Rappeuse et chanteuse togolaise, Chelsea se définit comme une « artiste de la chanson. » Active depuis les années 2010, elle met la musique entre parenthèses en 2016 pour terminer ses études en management des ressources humaines. Après un premier retour en 2020, elle sort début 2022 le clip « JVPF (Je vais pas faire) » qui célèbre l’acceptation de soi. Chelsea nous parle de ses projets, de son écriture cathartique et des difficultés que les rappeuses doivent affronter au Togo.
Ton père était poète et jouait un peu de guitare. Quelle place la musique occupait-elle dans ta famille ?
Je n’ai pas pris de cours de musique mais la musique occupait une place très importante dans ma famille. Mon père, ma mère et mon frère, écoutaient tous de la musique et mes oreilles passaient de Ray Charles à Tupac, puis EVE, Booba ou Bob Marley. Il y avait un peu de tout, du coup j’ai eu beaucoup d’influences musicales.
J’étais aussi membre d’un club d’enfants qui s’appelle À Nous La Planète, animé par et pour les enfants, qui était diffusé sur la première chaîne nationale togolaise. On faisait des émissions, des enregistrements en studio, des interviews et même des concerts. Donc depuis toujours, la musique a une place très importante dans ma vie.
Tu as commencé à écrire des textes à l’âge de 9 ans. Quel a été le déclic et de quoi parlaient ces textes ?
Les textes n’étaient pas aussi censés que ça dans la mesure où j’écrivais pour amuser la galerie et mes camarades de classe. Dès qu’une chanson sortait, je reprenais les mélodies et je mettais des conneries dessus ! Mais quelques années après, à l’adolescence, je me suis mise à écrire de vrais textes.
À 12 ans, j’ai perdu mon père et ça a été un événement très douloureux pour moi parce que je n’avais personne dans mon entourage qui avait vécu la même expérience et à qui je pouvais en parler. Comme j’étais toute seule et que je pleurais à l’intérieur de moi, un des amis de mon père m’a conseillé de mettre tout de ce que je ressentais par écrit. Et c’est comme ça que j’ai commencé à écrire.
Tu as découvert le rap à l’âge de 12 ans. Est-ce que tu te souviens du premier morceau que tu as écouté et de ce que tu as ressenti à ce moment-là ?
Je ne me rappelle pas du premier morceau, mais celle qui m’a poussé à écrire des textes de rap, c’est Diam’s. Avant elle, j’écoutais déjà des rappeuses comme EVE, qui passait sur la chaîne Trace TV, mais je ne savais pas que les femmes pouvaient rapper en français.
Le rap français féminin, je l’ai découvert via Diam’s, justement à l’époque où je venais de perdre mon père. Je me suis rendu compte que je pouvais beaucoup plus exprimer ce que je ressentais à travers le rap que dans des textes de R&B.
Est-ce que tu avais des rôles modèles en grandissant ?
Côté style vestimentaire, l’actrice et DJ Ruby Rose. Côté musique en revanche, je ne suis pas sûre de pouvoir donner un nom parce que je suis très ouverte. J’écoute vraiment de tout, du rap, du jazz, du zouk, de la country, du disco…
Tu as rencontré le beatmaker Elliott quand tu étais au lycée. Est-ce que vous collaborez toujours ensemble aujourd’hui ? Est-ce qu’il y a une équipe de producteurs, manageurs ou autres qui t’accompagne ?
On est en bon termes et on est toujours en contact mais je n’ai pas collaboré avec lui sur mes projets récents. Côté équipe, j’ai une manageuse et une chargée de com, mais pas de producteur pour le moment.
En 2016, tu as créé le projet de cypher Femmes Leaders avec plusieurs rappeuses togolaises et africaines. Est-ce que tu peux nous expliquer en quoi consistait cette initiative et les raisons qui t’ont amené à la lancer ?
En effet, c’était un cypher qui devait être suivi d’un concert. Le but était de mettre en avant les artistes féminines au Togo. Ensuite, on a remarqué que le courant passait bien entre nous, les filles en studio. On s’est dit « pourquoi ne pas faire une autre chanson ? » et après une autre, et encore une autre, et du coup on a fait un album. Malheureusement, il n’est jamais sorti mais on a sorti plusieurs singles qui ont été clippés et on a participé à de nombreux festivals et scènes. En tout cas, c’était une très belle aventure, qui nous a permis de mettre en avant la gent féminine dans le domaine musicale.
