Madame Rap a rencontré les rappeuses Marylean, Mamzel Bow, Na2s et Blaq du groupe strasbourgeois Art&Miss. Ce projet, fondé en 2012 par Maeva Heitz et l’association emblématique Les Sons d’La Rue, vise à mettre en lumière des femmes artistes dans le hip hop. Les quatre MCs nous ont parlé de leur parcours respectif, de leur évolution en tant que groupe et de leur premier album prévu pour début 2019.
Qui êtes-vous et d’où venez-vous ?
MARYLEAN : Je suis Amina, mon nom de scène c’est MaryLean. Je viens de Strasbourg, plus précisément du Port du Rhin.
MAMZEL BOW : Je m’appelle Ornella-Wendy Bodeman, Mamzel_Bow, j’ai 25 ans, étudiante en développement commercial et stratégie d’entreprise. Je suis rappeuse. De père Centrafricain et de mère Camerounaise, je suis née à Strasbourg, j’ai grandi au Cameroun puis à La Rochelle.
NA2S : Je m’appelle Na2s et je viens de Strasbourg.
BLAQ : Je m’appelle Gloria Sumba. Mon nom de scène est Blaq. Je suis réfugiée rwandaise, j’habite à Strasbourg, en France.
Comment est né Art&Miss et comment présenteriez-vous le groupe ?
MARYLEAN : Le projet a été créé en 2012 par Maeva Heitz, qui fait partie des Sons d’la Rue. J’avais entendu de bouche à oreille que cette année, elle était à la recherche de rappeuses pour composer le groupe. Suite à ça j’ai participé à l’audition et j’ai été prise. Je dirais que nous sommes un groupe de femmes qui changent cette étiquette de « femmes = chanteuses » destinées à être douces pour toucher un public.
MAMZEL BOW : En 2018, Maeva a choisi de mettre en avant principalement des rappeuses. Après des auditions et la formation du quatuor, Art&Miss 2018 est né en studio, lors de nos différentes séances de travail/ amusement. Art&Miss, c’est 4 miss réunies autour d’un art commun, le rap. Avec chacune son vécu, ses combats, ses peines et ses joies.
NA2S : Oui oui ,on rappe !! Hahaha. Si je devais présenter le groupe je dirais Air, Feu, Eau, Terre !
BLAQ : Art&Miss 2018 est né d’un magnifique coup de chance et je crois au destin. Je suis venue aux Sons D’La Rue pour un projet théâtre et j’ai rencontré Maeva et elle m’a invité à une session où j’ai rencontré les filles et la suite on la connait.
Comment et quand avez-vous commencé à rapper ?
MARYLEAN : J’ai commencé à rapper à 14 ans. Au début j’écoutais du Édith Piaf et je décortiquais ses paroles pour le fun et par la suite j’ai commencé dans des ateliers d’écriture au Drugstore. On me disait que j’avais une très belle plume et depuis, je n’ai pas cessé d’écrire mes chansons.
MAMZEL BOW : En mars 2018. Parce qu’on m’a donné ma chance, parce qu’on a donné de la voix à mes textes.
NA2S : Je suis une passionnée d’écriture et de musique depuis toute petite, ça fait 13 ans que je fais du rap et depuis que je sais écrire, j’aime jouer avec les mots!
BLAQ : J’ai grandi en écoutant du old-school et de la soul, du reggae aussi. J’écoutais religieusement Tupac et Lauryn Hill, Fela Kuti. Je ne pourrais pas dire quand j’ai commencé à rapper précisément car à la base, j’étais poétesse, mais vu mes influences, m’essayer au rap m’est apparu comme une évidence.
Quelle(s) musique(s) écoutiez-vous en grandissant et qu’écoutez-vous aujourd’hui ? Des artistes en particuliers ?
MARYLEAN : En grandissant j’écoutais beaucoup Nicki Minaj, d’ailleurs la chanson qui m’a donné envie de rapper était « Moment 4 Life » featuring Drake. Et actuellement j’écoute XXXTentacion, Travis Scott, Jaden Smith, Mia, Asian Doll… Mais je suis plus sur Travis Scott, j’adore la manière dont il pose sa voix et joue avec les mélodies.
