Ancienne choriste de Youssoupha, Ayelya sort aujourd’hui le EP Nota Bene. La chanteuse/rappeuse originaire de Mantes-La-Jolie (78), nous parle de sa double participation à The Voice, de sa collaboration avec le pianiste de jazz Clyde et de son rap « éclairé ».
Quand et comment as-tu découvert le hip hop ?
Je suis née dedans. Mon grand frère, qui a quatre ans de plus que moi, écoutait du rap toute la journée et me faisait écouter ses cassettes à l’époque. C’était surtout du rap français, Secteur Ä, Passy, IAM, NTM, Diam’s. Aussi Eminem et Missy Elliott en rap US. C’était un moyen d’avoir un point de jonction et une forme de lien avec mon frère.
Où as-tu grandi ?
J’ai grandi une partie de ma vie dans le quartier du Val Fourré à Mantes-La-Jolie et après on a déménagé à Gassicourt. C’était un peu l’ascension sociale ! Après, je suis allée en lycée militaire où j’ai fait mes classes aux côtés de Vianney. J’ai croisé un peu tous les univers. Initialement, je voulais être médecin et ne me destinais pas à faire de la musique.
Tu es chanteuse et rappeuse. As-tu commencé les deux en même temps ou à des moments différents ?
J’ai toujours écrit et j’ai toujours écrit du rap français parce que c’est ce que j’écoutais. Je n’avais pas les codes de la chanson française.
Quand j’étais à la fac et que j’ai commencé à avoir plus de libertés, la première chose que j’ai faite c’est d’aller faire des refrains pour mes copains de cité qui avaient des studios. C’était la seule manière de légitimer un peu ma place dans le hip hop. J’ai pratiqué le chant parce que j’avais une voix et je me suis toujours exercée sur ça, mais j’ai toujours écrit du rap. Quand il s’est agi de lier les deux, c’était un véritable exercice. Il y a une chanson de variété que j’ai vraiment réussi à écrire, on l’a enregistrée et on a bien ri !
Ensuite, j’ai continué à écrire mes chansons avec beaucoup trop de pieds pour que ce soit une chanson standard. J’ai toujours fonctionné par mimétisme, c’était ça que je voulais mettre dans mes chansons, même si, avec ma voix j’aurais pu faire autre chose.
Tu as participé à The Voice. Qu’as-tu appris de cette expérience ?
Je l’ai fait deux fois. La première fois, j’ai obtenu la bénédiction de mes parents pour faire de la musique. Ma mère est médecin et mon père est ingénieur informaticien, ils ont quitté l’Afrique et sont venus en France. Ils ont quitté le ghetto pour un pavillon à Mantes-La-Jolie. Donc pour eux, c’était logique que je fasse des études, alors que pas du tout ! C’est en ramenant mes parents à The Voice que j’ai pu lâcher mes études. Aussi lettrés soient-ils, la télévision française représente quand même quelque chose pour eux. Mon père n’avait pas la télé chez lui.
Après ça, ils m’ont dit « tu n’as plus intérêt à faire demi-tour ». J’ai compris que c’était plus une émission de télé qu’un tremplin musical. Il faut y aller avec un projet travaillé. C’est un peu l’erreur que font les candidats, qui restent bloqués au script télé. Il faut y aller armée.
La deuxième fois, j’avais un projet à défendre, un trio avec des copines à moi. Là, c’était plus un moyen qu’une fin. Malheureusement, notre collaboration s’est arrêtée après, mais c’était intéressant de faire l’émission dans ces conditions. La première fois, comme l’outsider, la seconde fois, comme celle qu’on attendait. C’était deux parcours différents et je ne regrette pas du tout de l’avoir fait.
Tu travailles avec Clyde, un pianiste de jazz qui collabore notamment avec MHD. Comment composez-vous à deux ?
Au début, je venais avec des textes et des maquettes que je trimballais. Même si j’étais assurée en tant que chanteuse, je ne me sentais pas forcément légitime d’exposer mes textes aux autres. J’ai ma plume, mais c’est toujours compliqué. Face au CVs de certains compositeurs avec lesquels j’ai travaillé, j’avais du mal à ne pas me laisser effacer par leur créativité et leur talent. Et Clyde est le seul qui s’est mis à mon niveau tout de suite. Il était très à l’écoute. Il avait une capacité de projection incroyable et visualisait tout de suite ce que je voulais. En fait, c’est le seul compositeur que j’ai trouvé qui n’a pas tout de suite voulu m’imposer des codes.