D’après toi, quelles sont les principales difficultés auxquelles les rappeuses sont confrontées au Togo ?
D’abord, je dirais le manque de soutien. On n’a pas vraiment de personnes et de producteurs qui s’intéressent à nous. La plupart des rappeuses manquent d’authenticité dans le sens où même quand on a une équipe, elle veut nous formater. Forcément il faut qu’on ressemble à unetelle ou unetelle et finalement, il n’y a pas de valeur ajoutée.
Est-ce que tu te définis comme féministe ?
Je ne dirais pas que je suis féministe jusqu’au bout, mais je suis pour l’équité de façon générale, dans tous les domaines.
Toujours en 2016, tu as décidé de mettre la musique entre parenthèses le temps de terminer tes études en management des ressources humaines. Maintenant que tu es diplômée, qu’est-ce que cette formation universitaire t’apporte en tant qu’artiste ?
Je pense que l’éducation est toujours une très bonne chose et permet de raisonner différemment. Ça m’a appris à bien écrire mes textes. Comme je n’ai pas de producteur, je finance tout ce que je fais. Cette formation m’a aussi permis d’avoir de l’expérience en entreprise et des sous pour pouvoir financer ma musique.
Tu es revenue en mai 2020 avec « JTB je t’ai bloqué », titre chanté et assez R&B. Est-ce que tu as le même rapport au rap et au chant ? Est-ce que ce sont deux activités très liées pour toi ou assez différentes ?
Quand j’écris une chanson, je sais déjà si je vais rapper ou chanter. Je m’inspire beaucoup des beats pour composer et quand les mélodies me viennent, je sais déjà si ce sera du rap ou du chant. Pour moi, les deux sont très liés. J’aime toujours garder mon côté rap même quand je chante.
D’ailleurs, « JTB », n’est pas de la kizomba pure. On sent que c’est une rappeuse qui fait ça et c’est plutôt adapté à tout le monde. Même si vous n’aimez pas le zouk, vous pouvez aimer « JTB ».
Début 2022, tu as sorti le clip « JVPF Je vais pas faire » qui est une ode à l’acceptation de soi. Tu parles notamment du fait qu’on te reproche souvent d’être androgyne. Est-ce que tu peux nous expliquer ?
Ici en Afrique, en tout cas au Togo, on dit que la plupart des rappeuses sont plutôt masculines. Alors, on me fait souvent des remarques du genre « tu vois les Nicki Minaj et les Cardi B, pourquoi tu ne ferais pas comme ça ? C’est sexy, c’est commercial, c’est plus acceptable. Avec ça, tu vas beaucoup plus te faire remarquer. »
À un moment de ma vie, en grandissant, je me suis dit « ça suffit, il faut que je sois moi-même, à l’aise, bien dans ma peau pour pouvoir véritablement exprimer mon art. » Donc voilà l’histoire de « JVPF ».
Aujourd’hui, quelles sont tes autres activités en dehors du rap ?
Je n’aime pas donner trop de détails mais je travaille dans une entreprise dans le domaine financier.
Est-ce que le rap est ton métier à part entière ? Si non, est-ce un objectif à terme ?
Je vais voir ce que l’avenir me réserve, mais ce que je peux vous promettre, c’est que je ne vais pas lâcher la musique. Parce que même quand j’ai voulu lâcher, je n’ai pas pu dans le sens où c’est vraiment lié à moi. Je ne peux pas vivre sans. Même si j’ai un boulot à côté, la musique fera toujours partie de moi donc vous aurez de mes nouvelles tant que c’est possible.
Quels sont tes projets à venir ?
J’ai déjà enregistré des chansons qui sont en studio. Après « JVPF », je prévois de sortir d’autres singles. Abonnez-vous donc à mes différentes comptes sur les réseaux pour être informé·es à temps !
Est-ce que tu connaissais déjà Madame Rap avant cette interview ? Si oui, qu’en penses-tu ? Est-ce que tu vois des choses à changer ou à améliorer ?
Oui bien sûr, je connaissais Madame Rap depuis quelques années déjà. Il faut savoir que j’écoute beaucoup de rap féminin et je fais pas mal de recherches, et c’est comme ça que j’ai découvert Madame Rap. Et grâce à vous, j’ai découvert d’autres rappeuses, ce qui est plutôt intéressant.
Je pense que Madame Rap est la référence quand il s’agit de rap féminin, quand on veut découvrir au-delà de ce que les médias nous proposent. En tout cas moi j’adore !
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© Jules Aboli