Originaire de Niort (Deux-Sèvres), Dey Ef découvre le rap par ses sœurs et commence à écrire ses premiers textes à l’âge de 14 ans. Aujourd’hui âgée de 30 ans, la rappeuse « au style colérique et sombre » nous parle de son nouvel EP « État d’âme », de son parcours dans le hip hop et de son rapport à l’écriture.
Quand et comment as-tu découvert la culture hip hop ?
Je l’ai découverte par le biais de mes frangines. Bien que très éclectique, j’ai eu un énorme coup de cœur pour ce style. Je me souviendrai toujours d’une période où je saignais la cassette de la Fonky Family, l’album « Art de Rue », en m’acharnant sur le jeu Duke Nukem sur Nintendo 64. Il y avait aussi la cassette de MC Solaar « Cinquième As ». Si j’en crois les dates de sorties, je dirais que je suis tombée dedans assez jeune.
J’aime le hip hop dans sa globalité, tous les acteurs du mouvement, c’est un tout qu’on ne retrouve que très peu aujourd’hui. C’est pourquoi je n’aurais certainement jamais eu le coup de cœur que j’ai eu à l’époque si j’étais née après 2000.
Quand et comment as-tu commencé à rapper ?
Comme beaucoup, je n’ai pas commencé le rap directement, mais d’abord l’écriture. Je trouvais ça super cool de pouvoir allier des rimes pour dire de belles choses. Alors, j’ai commencé par des poèmes. Je ne me souviens plus de l’âge auquel j’ai commencé mes textes, mais vers mes 14 ans, quand j’étais seule à la maison, je m’enregistrais déjà avec un vieux micro d’ordinateur et le logiciel Audacity. Il suffisait de quelques minutes d’absence de la famille et je me jetais sur le bouton « enregistrer » pour faire une prise rapide.
Puis, un jour, on m’a permis de rencontrer un rockeur (c’était juste après le collège). Il m’a appris le tempo. Je me souviens d’une nuit entière où je n’avais pas le droit d’approcher le micro tant que je n’avais pas écrit les mesures parfaitement sur papier. On peut dire que ça m’a super bien servi. Ce même rockeur m’a fait monter sur scène à plusieurs reprises. J’étais mineure et trop fière (rires).
Lequel de tes morceaux te représente le mieux et pourquoi ?
Difficile à dire, je n’ai pour le moment sorti que 7 morceaux (ayant eu un autre nom de scène auparavant, dans une autre vie) et ces 7 morceaux se rejoignent totalement. Mais si je devais en choisir un ce serait certainement Tout cessera, dont le clip est sorti récemment, ou alors Sept lettres.
Le premier, car c’est un cri de guerre pour moi. Il suit l’arrêt d’une addiction que j’avais depuis dix ans. Le deuxième, car c’est le moment d’accalmie qui arrive après la colère du projet regroupant les 7 titres dont je parlais et ça, c’est mon moi profond.
Comment travailles-tu tes morceaux ? Est-ce que tu commences par écrire, par choisir une prod, ou les deux ?
Je choisis d’abord une prod et écris le texte par-dessus. Du coup, je suis assez sélective sur le choix des prods car elles doivent dicter l’ambiance que je veux imposer. C’est pourquoi j’ai travaillé avec une seule personne sur mon projet (prod, enregistrement, mix et mastering), un gars (EKT Beats) qui a complètement capté mon univers. C’était un travail fusionnel. C’est top pour un premier projet ! J’ai une interprétation de texte très forte, il est très important pour moi que le tout soit harmonieux. Je ne suis pas une rappeuse technique, bien que je pourrais, mais ce n’est pas ce que je recherche dans ma musique. Je veux qu’elle soit au plus proche de moi-même, qu’elle soit à mon image.
Quant à la manière d’écrire c’est à l’instinct. Jamais de yaourt et c’est mon écriture qui guide mon flow. Ça vient tout seul, c’est comme ça depuis toujours.
