Née en Autriche d’une mère française et d’un père palestinien, Carmeline rappe et chante en français, en arabe et en anglais. L’artiste nous parle de sa musique « aux sonorités urbaines et orientales », de l’importance d’assumer ses origines dans le milieu du rap et de la production et de son féminisme.
Tu es née à Vienne d’une mère française et d’un père palestinien. Pour quelles raisons et à quel âge es-tu venue en France ?
À 17 ans, j’ai quitté l’Autriche pour m’installer à New York car j’avais obtenu une bourse pour faire de la comédie musicale. Finalement, ça m’a ouvert les yeux sur le show business et je n’arrivais pas à y voir ma place.
Après cette expérience, j’ai décidé de venir en France (à Montpellier) pour faire des études de droit car j’avais pour but de me spécialiser en droit de la musique et travailler à l’avenir dans l’industrie musicale (c’était pour moi un moyen d’être proche de la musique si je n’arrivais pas à gagner ma vie en tant qu’artiste).
C’est exactement pour ces raisons que j’ai débarqué par la suite à Paris : pour faire un Master en Management de la production musicale. J’ai appris énormément sur l’industrie ce qui m’a beaucoup aidé pour lancer mon projet.
Pourquoi avoir choisi le nom Carmeline ?
C’est mon prénom ! Mes parents ont décidé de m’appeler Carmeline en hommage à mes arrières grands parents et grands-parents qui habitaient proche du Mont Carmel à Haïfa, Palestine. Ma famille, du côté de mon père, était des réfugiés palestiniens qui ont dû tout quitter du jour au lendemain.
Petite, je n’aimais pas mon prénom car il était très difficile à épeler et à prononcer en Autriche. En grandissant, j’ai compris qu’il racontait l’histoire de ma famille mais aussi celle de tout un peuple et aujourd’hui je suis vraiment fière de le porter.
Comment as-tu découvert la culture hip hop pour la première fois ?
Je me souviens que je passais des heures devant MTV à regarder les clips de P Diddy, Missy Elliott, Eminem et d’être complètement fascinée par cette culture. Mon père aussi écoutait beaucoup de hip hop dans sa voiture et me faisait découvrir pleins d’artistes (pas que hip hop d’ailleurs).
Tu es chanteuse, rappeuse, autrice et productrice. As-tu reçu une éducation musicale quand tu étais plus jeune ?
J’ai commencé en autodidacte avec le piano, j’ai remarqué assez tôt que j’avais une oreille musicale car j’arrivais à reproduire des mélodies que j’entendais à la radio ou à la télé, directement au piano.
J’ai pu finalement prendre des cours pendant plusieurs années, j’ai découvert la musique classique qui m’a bouleversée, et j’ai appris le solfège mais j’ai toujours eu du mal à me fier à des partitions car j’aimais jouer librement sans diction.
À la maison, j’écoutais beaucoup de musique classique (Vienne est aussi l’épicentre du classique avec Mozart, Schubert…), les cassettes de Fairuz, Nancy Ajram que ramerait mon père et les chansons françaises qu’écoutait ma mère. Toutes ces influences ont forgé la musique que je compose aujourd’hui.
Tu rappes et chantes en français et arabe. Comment choisis-tu la langue dans laquelle tu écris ? Est-ce qu’elle s’impose à toi ?
Au départ, je pensais devoir m’adapter à un marché et ne rapper/chanter qu’en français. Finalement, je me suis dit que le marché devrait s’adapter à moi, car j’ai toujours dû jongler entre les différentes langues dans ma vie car je parle le français avec ma mère, arabe avec mon père, mes parents parlent anglais entre eux et j’ai grandi avec l’allemand.
Finalement, je ne me suis donc mis aucune limite et j’ai mélangé le français, l’arabe et même l’anglais de manière instinctive. Peut-être qu’un jour, il y aura même de l’allemand, je ne ferme pas les portes.
Comment composes-tu un morceau en général ? Est-ce que tu pars du beat, du texte, les deux ?
Je compose d’abord la prod avec mon acolyte Alex Grox dans son studio. Je repars avec quelques productions et ensuite c’est un taf très solitaire : c’est moi, mon micro, et la prod. Je tente plein de choses, plusieurs voix, plusieurs toplines et j’écris le texte.
Une fois que je suis satisfaite de ma maquette, je reviens en studio et j’enregistre tout de manière assez efficace étant donné que je sais exactement à quoi doit ressembler le titre. Toutes les expériences se passent donc plutôt chez moi que dans le studio d’enregistrement.
De quel titre es-tu la plus fière à ce jour et pour quelles raisons ?
Je suis vraiment fière de « Ali-en », je pense que c’est le titre qui m’a permis de m’affirmer dans mon identité musicale. Le titre parle du fait d’avoir grandi en Autriche en tant que franco-palestinienne, et de se sentir alien dans son propre pays. J’ai reçu pleins de messages par la suite de personnes qui se reconnaissaient dans les paroles et pour moi, c’est vraiment une fierté.
Te définis-tu comme féministe ? Comment définirais-tu ton propre féminisme ?
Bien sûr ! Mon féminisme, c’est d’occuper les places habituellement occupées par des hommes. Être là où l’on ne nous attend pas, être présentes et ouvrir des portes pour les générations qui vont suivre.
Je suis accompagnée par le collectif Kourtrajmeuf qui est un collectif de réalisatrices et photographes. Qu’elles soient présentes dans le milieu de la réalisation qui est un milieu encore principalement masculin, je trouve ça très puissant et inspirant.
Me concernant, d’être dans le milieu de la production, de faire du rap, d’assumer mes cheveux bouclés et mes origines, je pense aussi que ce soit important pour la représentation.
Est-ce que la musique est ton métier aujourd’hui ? Est-ce un objectif à terme ?
Pendant plusieurs années j’étais obligée de travailler à côté, courir en studio après le taf et rentrer tard le soir. Tout mon argent allait dans la production musicale : le studio, le mix, le mastering, ça coûte très cher ! Aujourd’hui je commence à pouvoir en vivre et j’en suis extrêmement reconnaissante. Tous les jours je me réveille et je remercie le ciel de pouvoir faire ce que j’aime.
Que peut-on te souhaiter ?
Beaucoup de force pour continuer. : )
Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?
Je trouve ça lourd ! On a besoin de représentation. : )
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© Charlotte Abramow