap en on fait des trucs incroyables.
Qui t’inspire dans le rap (passé ou actuel) ?
Oula j’écoute beaucoup de choses. J’adore le dernier Vald « Xeu ». J’adore le dernier Booba « Trône », il m’a grave accompagné à un moment ou j’en avais trop besoin, je l’ai écouté en boucle pendant trois semaines. En fait, Booba me fait vraiment rire. Je trouve que c’est un punchliner de ouf. Il a vraiment un côté comique qui est sous-estimé je pense.
Je suis fan du producteur Metro Boomin donc toutes les collaborations qu’il fait m’intéressent. J’écoute tous les ricains qui cartonnent et j’avoue j’adore 21 savage, Gucci Mane, Migos, Travis Scott, Kodak Black … Je suis ultra fan aussi du mystérieux projet « Spark Master Tape ».
Mon dieu, ça craint il n’y a pas de femmes !!!… Mais si !! Il y a bien entendu Cardi B, IAMDDB , Woltyla, Leikeli47 !!! Une japonaise que j’adore Awich ! La grandiose et phénoménale 070 Shake qui va tout défoncer dans les prochaines années je pense.
Mes découvertes du moment c’est Kelvyn Colt et Jesse Reyez, ultra intense.
Après je voudrais donner une mention spécial à Young Thug. Il a quand même fait une couverture d’album où il est en robe, il se met du vernis à ongle et se maquille parfois. Et surtout, c’est un des seuls rappeurs qui met des gonzesses dans ces clips qui sont ses « sistas », qui sont habillées, ni belles ni moches, et juste qui chlilent et coupent la drogue avec lui (rôles qui sont généralement tenus par des mecs ou des meufs à poil) . Donc non seulement ce mec a un flow intergalactique mais il fait avancer les choses, à son niveau. Je l’adore.
Tu as « féministé » deux titres de Vald et Damso. Pourquoi as-tu eu envie de faire des covers de ces tracks en particulier ? Et que souhaitais-tu leur apporter ?
En ce moment, il y a un mouvement où les rappeurs parlent de leur fragilité, de leurs failles, de leurs chagrins . C’est la grande classe. Genre, c’est là ou les mecs ont vraiment des couilles. Politiquement c’est ENORME. Que des gros rappeurs écoutés par tous les gamins puissent dire qu’ils sont seuls, tristes, mal dans leurs baskets…c’est tellement cool !! C’est tellement décomplexant, tellement plus riche, vivant et vrai que l’injonction normative à la team, la tune, le fun.
En fait, moi j’ai presque un problème de « virilité mal placé », comme plein de mecs. Genre l’autre jour, j’écoutais une émission sur les injonctions faites aux hommes et les comportements automatiques qu’ils adoptent sans réfléchir pour prouver leur masculinité et je me suis grave reconnue là dedans… Et du coup certains de ces rappeurs (dans lesquels je me reconnais plus parfois que dans des rappeuses) m’ont donné envie de faire ça. Ce rap fragile et courageux qui m’émeut beaucoup.
J’adore Damso et Vald. Donc je voulais leur faire une sorte d’hommage et démarrer mon projet solo en leur faisant un petit big-up. Merci de m’aider à être une femme les mecs !
Tu viens aussi de sortir le clip « Chrysanthème ». Que raconte ce titre ?
Rien d’autre que ce qu’il raconte. Le clip et le morceau me semblent éloquent. Je ne saurais en dire plus.
Te définis-tu comme une rappeuse ? Pourquoi ?
Non, je ne peux pas vraiment dire que je suis une rappeuse. Ça ne serait pas vraiment légitime…. Si j’étais une rappeuse, je serais capable de poser un flow propre sur une prod direct ou de faire des freestyles. Et ce n’est pas le cas. J’ai une histoire un peu compliquée avec la technique, ma voix, le rythme…Pour toutes ces raisons, on m’a toujours dit que je ne pourrais jamais faire de musique. Je le fais quand même parce que c’est la merveille du monde et le seul truc qui m’excite vraiment. Donc je crée des sentiers ou je peux faire ma place dans ce game , bon an mal an. Après si je suis une rappeuse, une chanteuse ou un clown, je ne sais pas. Et à vrai dire, je m’en fous.
