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KT Gorique : « C’était très difficile pour moi de m’identifier à une femcee car il y en avait peu »

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Comment et quand as-tu commencé à t’intéresser au hip hop ? 

Enfant, lorsque je vivais en Côte d’Ivoire, j’écoutais surtout de la musique africaine, du gospel, et le Roi de la pop. C’est d’abord la danse qui m’a interpellée. Michael Jackson avait cette manière de bouger que je n’avais jamais vue. Il était comme une sorte d’extraterrestre venu du futur. Aucun de ses mouvements ne ressemblait à quelque chose que je connaissais. Je me souviens avoir bossé mon moonwalk pour lui ressembler, comme tous les enfants autour de moi. Danseuse depuis l’âge de 4 ans, c’est par cette porte que je suis entrée pour la première dans la maison Hip Hop.

Tu as remporté le prix de Championne du monde de Freestyle en 2012. Que t’a apporté cette consécration ? 

Ma victoire au mondial End of the Weak World (EOW) en 2012 a permis à de nombreux amateurs de hip hop underground d’entendre parler de mon travail. D’abord par le biais de toutes les délégations qui avaient participé cette année-là, mais aussi (et surtout) grâce au nombre incalculable de scènes que j’ai faites par la suite.

En effet, je suis la première et seule femme à avoir remporté cette compétition pour l’instant, la plus jeune et aussi la première Suisse. Les gens ont été très surpris qu’une « jeune femme de 21 ans au tout petit gabarit, venue d’une minuscule ville d’un minuscule pays » affronte les meilleurs freestylers du monde à New York et revienne avec le trophée de la victoire. Beaucoup de programmateurs et autres organisations ont alors commencé à me solliciter pour des shows ou des démos d’impro. Comme je l’ai dit précédemment, j’ai fait mes premiers pas sur scène par la danse dès l’âge de 4 ans, et c’est quelque chose qui a énormément enrichi mon rap. Quand on danse, on s’entraîne et on se conditionne pour la scène, comme un joueur de foot avant son match. Le contact direct avec le public est vraiment l’objectif principal. Or, quand on rappe, ce n’est pas forcément le cas. La plupart du temps, l’apprentissage de la scène se fait dans un deuxième temps. Je pense donc que ce qui me différencie peut-être d’autres artistes, c’est le fait que la majorité des gens qui me suivent aujourd’hui m’aient découverte en concert avant de m’écouter sur internet.

Tes morceaux sont empreints d’influences ragga. En quoi la culture du toasting a-t-elle influencé ton penchant pour le freestyle ? 

J’ai commencé à écouter du reggae/ragga vers l’âge de 12 ans. D’ailleurs le premier album que je me suis acheté de ma vie était « Bob Marley – The greatest hits ». Ce que j’ai surtout aimé quand j’ai découvert cette culture, c’est la philosophie. Le freestyle est venu beaucoup plus tard. À la danse, on s’essayait à tous les styles hip hop et dérivés: pop, lock, house, smurf, break, krump, dancehall, raggajam… C’est surtout comme ça que j’aimais le ragga. Ce n’est que plusieurs années plus tard, lorsque j’ai commencé les freestyles, que toutes ces influences musicales qui avaient guidées mon corps se sont naturellement retrouvées dans ma musique. Je ne m’en suis même pas forcément rendu compte, parce que ça fait partie de moi, au même titre que la culture musicale africaine.

Dans quelle mesure tes origines ivoiriennes influencent-elles ta musique ? T’intéresses-tu à la scène hip hop féminine en Côte d’Ivoire ? 

C’est assez difficile pour moi de répondre à cette question car j’ai vraiment le sentiment que l’influence se fait naturellement. Mes origines métisses, mon immigration, mes expériences de vie, la musique qui m’a inspirée, et tellement d’autres choses encore, sont des facteurs qui définissent mon identité, et ma musique c’est moi… Donc forcément, toutes ces choses l’influencent et aucun facteur n’a plus d’importance que les autres.

Je m’intéresse à la scène hip hop africaine tout court. Femmes ou hommes, pour moi, la musique n’a pas de genre. Je pense néanmoins qu’étant une femme, mon intérêt pour le rap fait par d’autres femmes est peut-être plus poussé. Je me souviens qu’à mes débuts, il était très difficile pour moi de m’identifier à une femcee car il y en avait tellement peu. Du coup, je suis toujours curieuse et heureuse à chaque fois que je découvre une rappeuse dont le travail me parle. Être une femme dans ce monde de fous est tellement compliqué – et tellement peu se démarquent – que ça fait du bien de voir que partout dans le monde, d’autres mènent le même combat que moi. Big up aux femcees sénégalaises Eve Crazy et GOTAL d’ailleurs. Des tueuses!

Quelles sont les femmes qui t’inspirent ? 