On me disait « ah c’est du RnB alors on va faire comme ça », alors que j’avais souvent en tête des sons hybrides et un Rn’B plus hip hop ou un hip hop plus chanté. Je ne voulais pas que ce soit ou l’un ou l’autre. J’ai écouté des artistes comme Lauryn Hill qui n’ont jamais eu à choisir entre les deux. C’est très français de vouloir mettre les gens dans des boîtes.
Du coup, on est parti de mes textes, et il a construit tout autour. Avec le temps, la confiance s’est établie. Aujourd’hui, on le fait en simultané. Et bien sûr, on est des insomniaques !
Tu as également été choriste et backeuse de Youssoupha. Que retires-tu de cette collaboration ?
C’était une expérience hyper valorisante. Je suis hyper fière, c’est un artiste transgénérationnel chez nous. J’ai écouté les musiques de son père (Tabu Ley Rochereau) avec mon père, j’ai écouté Youssoupha avec mon frère.
Tu sors le EP Nota Bene. Peux-tu nous en dire plus sur ce projet ?
C’est un projet où on a mis tout ce qu’on aimait. Ça va du hip hop à des sonorités plus afro. Le fil conducteur est ma collaboration avec Clyde et ce phrasé entre rap et chant. Le EP est construit comme des pense-bêtes, des petites notes à ne pas oublier pour traverser les années sans perdre la tête.
Tu dis faire « un rap éclairé mais pas conscient ». Peux-tu nous expliquer ce que tu entends par là ?
Je suis une toute jeune trentenaire qui regrette un peu la vingtaine ! Je n’ai pas la prétention de vouloir donner des conseils ou, comme ceux qui font du rap conscient, de vouloir expliquer la vie aux gens. J’ai juste la prétention de vivre la mienne en essayant d’avoir les yeux le plus en face des trous possible et de raconter ma vérité, en espérant qu’elle parle à d’autres. Au final, il n’y a pas un million d’émotions sur la planète. Je pense que si je suis vraie avec les quatre ou cinq émotions que je deale, ça parlera toujours à quelqu’un. Je sais que j’ai été parfois ramenée à la vie par des chansons aux émotions criantes de vérité, c’est cet éveil qui rend la musique utile. On peut chiller, danser en boîte, c’est cool, mais il faut ressentir quelque chose, je pense que c’est important.
Quelles sont les femmes qui t’inspirent ?
Je citais Lauryn Hill, il y aussi Beyonce, Missy Elliott, Diam’s. Il y a plein de nouvelles femmes qui arrivent dans le rap et la chanson. J’espère qu’on va réussir à prendre toutes notre place parce que les hommes ne nous laissent pas de répit !
Te définis-tu comme féministe ?
C’est un mot dangereux. Tous les mots qui finissent en « iste », c’est compliqué. C’est un peu comme les kystes, on est pas sûr de vouloir en avoir ! Je me considère comme un individu sur cette planète, je défends toutes les causes. Je suis pour l’ouverture d’esprit à toutes les peines.
Quels sont tes projets à venir ?
Je suis un peu une hyperactive. Mon projet alimentaire, c’est que je suis sur la tournée de Dadju. À côté de ça, je suis lead vocal d’un groupe qui s’appelle Supa Dupa et on prépare un album pour très bientôt. C’est du hip hop soul jazz en anglais. Je me fais aider pour l’écriture par un ghostwriter australien qui s’appelle Nelson Dialect, qui est un rappeur hors pair et champion de freestyle.
C’est rigolo parce que ce projet en anglais a été alimenté par les trouvailles que je faisais avec Clyde, notamment dans le placement de voix. En anglais, c’était beaucoup plus systématique pour moi de faire le rap d’un côté et le chant de l’autre. Les deux projets se répondent un peu.
Que penses-tu de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?
Je pense que Madame rap, ça tue. C’est bien de mettre en lumière des talents et des voix féminins. Il faudrait faire encore plus de scènes et d’événements pour fédérer autour de cette communauté. Je trouve ça hyper cool !
Retrouvez Ayelya sur Facebook, Twitter, Instagram et YouTube.
© Ashley Foko