Né·e à Francfort, en Allemagne, Alice Dee grandit avec trois frères et sœurs. Aujourd’hui basé·e à Berlin, iel se définit comme « un·e rappeur·euse non-binaire, qui fait de la musique sombre, très expressive et dansante. » Alice nous parle de son parcours dans le rap, de l’importance de collaborer avec d’autres artistes queer et de ses projets.
Tu as commencé à écrire à l’âge de 13 ans. Qu’est-ce qui t’a poussé à prendre la plume ?
J’ai commencé à écrire quand je me sentais perdu·e et ne savais pas où j’en étais. L’écriture et la musique étaient un espace safe, où je pouvais exprimer mes sentiments.
Qui étaient tes rôles modèles en grandissant ?
Mes rôles modèles étaient des musicien·nes, des rappeur·euses, des écrivain·es, des activistes… Des gens qui m’inspiraient, qui agissaient différemment, faisaient quelque chose que personne n’avait fait avant eux et qui changeaient les choses… Comme Nirvana, Aphex Twin, Amy Winehouse, Toni Morrison. Mais aussi des ami·es qui étaient créatif·ives, actif·ives et combattaient le statu quo.
Quand et comment as-tu découvert le hip hop pour la première fois ?
Je ne m’en souviens pas précisément. Mais je crois que c’était à l’âge de 11 ans. À l’époque, je dansais sur des chansons d’Eminem, Eve ou Mary J. Blige. Puis, un peu plus tard, j’ai découvert le rap allemand et j’ai commencé à écouter principalement du rap de la rue.
Comment as-tu commencé à rapper ?
Au début, je ne rappais pas vraiment… J’écrivais des paroles et un jour, j’ai fini par les faire lire à mes amis. J’écrivais des morceaux de battles sur des personnes que mes ami·es et moi n’aimions pas et ça faisait rire mes ami·es, ce qui était cool. Mais c’était seulement des petits pas.
Le vrai rap, c’est-à-dire le fait d’utiliser ma voix, d’apprendre à vocaliser, à m’enregistrer et tous les aspects musicaux, est arrivé quand j’avais environ 20 ans. J’ai commencé à m’enregistrer avec un lecteur MP3 et j’ai fait écouter le résultat à un ami, qui m’a emmené chez un autre ami à lui où j’ai enregistré pour la première fois. Ça se passait derrière un matelas, comme dans un home studio un peu spécial. On a fait écouter le morceau autour de nous et ça a plu. Je me suis dit que c’était quelque chose que je savais faire.
Alors, j’ai continué. Une chose en a amené une autre. J’ai déménagé à Berlin parce que la scène rap était trop petite là où j’habitais. À Berlin, j’ai enregistré ma première mixtape en 2013. Et je ne me suis jamais arrêté·e depuis.
Quel est le morceau dont tu es la·e plus fier·e ?
C’est difficile de répondre. Mais je pense que la première chanson dont j’ai été vraiment fier·e, et où je me suis dit « c’est vraiment le son que je veux faire », est « Freitag Nacht », sortie en 2020.
J’étais véner parce que je m’étais engueulée avec des connards de producteurs juste avant et j’étais en mode « fait chier ! » … J’ai trouvé la prod en ligne et je me suis enregistré·e avec un Shure SM7B. J’ai envoyé le titre à un mec que je ne connaissais pas et je lui ai expliqué précisément ce que je voulais en termes de mix. Je me suis rendu compte que j’avais les connaissances et le vocabulaire pour m’exprimer musicalement parlant et je me suis dit « ok, je gère. »
En plus, le flow, le texte, le refrain, le phrasé et ma confiance, tout était à un niveau que je cherchais à atteindre depuis des années. Par ailleurs, j’ai tout fait moi-même, du clip au livret, avec mon ami Yaso G et un ami réalisateur.
C’était la première fois que le visuel et le son étaient au top. Et je me suis prouvé·e que je ne gâcherais plus mon énergie à jouer petit ou à alimenter l’ego de connards.
Ta musique va du boom bap au grime, en passant par la drill et la trap. Comment décrirais-tu ton identité musicale ?
Je suis un gender-bender ! J’aime explorer. Au cœur de tout ça, on retrouve une basse dominante, des hi-hats, des sons électroniques et des petits détails. C’est sombre, très expressif et on peut danser dessus.
Tes morceaux traitent de problèmes sociétaux, comme le privilège blanc, l’empowerment queer et les inégalités sociales. Est-ce que tu te considères comme un·e activiste ?
C’est délicat. Oui et non. Non, parce que je fais du rap et de la musique avant tout. Je vois une responsabilité dans ce que je fais parce que je m’adresse aux gens, et j’aime leur donner de la force. Ce qui fait que oui aussi, sans doute parce que c’est ça que font les activistes ?
Qu’est-ce qu’une bonne prod pour toi et comment choisis-tu tes prods ?
Une bonne prod a un rythme qui me touche et une mélodie ou une ambiance intense qui m’émeut. Je choisis mes prods principalement en ligne et fais des recherches deux fois par semaine.
Quelle est ta relation à la ville de Berlin ?
Je ne viens pas initialement de Berlin mais c’est le premier endroit où je me sens chez moi. J’adore cette ville parce que la notion de normalité y est différente.
En quoi est-ce important pour toi de collaborer avec d’autres artistes queer ?
J’adore collaborer. Je crois plus à l’unité qu’à l’ego. Surtout quand tu es une minorité, c’est important de dépasser la jalousie et de cesser de voir les autres comme des concurrents. Je crois que c’est plus important de développer des connexions, d’unir nos forces et d’apprendre les un·es des autres.
Le rap est-il ton activité à plein temps et te permet-il de vivre ?
Malheureusement pas encore, mais j’y travaille. Je suis aussi assistant·e social·e et organise des ateliers de rap pour payer mes factures et financer ma musique.
Quels sont tes projets à venir ?
Pour le moment, je travaille sur des featurings. Une fois que j’aurai fini, je commencerai à travailler sur mon prochain EP.
Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?
Big up à Madame Rap. Tous les jours, je découvre des MCs qui déchirent dont je n’avais jamais entendu parler avant. Il y a une immense variété de talents et de styles de rappeuses et rappeurs·euses queer du monde entier. Énorme respect pour ce que vous faites et pour offrir une plateforme à toustes ces incroyables performers·euses.
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© Ksenia Les