Quel est ton rapport à l’écriture ?
C’est une nécessité. Je crois que l’écriture m’a sauvée. Loin d’être la plus grande des poètes, mes textes m’ont d’abord aidée moi-même. Je ne suis finalement peut-être pas une artiste, mais une femme qui a livré tout ce qu’elle ressentait pendant des années, qui s’est sauvée et qui a sauvé. J’ai dû recevoir dans le passé plus de « merci » que de « lourd ». Au final, ça me va, après ça, je peux partir en paix. J’aime le fait qu’autrui se dise qu’il n’est pas seul, je sais de vécu à quel point c’est important d’en prendre conscience.
À quoi ressemble la scène rap à Niort et dans les Deux-Sèvres ? Y a-t-il beaucoup de rappeuses ?
À vrai dire, je suis de Niort sans trop y être, je n’ai jamais fait de scène dans cette ville, toujours ailleurs. Je sais que Le Camji notamment fait pas mal bouger les choses, et pas que dans le domaine hip hop. Je trouve ça cool.
Pour ce qui est des rappeuses, je n’ai pas eu connaissance de la présence d’une autre rappeuse ici, mais avec la nouvelle génération et l’effet de mode qui accompagne le rap, il y en a sûrement, je serais bien curieuse d’écouter ça d’ailleurs.
Quelles sont les femmes, connues ou pas, qui t’inspirent ?
Elles m’inspirent toutes, aucun nom en particulier. La vie d’une femme n’est pas toujours simple et je pense que dire qu’une femme est forte est un euphémisme. Je crois que je ne peux pas être plus précise sur mon point de vue.
Te définis-tu comme féministe ?
Oui et non. Je ne me suis jamais revendiquée féministe et je ne le ferai jamais. Cependant, j’aime défendre les droits des femmes, c’est de la simple logique que de dire que l’on devrait tous être égaux en droits. J’avoue que j’en mets plein la gueule aux mecs aussi (rires).
Le rap est-il ton activité principale aujourd’hui ?
Non du tout, mais ce serait effectivement un objectif à terme. Aujourd’hui, ce n’est pas possible, je suis en totale indépendance et ça bloque sur plusieurs points que je ne peux malheureusement pas changer pour le moment. Mais je suis optimiste. Rien ne se fait sans optimisme. La sortie de mon projet m’aidera peut-être à avancer sur quelques points. Je ne me presse pas, tout vient à point à qui sait attendre, il paraît. J’ai souvent fait l’erreur de me presser auparavant, ce n’est pas une bonne chose.
Quels sont tes projets à venir ? Et en quoi le Covid impacte-t-il sur ton activité ?
Mon EP de 7 titres « État d’âme » est sorti le 30 avril sur toutes les plateformes de streaming et de téléchargement (à part Youtube). Comme je disais plus haut, les 7 morceaux se rejoignent sur le thème qui est le titre du projet. Pour être plus claire, tout le projet est un état d’âme. C’est raccord avec mon écriture, c’était nécessaire pour moi de fonctionner comme ça et de donner naissance à cet EP, à ce thème général.
J’ai eu pour le moment assez de chance par rapport au Covid, j’ai pu finir l’EP à temps et tourner un clip quand je le pouvais (presque) encore. J’étais en pleine construction de mon projet, maintenant je vais savourer sa sortie puis me remettre au travail. Je suis déjà sur un autre projet.
Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?
Je trouve ça bien qu’un média tel que le vôtre mette en avant les femmes dans le rap. Quand j’ai commencé la musique, les rappeuses n’étaient clairement pas mises en avant, il n y’avait que 2 ou 3 noms qui ressortaient. Aujourd’hui, il y en a de partout. Surtout, comparé à l’époque, on parle d’elles. Alors merci Madame Rap de nous mettre en avant. Ce qui importe, c’est le suivi que l’on peut avoir. RAS. Force à vous pour la suite.