Il y en a tellement ! De tous les styles et de tous les horizons… Musicalement parlant : Lauryn Hill, Bahamadia, MC Lyte, Da Brat, Missy Elliott, Aaliyah, Yo-Yo, Lady of Rage, Casey, Keny Arkana, Ladea, Nina Miskina, Pand’Or, Rah Digga, Lin Que, Mother Superia, E.V.E, Foxy Brown, Dynasty, Rapsody, Coely, Nina Simone, Tracy Chapman, Mary J. Blige Aretha Franklin, Mahalia Jackson, Patra, Queen Omega, Lady Saw, Etana, Rokia Traoré, Angélique Kidjo, Cesaria Evora, Nach, Antoinette Allany et plein d’autres… Je pourrais aussi citer des personnages historiques comme Harriet Tubman, Ching Shih, Angela Davis, Mère Teresa… C’est trop dur de faire cette liste. Il y a beaucoup d’hommes qui m’inspirent aussi !

Te considères-tu féministe ? Pourquoi ? 

Non, pour plusieurs raisons. La première c’est que je ne supporte pas d’être dans une case. J’ai toujours pensé et agi avec mon cœur et mon intuition, et tous deux détestent l’injustice. Je n’ai pas eu besoin de connaître ce mot ni sa définition pour réagir lorsque je me retrouvais face à une injustice envers moi ou une autre femme. C’est l’instinct qui a toujours parlé. Tout comme j’ai toujours réagi face à une injustice envers une race, une croyance spirituelle ou n’importe quelle « attaque gratuite contre celui qui est différent ». Nous devons nous détacher le plus possible des schémas qui nous détruisent pour nous trouver. S’identifier en tant qu’être unique faisant partie d’un équilibre universel, où toutes formes de vie ont la même importance. La vraie liberté c’est d’Être et être engagé envers soi, donc envers les autres. Suivre son cœur, ses convictions et aspirations profondes, refuser de se mentir quitte à se retrouver seul au monde, prendre du recul sur la vie pour comprendre les choses par soi-même. Une fois qu’on a conscience, qu’on voit, qu’on sait, on n’a plus besoin d’être une femme, un homme, noir, blanc, de gauche, de droite, féministe, machiste, chrétien ou musulman. On est soi et tous. On devient juste « juste », et pour ça il faut être libre.

Comment as-tu rencontré la rappeuse britannique Oracy et pourquoi as-tu souhaité collaborer avec elle sur « Que Du Love«  issu de ton premier album Tentative de survie, sorti en mars 2016 ?

Oracy est une des EOW UK AllStars. Nous avions donc déjà quelques connaissances et amis en commun au sein de la communauté End Of the Weak. Je connaissais son travail et elle le mien, et nous étions toutes deux fans l’une de l’autre ! En 2013, nous nous sommes rencontrées dans le cadre du festival Femcees Fest festival à Saint-Etienne, où nous étions toutes deux programmées. Le lien s’est fait naturellement, donc nous avons gardé contact et sommes devenues amies.

Oracy et moi avons la même vision de « comment vivre sa vie » et de la musique. Nos croyances spirituelles se rejoignent également et c’est un peu tout ce que raconte « Que du Love ». C’est comme un hymne à la solution à tous nos problèmes: L’Amour bienveillant.

On a pu te voir l’année dernière à l’affiche du film « Brooklyn » réalisé par Pascal Tessaud, qui a connu un certain succès, notamment en festivals. Que t’a apporté cette expérience et quels sont tes projets à venir, dans la musique ou le cinéma ?

Brooklyn a été l’une des expériences les plus intenses de ma vie. La rencontre avec Pascal Tessaud et toute l’équipe du film restera à jamais gravée dans mon cœur. J’ai vécu des moments magiques avec des personnes toutes plus exceptionnelles les unes que les autres. Des vrais passionnés, battants et engagés. Des personnes talentueuses, avec une vraie vision de l’art et de la vie. Même si je vis loin d’eux tous et que le tournage a parfois été difficile, Brooklyn reste et restera ma famille.

Dans le futur, je ne me ferme pas à l’idée de jouer dans d’autres films (on peut me voir dans le film Marie et les Naufragés de Sébastien Betbeder sorti cette année), même si ma passion reste la musique et que c’est avant tout ce à quoi j’aspire.

Qu’écoutes-tu en ce moment ?

En ce moment, j’écoute plein de choses différentes comme Chronixx ou Jesse Royal en reggae, sinon des artistes hip hop comme Ocean Wisdom ou Machine Gun Kelly, du rap suisse comme La Base & Tru Comers, et pas mal de chanteuses comme Camille Safiya, Oshun ou Ibeyi.

Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?

Je suis via Instagram et Soundcloud et j’aime beaucoup. J’ai découvert plusieurs artistes vraiment bien grâce à Madame Rap donc merci. Continuez comme ça ! ONE LOVE.

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