MAMZEL BOW : J’ai grandi en écoutant de la musique africaine, américaine, du R’n’B, du gospel, du rap et de la variété française. Aujourd’hui, c’est vrai que j’écoute beaucoup de rap français, mais ma playlist reste assez variée, tout dépend du « mood » du moment : Missy Elliot, Eve, Kery James, Aaliyah, Cardi B, Francis Cabrel, Rémy, Ninho…
NA2S : J’ai grandi entre Francis Cabrel et NTM en passant par Aretha Franklin en faisant un petit détour par Diam’s et Tina Turner et à l’arrivée un peu de Nirvana et j’en passe ! J’écoute un peu de tout, gros coup de cœur pour Josman et Haristone. LOURD!
BLAQ : Maintenant j’écoute surtout J.Cole et Kendrick Lamar. J’évolue entre plusieurs styles, en fait j’aime toute musique qui a quelque chose à dire, un message à transmettre, si on veut. Je pense que le hip hop, c’est la révolution de ceux qui refusent le silence.
Vous avez sorti récemment sorti trois titres sur votre page Soundcloud. Comment avez-vous travaillé ces morceaux ? Comment écrivez-vous en groupe et comment définissez-vous la thématique de départ ?
MARYLEAN : Au début, on avait des difficultés à trouver l’instru qui nous correspondait. Et c’est en fouillant un peu partout qu’on a enfin trouvé la perle rare haha. Ensuite chacune ressentait l’instru à sa manière et posait dessus. Je ne dirais pas qu’on écrit ensemble « au même moment » , mais avec un thème de départ, chacune sait ce qu’elle a à faire. On choisit le thème selon l’instru. Si c’est quelque chose d’énervé, on peut dire que le thème est « colère », par exemple.
MAMZEL BOW : Pour « Female All Starz », l’instru a été proposée par Na2s, elle était tellement lourde que c’était évident qu‘il fallait qu’on pose toutes dessus et qu’on fasse un egotrip. Etant donné qu’il s’agissait d’un instru trap, et que j’étais habituée jusque-là à faire du boom bap , je ne savais pas trop comment le poser. J’ai demandé de l’aide à MaryLean, elle est passée chez moi le temps de boire une tasse de thé et de manger une part de gâteau et c’était plié.
NA2S : Généralement, une des filles fait écouter une instru, elle a déjà son couplet, on écoute, on valide ensemble, puis une fois rentrée chacune de son côté, on écrit puis on revient au studio et on kicke ça sale !
BLAQ : Les titres sur Soundcloud sont le résultat d’une écoute collective sur les intrus validées, ensuite si on le « sentait » , on écrivait dessus et on travaillait. On validait le thème en fonction de ce que l’instru nous inspirait. C’est marrant comme des personnes avec des styles différents peuvent aussi bien se compléter.
Il existe très peu de groupes de femmes dans l’histoire du rap en France. Quels sont les avantages d’être un groupe d’après vous ?
MARYLEAN : L’avantage est qu’on peut s’entraider, proposer des idées, demander des avis pour qu’on s’améliore toutes ensemble. Nous, on voit la différence entre ce qu’on a fait au début avant le groupe, et maintenant. Moi en tout cas, je trouve que ma plume a énormément évolué, ainsi que mes idées.
MAMZEL BOW : L’avantage d’être un groupe de rap composé de quatre femmes, c’est qu’on est une « paire d’as » : à quatre on est plus fortes, il y a tous les styles : de la trap hard au rap conscient en passant par le rap US. Mais à part ça, le plus important, c’est que Art&Miss, ce n’est pas seulement quatre femmes qui font du rap ensemble, c’est surtout quatre « frères ».
NA2S : Seul(e) on va plus vite, à plusieurs on va plus loin ! On a toutes une carte à jouer, carré d’as !
BLAQ : C’est toujours compliqué quand ce n’est que le début. Je pense qu’on ouvre la voie. On montre au public français que c’est possible. Les femmes qui rappent ne seront pas ignorées ou mises de côté. J’aime à croire qu’on montre l’exemple pour la génération de rappeuses à suivre.
Quelles sont les femmes, connues ou pas, qui vous inspirent ?
MARYLEAN : Missy Elliott. Elle a cette force, cette énergie que je kiffe énormément.
MAMZEL BOW : Les femmes qui m’inspirent sont celles qui ont fait de moi la personne que je suis aujourd’hui : de ma mère et grand-mère, à mes tantes en passant par Kimpa Vita, Rosa Parks et Maeva Heitz.
NA2S : Keny Arkana, Ladéa, bim gauche droite !
