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Le rap n’est pas l’empire du sexisme

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Requinquée et au taquet après un break « fêtes de fin d’année » prolongé, Madame Rap a vu les bénéfices de ses vacances balayés en deux minutes chrono. En effet, à peine de retour devant nos écrans, nous sommes tombées sur un article dans Elle, qui nous a titillées (euphémisme). Le thème : le clip « Tchoin » de Kaaris et son sexisme assumé.

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Début janvier, Kaaris dévoile la vidéo de son nouveau single afro-trap « Tchoin », qui se traduit par « prostituée », ou « fille facile » en nouchi, un slang de Côte d’Ivoire, dont l’artiste est originaire. La vidéo comptabilise 3 millions de vues sur YouTube en 48 heures (on en est à plus de 19 millions au moment où nous écrivons cet article.) Le pitch : un couple s’engueule dans la rue, le mec plante sa copine et part clubber avec ses potes.

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Pas question pour nous de fermer les yeux sur ce clip sexiste, mais surtout d’un ennui profond, qui compile les clichés les plus surannés : une resucée de l’imaginaire pornographique traditionnel avec des culs, des doigts dans la bouche et des décolletés sans visage qui frétillent pour les beaux yeux d’archétypes de l’hyper-virilité. Rien de nouveau sous le soleil.

En revanche, le traitement qui en est fait pose problème. Car une fois de plus, les médias grand public s’intéressent au rap pour le dézinguer. Personne n’est irréprochable et il ne s’agit pas de se payer qui que ce soit, mais on ne peut que se désoler de cette presse qui se borne à traiter du hip hop de manière toujours péjorative, au nom du dieu Buzz.

Ainsi, l’article de Elle commence par « Où sont Kery James, I AM, Diam’s, Oxmo Puccino ou encore Keny Arkana, plumes du rap français ? » Etonnant, car hormis Diam’s, tous les artistes mentionnés ont une actualité. On peut voir Kery James dans « A Vif »  au Théâtre du Rond-Point à Paris et son opus « Mouhammad Alix » est disponible depuis septembre dernier. IAM a annoncé l’arrivée d’un nouvel album, « Rêvolution », pour le 3 mars prochain et partira en tournée à la fin de l’année.  De son côté, Oxmo Puccino sillonne les routes de France avec « La Voix Lactée » (prochains concerts en juin si vous voulez faire un article) et Keny Arkana a sorti le clip « Une seule humanité » en novembre 2016, extrait de son EP « Etat D’Urgence ».

Alors pourquoi ne pas faire des papiers sur ces artistes apparemment si géniaux, engagés et conformes aux attentes de Elle ? Sans doute ne correspondent-ils pas vraiment à la « cible » du magazine, qui se la joue vaguement féministe aujourd’hui mais ne nous fera pas oublier des années d’articles culpabilisants pour les femmes, prônant une image monolithique d’une féminité hétéronormée, blanche et anorexique. En outre, cela risquerait de donner une bonne image du hip hop, cette sous-culture d’analphabètes, qui mérite qu’on s’y attarde uniquement pour démontrer combien elle est nuisible aux femmes.

L’article se poursuit : « En 2017, le rap engagé aurait-il définitivement disparu, au profit de punchlines toujours plus sexistes et humiliant les femmes ? » Mais comme nous l’avons indiqué avec les artistes précités, le rap engagé est bien présent et s’il a « disparu », les médias ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes de bouder des Casey, Billie Brelok, Sianna, Pumpkin, KT-Gorique, Abd al Malik, D’ de Kabal ou Médine. 

Comme l’analyse la professeure et autrice féministe américaine bell hooks : « Le succès de certains artistes de rap misogynes, anti-féministes et anti-femmes est totalement en cohérence avec l’idée suivante : quand vous trouvez un produit qui vous apporte le maximum de profit et de reconnaissance, vous allez le promouvoir, que vous croyez au message que vous véhiculez ou pas. » En gros, il est important de replacer ces représentations sexistes des femmes dans le rap dans le cadre plus large de la production culturelle au sein de notre société capitaliste, car ce problème est en fait bien plus complexe qu’il n’y paraît.

Mais Elle d’insister : « On ne va pas refaire le débat une énième fois : la misogynie est l’un des thèmes forts dans le rap ». Si, (re) faisons-le justement. Tout d’abord, la misogynie n’est pas un « thème » fétiche des rappeurs. C’est justement ce qu’on leur reproche, non ? De ne pas parler de misogynie et d’être misogyne. Secundo, en quoi la misogynie serait un thème fort du rap et pas de la société française dans son ensemble ? Quelques chiffres pour rappel : 19% d’écart de salaires entre femmes et hommes, 27% de femmes à l’Assemblée nationale, 26% au Sénat, 16% de maires, 36% à la télévision, une seule femme à la tête d’une entreprise du CAC 40, une unique Palme d’Or en 70 ans de Festival de Cannes, une parité pastiche au gouvernement avec 0 femme aux postes régaliens… On peut ajouter qu’elles se coltinent 72% des tâches ménagères et que 80% d’entre elles subissent du sexisme au travail. Mais tout ça, c’est la faute du rap bien sûr.

Comme il sont pratiques ce mépris de classe et cette condescendance néo-colonialiste consistant à piétiner une culture inclusive, populaire, à la richesse et aux facettes multiples, qui n’est qu’un miroir de son époque. Parce que pendant ce temps-là, on ne questionne pas les vrais problèmes. Ou on omet de le évoquer en ne nuançant pas son propos. Au passage, spéciale dédicace à Vice pour son papier « Comment baise-t-on en banlieue ? », titre rapidement modifié après le tollé qu’il a suscité, et au contenu proche du safari exotico-colonialiste en mode « étudions la sexualité de cette drôle d’espèce qui-ne baise-pas-comme-nous ». On croit rêver.

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En revanche, ces mêmes journaux adorent nous apprendre que de pauvres petites femmes opprimées dans des pays lointains se mettent à rapper et qu’il faut bien les applaudir (elles-sont-tellement-courageuses). Vous vous rendez compte, elles parlent, réfléchissent, écrivent et voilà qu’elles rappent maintenant ! Pour une Nigériane, une Afghane ou une Indienne, c’est carrément un exploit.

En tout cas, après notre agacement initial, nous avons vite repris du poil de la bête en nous souvenant qu’il s’agissait là de l’essence même de Madame Rap : proposer un autre discours que celui des médias mainstream, un autre regard, fait d’amour, de respect et de connaissance du hip hop, qui permet de le critiquer et de le célébrer à sa juste valeur. Ou au moins d’essayer.