Qui sont tes rôles modèles féminins et pour quelles raisons ?
Je n’ai pas vraiment de modèle. Je ne fonctionne pas comme ça. Ça serait réduire mon champ créatif de ne choisir que quelques personnes, et que des femmes . Plein de gens m’inspirent…
Je suis allée voir le film « Ni Juge Ni Soumise » par exemple , et cette juge elle est magnifique, totalement inspirante, elle a une forme d’intelligence tellement bonne, généreuse et fantasque. Elle est genre exactement à sa place. Et du coup elle fait le « BIEN ». Pas au sens débile et bien pensant du terme, mais au sens véritable. Elle bouscule au bon endroit. Elle aide vraiment les gens. En plus, elle fait ça dans une institution hyper stricte. Je suis sortie du film ravigotée . De voir que des gens comme ça existent, c’est réjouissant.
Il y a aussi Buffy bien sûr. La tueuse de vampires. Injustement méprisée, cette série est la première série féministe et une putain de leçon métaphysique de ouf.
Te définis-tu comme féministe ? Pourquoi ?
Oui, je suis féministe. J’ai grandi dans une société patriarcale et capitaliste qui nous rend tous cons et hostiles les uns envers les autres. J’ai grandi avec le sentiment qu’être une femme allait me limiter, m’enfermer, me piéger. Le féminisme fait parti de mon combat, depuis toujours.
Que ce soit de la part de beaufs dominants autoproclamés ou de petits tapins prétendument intellos et éveillés, je subis comme toutes les femmes des pressions et des remarques sexistes depuis toujours, et je souhaite vraiment que la prochaine génération de femmes soit épargnée par ce fonctionnement de merde.
Dans ma propre tête, j’essaie encore de déconstruire des schémas patriarcaux que j’ai reçus sans les avoir jamais choisis. Donc je pense qu’il faut les combattre partout. A l’intérieur de nous-même. Et dans le monde. La question est juste « qui a le pouvoir ? et pourquoi ? ». Pourquoi j’ai choisi plus petite de m’identifier à des hommes ??? Parce qu’ils avaient le pouvoir et que quelque part je le voulais aussi. Ça craint de ne pas avoir eu accès à des modèles féminins forts à ce moment-là. Ça m’aurait aidée. Mais je pense que les prochaines générations vont assurer. J’ai confiance en elles et en eux.
Cette démocratisation du féminisme qui peut parfois avoir des airs de « mode » est fondamentale. On n’en parlera jamais assez pour rattraper les siècles où on nous a marché sur le cerveau et sur la chatte et où on a fermé notre gueule. Avec Schlaasss, on a fait des t-shirts « Je suis féministe et j’avale » qui se vendent très bien. Au femmes comme aux hommes. Ça résume ma pensée sur cette question d’une certaine façon.
Quels sont tes projets à venir ?
Je lance ce side-project solo CŒUR !!! Sans plus de bite ni de couteau donc, mais bien avec mon cœur. Le Club Des Thugs Brisé(e)s est en marche ! Il va y avoir quelques clips dans les mois à venir et on va sortir un EP dès qu’on sera prêts. Et puis avec Schlaasss on vient de sortir un maxi EP « YOGA» !!! Dans l’immédiat, on joue à la MJC Le Silo à Verneuil Sur Avre le 30 mars, et à Paris au Supersonic le 31 mars. J’espère bien qu’on va niquer tous les festivals cet été et continuer à foutre le bordel jusqu’à ce que mort s’en suive !!
Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?
Je trouve cette initiative vraiment très cool. Une seule question : si les médias hip-hop mainstream parlent des hommes et vous des femmes, qui va parler de toute la scène queer et trans qui déchire tout* ?
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*Réponse de Madame Rap : Madame Rap parle également du rap queer, dont la mise en lumière est l’un de nos objectifs majeurs et figure dans les statuts de l’association, à travers des événements (Wet For Me Pride Edition 2017, programmation d’artistes queer en France), des interviews, des articles et a fait une vidéo qui recense 50 rappeuses queer et LGBT+ dans le monde.