BLAQ : J’admire beaucoup ma mère, car elle m’a élevée seule et c’est une lionne, la vraie définition d’une combattante. J’ai appris de sa force. J’admire aussi Lauryn Hill parce qu’elle a cassé les codes d’une industrie dominée par les hommes, sans jamais trahir qui elle était vraiment. J’admire les femmes qui font de la limonade de tous citrons.
Vous définissez-vous comme féministes ? Pourquoi ?
MARYLEAN : Oui un peu haha. Je trouve que dans la musique, cette égalité des sexes n’est pas encore assez présente en France. Et c’est ce que je souhaite changer dans le futur.
MAMZEL BOW : Les gens pensent que quand on est une femme, on est « censée » être féministe, ce qui n’est pas toujours le cas . En réalité, cela dépend de plusieurs facteurs (l’éducation, origine, religion …) et la connaissance de chacun.e sur le sujet. Quoi qu‘il en soit, je me définis comme ‘’black feminist’, loin des débats sur la couleur des sparadraps, mais avec une réelle volonté de travailler sur les différents problèmes liés au sexisme ET au racisme, aussi bien à l’intérieur du mouvement féministe que dans les mouvements nationalistes noirs. Car, outre le fait que je suis une femme, je suis une femme noire et même si les luttes sont les mêmes, elle ne se ressemblent pas. Enfin, dans tous les cas, je suis contre l’utilisation politique de la nudité.
NA2S : Non, du tout ! Etre féministe pour moi, c’est comme être macho. Je ne suis ni l’un, ni l’autre ! Je suis juste une femme qui rappe.
BLAQ : Je ne suis pas féministe parce que je pense que les femmes, par nature, ne sont pas égales aux hommes. Je pense que nous sommes différents et que nos rôles sont différents. Je pense que les femmes ne sont pas égales mais supérieures aux hommes. Ça peut paraître controversé je m’en excuse, mais c’est ce que je crois. Ceci dit, je crois que, bien que les femmes soient perçues comme le « sexe faible », elles devraient avoir les mêmes droits que les hommes. Tous les êtres humains devraient avoir les mêmes droits.
Quels sont vos projets à venir ?
MARYLEAN : Pour Art&Miss, on prévoit notre album pour début 2019, des clips et sûrement des concerts. Pour moi, j’aimerais sortir mon premier EP « Lean Effect », je ne sais pas encore pour quand, ainsi que des clips.
MAMZEL BOW : L’album Art&Miss est en préparation, mixage en cours. Il y a aussi des clips qui arrivent très prochainement, donc restez connectés ! Sinon j’ai vraiment apprécié l’expérience théâtre-rap et j’espère qu’elle va se réitérer. A titre personnel, je suis en fin d’études et j’espère trouver un travail en relation avec les cultures urbaines.
NA2S : On est en train de boucler l’album qui s’appelle « Frères » faut rester connecté sur les réseaux sociaux, des clips vont sortir. On a été sélectionné pour le Lunar Cypher. Un reportage puis une interview ont été réalisés par France 24 pour l’émission « Pas2Quartier ». On a récemment joué une pièce de théâtre, écrite par Maeva Heitz, qui s’appelle « Frères » aussi : le teaser sortira bientôt sur les réseaux, je vous laisse découvrir ça prochainement !
BLAQ : On peaufine actuellement notre premier album. On est super enthousiastes et on travaille aussi sur des projets personnels.
Que pensez-vous de Madame Rap ? Des choses à changer/améliorer ?
MARYLEAN : Madame Rap c’est la base rien d’autre à dire haha. C’est la première plateforme consacrée à nous, artistes féminines, rappeuses, et ça, c’est super cool.
MAMZEL BOW : Madame Rap est un média que j’affectionne particulièrement parce que en tant que femmes dans l’industrie du rap, on est souvent boycottées et ignorées par les médias classiques, de telle sorte qu’on a impression qu’on n’existe pas, ce qui est faux, car aux quatre coins de la planète, des femmes rappent. Et si je le sais aujourd’hui et que je peux le prouver en deux clics, c’est grâce à des médias comme vous. Donc bravo et gardez le cap !
NA2S : J’ai eu l’occasion de rencontrer Éloïse une fois lors d’un Cypher à Metz, c’est quelqu’un qui se bat pour les femmes dans le milieu du rap : rien à changer, rien à signaler !
BLAQ : Madame Rap est une organisation essentielle dans l’industrie du hip hop, parce qu’elle met en lumière les femcees dans un milieu régi par les hommes.
Retrouvez Art&Miss sur Facebook, Soundcloud et Instagram.