Autrice-compositrice, animatrice de radio et rappeuse, Maya Jupiter est active sur la scène hip hop depuis près de 20 ans. Installée à Los Angeles, l’artiste australienne d’origine mexicaine nous parle de son « artivisme », de son engagement pour les droits humains et de son prochain EP.
Comment et quand as-tu découvert la culture hip hop ?
J’ai découvert le rap en écoutant la radio à l’âge de 12 ans dans les années 1990. Au lycée, je me suis passionnée pour Salt’N’Pepa, MC Lyte, Queen Latifah, Naughty By Nature et Ice Cube. J’ai commencé à écrire mes propres textes vers 15 ans et j’ai enregistré ma première démo à 18 ans.
Ce n’est qu’à l’âge de 19 ans (en 1998), quand je suis allée au Urban X-pressions à Sydney, un festival hip hop qui dure dix jours, que j’ai véritablement compris le hip hop en tant que culture. J’ai appris les 4 éléments de la culture hip hop en participant à des street cyphers, des open mics et des soirées slam, en breakant à Hyde Park, et en voyant le travail des graffeurs et les performances de groupes de hip hop australiens et américains. C’était vraiment un moment particulier de ma vie et j’ai là que j’ai rencontré la communauté hip hop de Sydney.
Comment as-tu commence à rapper ?
J’adorais écouter du hip hop et j’écrivais des poèmes quand j’étais petite, donc ça m’a semblé assez naturel d’écrire du rap. J’étais une enfant et je n’y ai pas réfléchi à deux fois. Malgré tout, je n’avais qu’un seul couplet que je balançais dans le train quand je sortais avec mes amis ! Après quelque temps, je me suis mise à écrire plus pour moi, comme une thérapie. Je ne voyais pas ça sous cet angle mais en tant qu’adulte, je regarde en arrière et je vois que j’avais besoin de processer mes expériences, mes pensées et mes émotions et que l’écriture était mon exutoire.
Si quelqu’un veut découvrir ta musique, quel titre lui conseillerais-tu d’écouter en premier ?
Madre Tierra réunit beaucoup de choses que je suis et que je défends. C’est une chanson qui englobe les droits humains, les droits des femmes, la dignité et un monde sans violences (étatiques et conjugales). Elle fait le parallèle entre ces problématiques, les problématiques environnementales et l’interconnexion de nos luttes. C’est la femme en tant que terre-mère et la terre-mère en tant que femme.
Musicalement, le titre est inspiré de mes racines mexicaines, notamment du son jarocho, une tradition folk vieille de plus de 300 ans originaire de la région de Veracruz. Avec un featuring de Joel Castellano des Los Cojolites.
Tu te définis comme une artistivte. Est-ce que tu dirais que tu utilises le hip hop comme un outil politique ?
Oui, j’ai commencé à faire de la musique pour raconter des histoires, pour parler de ce que je voyais autour de moi et dans ma communauté. Ça a toujours été une question d’empowerment et de partage de connaissances. J’ai appris le proverbe « chacun enseigne ce que l’on est » très tôt avec KRS-One. Et d’autres artistes comme Public Enemy, Lauryn Hill, Mos Def et Talib Kweli m’ont incité à être plus politique dans ma musique.
Tu as cofondé Artivist Entertainment pour soutenir les artistes qui promeuvent des transformations sociales positives. Peux-tu nous expliquer en quoi consiste ce projet ?
Artivist Entertainment est notre manière de mettre en lumière les voix importantes de nos communautés. Dans ce but, on organise des discussions (CharLA’s), des évènéments comme FandangObon, Africa in America Original Works Showcase et le Fandango Fronterizo. Nous avons organisé des concerts non-mixtes d’artistes femmes avec le projet “Artivista” et collaboré avec des écoles dans le cadre de différents projets communautaires.
Récemment, nous avons organisé le festival en ligne #CancelRent et organisons en ce moment des soirées #CancelRent les vendredis, où les artistes jouent et discutent des difficultés qu’ils doivent affronter.
Nous nous organisons en solidarité avec Our Right To The City Alliance et d’autres structures à travers les États-Unis pour demander l’annulation des loyers, des prêts et donner un toit à tous en ces temps très difficiles.
Tu évoques la question du consentement et des viols sur les campus dans Never Said Yes. Pourquoi est-ce important pour toi de parler de ces sujets ?
Mon but était de faire une chanson qui informe les gens et mette fin à la culture du viol. Aucune femme et aucun homme ne devait vivre des violences sexuelles (ou n’importe quelle violence) et les chiffres sont inquiétants. J’ai vu le documentaire The Hunting Ground et c’est ce qui m’a inspiré ce morceau.
Nous devons radicalement changer notre manière de percevoir, traiter et d’estimer les femmes. Et les hommes aussi. Les hommes sont violés également mais n’en parlent pas aussi souvent que les femmes.
En tant que membre consultatif du conseil d’administration de Peace Over Violence et porte-parole de leur campagne Denim Day, je voulais me servir de la musique comme d’un outil pour éveiller les consciences et informer les gens sur le consentement.
Quelles sont les femmes qui t’inspirent ?
Ma mère a été mon premier rôle modèle. Elle a passé sa vie à mettre en place des politiques multiculturelles dans un grand nombre d’agences gouvernementales, à créer des services culturels et linguistiques pour diverses communautés. Mon engagement, mon empathie et mon amour de l’humanité viennent d’elle. Elle m’a appris comment traiter correctement et prendre soin des autres.
J’admire aussi les membres de ma communauté ici à Los Angeles : Martha Gonzalez, une artiste chicana, docteure, théoricienne de la musique féministe, professeure d’études chicanas et latinas et mère.
Melina Abdullah, professeure et présidente des études panafricaines à la California State University, activiste, co-fondatrice de Black Lives Matter Los Angeles et mère.
Kikanza Ramsey-Ray est une éducatrice de ma communauté que j’admire. Elle a fondé une école progressiste basée sur l’écologie qui est spécialisée dans la prise en charge holistique des enfants, du développement durable, de la parentalité non-violente et ludique. Elle est aussi organisatrice d’événements et mère.
Il y en a encore beaucoup que je pourrais lister.
Te définis-tu comme féministe ? Si oui, ,comment définirais-tu ton propre féminisme ?
Oui. Je défends l’empowerment des femmes et comprends que nos luttes sont connectées. Je me bats contre le complexe carcéro-industriel, les violences policières, l’esclavage, le trafic humain, la pauvreté et les violences institutionnelles, étatiques et familiales. Je me bats pour les droits des immigrés et pour la fermeture de tous les centres de détention. Libérez nos enfants. Je me bats pour la souveraineté des peuples autochtones et pour la justice environnementale. C’est ça mon féminisme.
Quels sont tes projets à venir ?
Je travaille sur un EP produit par Georgia Anne Muldrow. Mon idée était d’écrire des morceaux inspirants qui nous unissent et se focalisent sur les choses que je soutiens et non sur les choses auxquelles je m’oppose.
Ça a été difficile de me concentrer pendant la pandémie et le confinement parce que je suis distraite par mes propres préoccupations et la nécessité de prendre soin de ma famille. J’ai deux enfants en bas âge qui m’occupent beaucoup et je vis au jour le jour en ce moment.
Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?
Je suis impressionnée par la liste incroyable et exhaustive de rappeuses et d’artistes de rap qui s’identifient comme femmes que vous avez. Si des gens me demandent encore pourquoi il n’y a pas assez de femmes dans le hip hop, je les dirigerai avec plaisir vers votre site !
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